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Indonésie/ Catastrophe naturelle

Les inondations : problème n°1 de Jakarta

par Solenn Honorine

Article publié le 05/02/2009 Dernière mise à jour le 06/02/2009 à 09:46 TU

Le mois de février à Jakarta est, traditionnellement, le pire pour 40% des habitants de la capitale indonésienne. C'est le temps des pluies les plus intenses, et des inondations à répétition qui envahissent les quartiers les plus pauvres, bloquent la circulation dans toute la ville et favorisent la prolifération des moustiques. Classées problème numéro 1 dans cette mégapole de 9 millions d'habitants (24 millions pour l'agglomération), ces inondations sont avant tout un problème créé par l'homme.

 

Deux heures après la pluie.(Photo : Solenn Honorine/ RFI)

Deux heures après la pluie.
(Photo : Solenn Honorine/ RFI)

De notre correspondante à Jakarta, Solenn Honorine

Chez Muharni, les inondations sont aussi régulières que les grosses marées : « Il n'y a rien à faire, juste regarder l'eau monter », soupire-t-elle. Aujourd'hui, toutes les possessions de cette famille modeste sont hissées sur les chaises et la commode en bois, formant des piles de quelques mètres de haut. On attend l'eau. « Si c'est vraiment grave –plus haut que les sièges de chaises– on ira dormir chez les voisins qui, eux, ont une maison à étage. » « Le pire, ce sont les déchets », raconte Muharni : « Lorsque l'eau se retire, on doit passer des heures pour nettoyer tout ce qu'elle a traîné dans la maison. Ce n'est pas sain tout cela pour les enfants, j'ai peur qu'ils attrapent la dengue ou des diarrhées ».

Phénomène unique à Jakarta, les quartiers bas de la ville (là où vit Muharni) tout au long de la côte, sont inondés par la mer à chaque grosse marée, à la fréquence moyenne d’une fois par mois. La situation est d'autant plus critique que l'on s'attend à une augmentation du niveau de la mer, due au réchauffement climatique : « Nous prévoyons une augmentation du niveau de la mer d'environ 5 centimètres d'ici à 2025, explique Hongjoo Ham, responsable infrastructures de la Banque Mondiale, qui ajoute que Jakarta s'affaisse déjà, en moyenne, de 5 centimètres par an ! ».

Poches aquifères vidées par les industriels et sol qui s'affaisse

Jakarta est une ville qui coule, pour une raison bien simple : l'extraction exagérée de ses eaux souterraines. Dans la capitale, où seulement 40% de la population est reliée au service public de l'eau, bien des industries, complexes immobilier ou gratte-ciels, se servent directement en eau grâce à des pompes privées qui vident les ressources souterraines. Les poches aquifères vidées, le sol s'affaisse ; certains endroits, comme autour du quartier de Muharni, ont déjà coulé de deux mètres, ce qui aggrave d'autant les inondations liées aux marées. « On pourrait freiner cet état de chose tout simplement, en produisant des lois (et en les appliquant bien) pour interdire le pompage des eaux. Mais pour cela, il faudrait une vraie volonté politique et un système de distribution de l'eau plus efficace », soupire Hongjoo Ham.

La situation à Jakarta est d'autant plus problématique que la mer n'est pas la seule source d'inondations. La ville est, littéralement, prise entre deux eaux : l'océan au Nord, et, au Sud, une ceinture de volcans dont les flancs ont été bétonnés pour faire place à des villas luxueuses où réside l'élite indonésienne. Lors des fortes pluies de début d'année, l'eau dévale les montagnes et vient se déverser rapidement dans la ville, provoquant encore plus d'inondations.

Canaux engorgés et non dragués

« Les inondations sont un phénomène créé par l'homme », insiste Hongjoo Ham. L'urbanisation galopante (doublement de la population en 40 ans, une tendance qui ne faiblit pas) est le principal responsable, puisque l'eau ne peut être absorbée par le sol suffisamment rapidement. Pourtant, la ville avait été dessinée pour pouvoir faire face aux fortes pluies. Le colon hollandais y a construit un système sophistiqué de canaux chargés d'évacuer les eaux vers la mer. Mais après des décennies de mauvais entretien, le système s'est grippé.

Les squatts situés près des réservoirs d'eau ne font qu'aggraver la situation.(Photo : Solenn Honorine/ RFI)

Les squatts situés près des réservoirs d'eau ne font qu'aggraver la situation.
(Photo : Solenn Honorine/ RFI)

A Mangga Dua, un quartier situé à un kilomètre de la mer, la pluie s'est arrêtée il y a deux heures, mais les rues baignent toujours dans l'eau. Le canal, lui, est noir, puant, gorgé de déchets qui flottent le long des maisons de bric et de broc qui forment le quartier. Ce canal devrait être le premier à être nettoyé, dans le cadre d'un ambitieux programme de lutte contre les inondations. « La situation est très mauvaise », constate Timor Worm, l'ingénieur hollandais qui supervise l'opération et forme des Indonésiens aux techniques de dragage des canaux. Plus de la moitié des détritus que ses machines sortent des canaux sont formés de déchets, généralement plastiques qui bouchent les canaux, empêchant ainsi leur bon fonctionnement et provoquant des inondations.

Un long travail d'éducation des populations

La lutte contre les inondations nécessite donc un long travail d'éducation de la population, de la gestion des déchets à l'utilisation des ressources en eau. Et surtout, elle demande une politique volontariste, qui commence lentement à se mettre en place. Fauzi Bowo, le maire de Jakarta, est le premier dirigeant de la capitale à avoir été élu à son poste, il y a un an.

Les inondations étant le problème numéro 1, sa réélection dépend de son action pour les éliminer, ce qui pourrait le pousser à l'action. La Banque Mondiale a mis en place un plan de lutte contre les inondations, qui pourrait, à moyen terme, réduire leur impact sur « seulement » 500 000 habitants –contre 2,5 millions aujourd'hui– et, à long terme, diminuer leur fréquence à une fois tous les 25 ans, plutôt que chaque année. « Le prix à payer est de 5 milliards de dollars, une somme énorme, mais bien moindre que le coût de l'inaction », affirme Hongjoo Ham.