par Solenn Honorine
Article publié le 17/04/2008 Dernière mise à jour le 28/04/2008 à 17:02 TU
Solenn Honorine, correspondante de RFI en Indonésie, a recueilli les témoignages des habitants, victimes des coulées de boues du volcan de Sidoarjo, dans l'est de l'île de Java, en cliquant >ici.
Pour les 13 000 victimes de la catastrophe c'est un désastre : une vie d'économies, réduite à néant lorsque leurs maisons ont été soudainement avalées par une boue noire à l'odeur de souffre, ce 29 mai 2006.
Pour le député de la région, c'est un scandale : l'histoire d'une grosse entreprise qui se lave les mains de ses responsabilités. Mais le géologue Soffian Hadi, lui, trouve cela « sexy ». « Avant cela, tout ce que je connaissais des volcans de boues c'était ce que j'en avais lu dans mes livres de classe », s'extasie-t-il.
Assis à son bureau au sein de la commission chargée de gérer le flot de boues, il se lance dans un cours particulier de deux heures sur l'extraordinaire phénomène baptisé « Lusi » par les scientifiques – Lusi, pour « Lumpur Sidoarjo » ou « boues de Sidoarjo », le nom de la région où coulent les boues.
Les digues de 16 mètres de haut, construites autour du cratère du volcan, ont déjà cédé plusieurs fois, inondant les villages alentours.
© Solenn Honorine /RFI
Lusi, un volcan en train de naître
Lusi n'est pas le seul volcan de boues au monde. Maintenant que Soffian étudie le phénomène, similaire à celui qui crée des volcans « classiques », il en a identifié 9 autres dans la seule région de Sidoarjo.
Ce qui rend « Lusi » aussi spéciale, c'est, d'abord, sa taille. Depuis deux ans, le volcan vomit chaque jour 150 000 m3 de boues noires– un volume équivalent à celui de 50 piscines olympiques- à 100° . Mais, là n'est pas son seul trait de caractère : Lusi est un volcan en train de naître. C'est la première fois que les géologues peuvent assister, en direct, à un tel phénomène.
Exceptionnel également, le côté dramatique de l'éruption de Lusi. Le volcan est né à une demi-heure de route de Surabaya, la deuxième plus grande ville du pays ; une zone industrielle, très densément peuplée.
Aujourd'hui, on a construit des digues de 16 mètres de haut autour du cratère pour éviter qu'elles ne se déversent sur la région, aggravant ainsi les dégâts déjà causés. La solution n'est que partiellement satisfaisante : les digues ont déjà cédé plusieurs fois à la pression de la boue, inondant des villages alentours qui se croyaient à l'abri du danger.
« Les forces en présence sont gigantesques »
Le niveau des boues est tel qu'elles effleurent presque le haut des digues, qu'une équipe de 200 personnes s'acharne à renforcer quotidiennement. Toutes les autres tentatives pour contenir le volcan ont été abandonnées.
« Les forces en présence sont gigantesques », souligne Soffian Hadi. « Elles sont similaires à celles des tremblements de terre ou des tsunamis. Et comment peut-on arrêter un séisme ? ».
Les signes de la haute activité géologique dans la région sont visibles à l'œil nu : affaissements de terrain, crevasses, déplacements du sol horizontaux ou verticaux. Quelques mois après l'éruption de Lusi, on a retrouvé les rails de chemin de fer tordus, preuve de puissants mouvements souterrains. Ces marques indiquent le réveil d'une ancienne faille géologique qui traverse l'île de Java. Elle a laissé sur son sillage une série de volcans de lave dont les flancs fertiles nourrissent la très dense population de l'île.
Pour certains scientifiques, la raison de la naissance de Lusi est le tremblement de terre qui avait frappé Jogjakarta, à 400 kilomètres de là, deux jours avant la remontée de boues. Ils estiment que ce choc aurait pu réveiller la faille, provoquant une forte pression souterraine qui a donc causé l'éruption de Lusi.
Mais, d'autres scientifiques comme Richard Davies un géologue de l'université britannique Durham, rejette ces arguments. « Ce tremblement de terre était bien trop faible et trop lointain pour avoir causé l'éruption. Je suis d'accord pour dire que les conditions étaient réunies pour la naissance d'un nouveau volcan de boues. Mais pourquoi est-il né à cet endroit précis, à cette date-là ? Il y a beaucoup d'autres endroits où les conditions étaient réunies. Il s'est formé ici à cause du forage d'un puits d'exploration dont on a perdu le contrôle quelques heures avant l'éruption ».
Le puits, situé à 150 mètres de l'actuel cratère de Lusi, était le résultat d'un forage mis en place par l'entreprise Lapindo, à la recherche de gaz naturel. Mais Lapindo se défend de ces accusations. Si l'on prouvait que l'entreprise était responsable du désastre, ce serait elle qui devrait payer tous les dommages causés par Lusi.
Le débat reste vif en Indonésie d'autant qu'il prend une teinte couleur politique : la famille qui contrôle Lapindo compte, à sa tête, Aburizal Bakrie, l'un des hommes les plus riches du pays et personnage clé du gouvernement actuel. Ces facteurs politico-économiques sont ressentis par les victimes de la boue comme pesant autant sur le débat que les arguments purement scientifiques.
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