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Sida

Le tabou guyanais cache l’ampleur de l’épidémie

La Guyane est le département français le plus touché par le VIH. Trois mille habitants sur 160 000 –près d’un individu sur cinquante- y seraient séropositifs.
De notre correspondant en Guyane

«Il y a ici un véritable déni de l’épidémie du sida». En Guyane, les professionnels de la santé sont unanimes. «Si une personnalité révélait sa séropositivité, à l’instar de ce qui s’est passé même en Afrique, cela contribuerait à démystifier la maladie», indique-t-on d’une même voix à l’hôpital de Cayenne, de Saint-Laurent du Maroni et chez Aides Guyane. On en est loin : «Des personnes séropositives sont rejetées par leurs proches, certaines doivent faire chambre à part. D’autres n’osent même pas révéler leur maladie à leur conjoint», expliquent médecins et assistantes sociales. Mais la Guyane souffre d’abord d’être un grand village de 160 000 habitants. «Des personnes infectées refusent de venir consulter à l’hôpital de jour de peur de croiser un cousin. Des gens connus partent se faire soigner aux Antilles ou à Paris», révèle un praticien.

Sociologiquement, la Guyane est formée d’une multitude de communautés «qui se juxtaposent plus qu’elles ne vivent ensemble», constate le docteur Pierre Couppié responsable de l’hôpital de jour de Cayenne qui reçoit 90 % de malades atteints du sida. «Le réflexe consiste à dire : le sida c’est l’autre, c’est l’étranger, or on ne s’en protège pas par une nationalité», renchérit le docteur François Biswell, chef du service de médecine au centre hospitalier de Saint-Laurent du Maroni, à la frontière du Surinam. Longtemps, la communauté Haïtienne a été montrée du doigt : «Elle est touchée parce qu’Haïti est fortement victime de la maladie et que c’est l’une des plus grosses communautés de Guyane», nuance Benoit Cotterel, médecin à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS).

En attendant, le sida progresse régulièrement. On en serait à 3 000 séropositifs fin 2001, selon les estimations de la DSDS, soit près d’un habitant sur cinquante. La Guyane est, de loin, le département français le plus concerné par l’épidémie. En cause : le multipartenariat, un comportement pro-nataliste et surtout la précarité. Principales victimes de cette précarité, les immigrés qui ont fui l’extrême misère des pays voisins (Surinam, Brésil, Guyana, voire Haïti) et vivent souvent dans des ghettos sans eau ni électricité. Nourrissant une économie souterraine et se heurtant à une administration tatillonne, leur clandestinité perdure des annéesl. «En Guyane, la situation sociale d’un être humain peut être si misérable qu’elle s’améliore lorsqu’il obtient des droits via la carte de séjour pour soins, c’est à dire lorsqu’il est atteint par le sida», relève Diane Vernon, anthropologue.

Taux de contamination d’environ 2% chez la femme enceinte

Etant donné la gravité de la situation, «les femmes enceintes sont systématiquement dépistées», reconnaît-on à l’hôpital de Saint-Laurent. Elles sont souvent «très jeunes, aux alentours de 14 ans». Leur taux de contamination par le VIH se situe entre 1,7 à 2 % pour l’année 2001 sur l’ensemble du département. Un chiffre supérieur à celui du Sénégal. Les professionnels de la santé tentent de s’épauler en réseau tel le réseau Matoutou à Saint-Laurent et le réseau mère-enfant à Cayenne. Mais la Guyane manque de moyens humains. A l’hôpital de Cayenne, seule assistante sociale en poste, Valérie Bérard frise le surmenage : «Je reçois 900 malades par an». Tous les acteurs de la lutte contre le sida pointent, en outre, l’inaction du Conseil Général chargé de la prévention des MST. «Le sida est une compétence de l’Etat», rétorque Max Ventura, directeur de la DSP (Direction Solidarité Prévention) au sein de la collectivité départementale. «Il n’y a pas de volonté ici de placer le sida dans les priorités de santé : toutes les initiatives viennent de métropole», soupire le docteur Biswell. Le tissu associatif s’avère très faible. Quant au militantisme, c’est une terre vierge. «Il n’est pas encore concevable en Guyane, pour des personnes touchées par la maladie, de militer au sein d’associations. Le sida reste marqué du sceau de la honte», déplore-t-on à sida-guyane-info service.

A Saint-Laurent, les trois permanents d’Aides Guyane portent le chantier de la prévention et de l’aide directe aux malades sur leurs seules épaules. Agnès Nawang en est l’animatrice. Elle est Bushinengué, c’est à dire descendante de noirs marrons, le groupe majoritaire du Maroni, établi sur les deux rives de ce fleuve qui sépare la Guyane du Surinam. Elle promène son bâton de pèlerin des écoles aux centres de lutte contre l’illettrisme dans un rôle d’interface.

L’enclavement constitue un vecteur de plus de l’épidémie. En gros, seules les communes de la bande littorale sont reliées par la route. Juliette Schwartz, sage-femme, prend la pirogue, une fois par mois pour fendre le Maroni et parler de prévention. Elle y a constaté «une sexualité excessivement jeune, parfois dès 8 à 9 ans et de fait sans protection». Sans oublier la prostitution autour des activités d’orpaillage sur le haut Maroni. Mais dans ces communes isolées, pas de centre de dépistage, pas de trithérapies d’urgence et des traitements impossibles à suivre sur place. La conséquence de cette flopée d’anachronismes est «la faible observance des traitements. La trithérapie n’a donc pas pu donner les mêmes résultats qu’en Europe. La note d’espoir c’est la simplification des traitements mieux adaptée au contexte guyanais», estime un praticien. D’après le docteur Pradinaud, directeur du service dermatologie à l’hôpital de Cayenne, «ici la véritable trithérapie sera de faire cohabiter la bio-médecine avec la médecine traditionnelle et le vécu magico-religieux des malades».



par Frédéric  Farine

Article publié le 04/07/2002