par Frédéric Farine
Article publié le 25/03/2008 Dernière mise à jour le 25/03/2008 à 14:10 TU
En matière de sida, la Guyane serait bien davantage un pays de la Caraïbe ou d'Amérique du Sud qu'un département français : « L'épidémie en Guyane est exceptionnelle pour la France mais normale dans cette région de l'Amérique et de la Caraïbe (...) seconde région du monde la plus touchée après l'Afrique », souligne le CNS. Dans ce contexte, le rapport demande un soutien plus marqué de « l'administration centrale » et l’« élaboration de politiques publiques dans le cadre guyanais et non la simple application de politiques nationales. » On en est loin, sur le plan financier, au regard du budget de la DSDS dévolu à la prévention de la maladie : « 600 000 euros annuels répartis entre les associations qui portent des projets », explique Jean-Luc Grangeon. « L'administration centrale écrête les dépenses par département, en fonction de la population (220 000 habitants en Guyane). C'est vrai que cette méthode qui planifie et divise atteint ses limites par rapport aux spécificités de la Guyane. »
Des élus locaux effacés
Le rapport se montre sévère à l'encontre des élus guyanais. « Si les acteurs du domaine sanitaire et social, les membres des associations et les services de l'Etat ont largement contribué à changer l'environnement de la lutte contre le VIH depuis 5 ans (date d'un précédent rapport du CNS), aujourd'hui il est nécessaire d'appuyer ces actions par un engagement clair des politiques locales », souligne ainsi le document : « Il faut que les gens se rendent compte qu'il n'y a aucune chance de limiter l'extension de l'épidémie dans cette région si on n'assume pas sa réalité », a estimé Willy Rozenbaum, le président du CNS, le jour de la présentation du rapport, le 17 mars. « C'est vrai que nous avons trop longtemps abandonné la lutte contre le sida aux seules associations », reconnaît Léon Bertrand, l'ex-ministre du tourisme de Jacques Chirac et maire de Saint-Laurent du Maroni avant d'ajouter : « Je vais nommer dans ma ville un conseiller municipal spécialement chargé du sida. Parce que la lutte contre ce fléau est devenue une priorité en matière de santé publique et parce que l'épidémie porte atteinte à l'image de la Guyane qui a une vocation touristique ». Dans sa commune de Saint-Laurent 1,3% des femmes enceintes sont séropositives.
Alain Tien-Long, sympathisant d'un parti indépendantiste, fraîchement élu président du Conseil Général, paraît plus mitigé : « En Guyane tout est priorité. Des compétences nous ont été transférées, comme le RMI ( 5% de la population guyanaise touche le RMI) sans moyens financiers rapportés à la croissance démographique ( 3,7% par an selon l'Insee). Il est clair que nous ne pourrons pas tout faire, mais nous devrons faire de notre mieux en matière de prévention ». Selon Jean-Luc Grangeon : « Un sujet comme le sida doit faire débat en Guyane : des gens estiment qu'il n'est pas forcément une priorité, d'autres considèrent que si (...) C'est complexe. J'ai deux problèmes majeurs de santé publique : la mortalité péri-natale qui tourne autour de 16,5 pour 1000 parce que les grossesses sont beaucoup moins suivies qu'en France. Et j'ai les chiffres du sida avec un nombre conséquent de personnes infectées chaque année »..
« En arrivant, ils apportent toutes leurs maladies »
Le rapport du CNS souligne encore que : « 80% des séropositifs sont étrangers » et 40% des séropositifs de nationalité haïtienne. Face à ces chiffres, certains élus guyanais invoquent « une immigration non contrôlée par l'Etat » pour expliquer l'ampleur de l'épidémie. Ainsi pour Jean-Pierre Roumillac, conseiller général, maire de Matoury et président de l'association des maires : « La Guyane paye le fait d'être une terre d'Europe au coeur de l'Amérique du sud et de l'arc caribéen. Tout le monde prend la Guyane pour un Eldorado et en arrivant, ils apportent toutes leurs maladies (...).
« Le discours sur l'immigration clandestine entretient le déni de l'épidémie au détriment d'une réponse adaptée », rétorque le rapport du CNS en soulignant que « les médecins pensent que l'immigration pour soins n'est pas la motivation principale. Les personnes viennent pour le travail et le rapprochement familial. Puis elles se font dépister lors d'une hospitalisation ».
9% des grossesses concernent des mineures
Le rapport, qui prône « un pilotage concerté de la lutte contre l'épidémie », recèle néanmoins quelques failles selon la DSDS : « Le CNS ne fait pas mention des actions du groupement régional de santé publique qui, depuis 2007, tendent justement à structurer la lutte en fédérant les acteurs », souligne Jean-Luc Grangeon. Des croyances qui favorisent l'extension de la maladie ne sont pas évoquées dans le rapport : « Les obias (sorte de bains protecteurs) qui pour certains Bushinengués (descendants de noirs marrons) constituent encore de meilleures protections que le préservatif », indique un médecin.
Les rapporteurs du CNS n'ont séjourné que 4 jours en Guyane du 22 au 25 octobre derniers, leurs affirmations ne sont pas toujours étayées et quelques chiffres avancés sont faux : ainsi, « 30% de la population » toucherait le RMI, alors que ce chiffre est de 5%.
La DSDS et des médecins confirment néanmoins la véracité de la plupart des chiffres avancés dans le rapport : les plus de 50 ans ont bien constitué 28% des nouveaux séropositifs en 2006 et une enquête de l'hôpital de Cayenne a révélé que 50% des hommes dépistés au stade sida ont recours à la prostitution et ce sans protection, selon une source médicale. Dans ce département, où 9% des femmes enceintes sont mineures, le rapport préconise que tous les secteurs de la société encouragent la prévention : on suggère ainsi aux médecins du travail de proposer un test de dépistage. A l'hôpital de Saint-Laurent du Maroni, on le propose déjà à chaque patient qui débarque aux urgences.Pour en savoir plus :
Site du CNS (cliquez ici)
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