par Charlotte Monégier
Article publié le 23/07/2009 Dernière mise à jour le 07/08/2009 à 09:14 TU
RFI : Comment définissez-vous les « émotions olfactives » ?
Moustafa Bensafi : Ce sont des sensations hédoniques qui peuvent être soit très déplaisantes comme le dégoût que l'on éprouve en reniflant les émanations d’une boule puante, ou au contraire agréables comme l'odeur d'un bon gâteau au chocolat sorti du four.
RFI : Comment ces sensations hédoniques s’articulent-elles dans notre cerveau ?
M.B. : Dans l’environnement, les odeurs n’existent pas en tant que telles, il n’y a que des molécules odorantes. Celles-ci ont la capacité de s’accrocher aux récepteurs olfactifs de la cavité nasale d’un individu, qui envoient alors des impulsions électriques dans les régions olfactives. C’est là que naissent les sensations hédoniques.
RFI : Quelles sont ces régions olfactives ?
M.B. : Il en existe deux types. La région olfactive primaire se situe dans le cortex piriforme du cerveau et va être impliquée dans la mesure de l’intensité des odeurs. La région olfactive secondaire se trouve, quant à elle, dans le cortex orbito-frontal et va distinguer les sensations de dégoût et de plaisir. Seulement voilà, notre laboratoire a découvert que la région primaire olfactive avait elle aussi son rôle à jouer dans les sensations hédoniques.
RFI : Que cela signifie-t-il ?
M.B. : Cela signifie qu' il y a une primauté de l’affect dans l’olfaction car il peut être traité dès les régions primaires du cerveau. Il s’agit donc d’un vrai sens émotionnel.
RFI : Ces résultats pourraient intéresser les industriels ? …
M.B. : Oui, et d'ailleurs nous collaborons avec certains d’entre eux. Par exemple, nous tentons de développer des outils de mesure des préférences olfactives avec le secteur de la parfumerie.
RFI : Comment vous y prenez-vous ?
M.B. : Nous utilisons des tests mis au point par des spécialistes. Par exemple, le psychologue Paul Ekman a développé avec ses collaborateurs un questionnaire permettant de mesurer l’humeur des individus. Une personne va sentir différentes fragrances puis va répondre aux questions du praticien. Ainsi, nous calculons l’impact de l’odeur sur son humeur. Nous travaillons aussi avec l’industrie de l’environnement. Pour elle, nous avons imaginé un test qui permet de mesurer la nuisance olfactive. Nos sujets d’étude sont des individus vivant près de lieux particulièrement gênants, comme les stations d’épuration des eaux. En répondant à nos questions, ils nous aident à obtenir des résultats qui serviront par la suite à améliorer la qualité de leur environnement.
RFI : Comment se déroulent vos expériences en laboratoire ?
M.B. : Il y a deux méthodes distinctes.
- La première est comportementale : le sujet entre puis il sent différentes odeurs qui sont diffusées par un olfactomètre, une machine que nous avons conçue pour l’occasion. Il répond ensuite à des questions.
- La seconde est neurologique : les odeurs sont également présentées par l’olfactomètre mais c’est l’activité cérébrale de l’individu qui va être mesurée.
RFI : De quelle manière ?
M.B. : Grâce à l’électroencéphalographie, qui donne des informations dans le temps, et l’imagerie par résonnance magnétique -ou IRM fonctionnelle-, qui enregistre les parties du cerveau impliquées dans la perception olfactive.
RFI : Quel type de recherches fondamentales menez-vous actuellement ?
M.B. : Nous étudions comment la culture peut moduler nos préférences olfactives. Nous travaillons pour cela avec des Français de souches européenne et nord-africaine, et nous comparons leurs réactions à l’odeur de la rose et du thé à la menthe.
RFI : Et à quelle conclusion êtes-vous arrivés ?
M.B. : Les personnes d’origine nord-africaine ont trouvé l’odeur de la menthe plus plaisante que les autres. Ceci est dû à leur culture et au fait qu’elles aient été plus exposées à ce parfum durant leur enfance.
RFI : N’y a-t-il donc rien d’inné dans cette préférence olfactive ?
M.B. : Nous sommes incapables de l’affirmer pour le moment. Mais nos études portent actuellement là-dessus…
Moustafa Bensafi (36 ans), chercheur au CNRS 1997 : stagiaire au laboratoire « Neurosciences et olfaction », à l’Université de Lyon I. « C’est là qu’a débuté mon engouement pour le traitement affectif des odeurs »1998 : thèse en psychologie cognitive sur le sujet. Il poursuit ensuite ses études lors de son post-doctorat à Berkeley, aux Etats-Unis. 2002 : publication qui pose la question de savoir si l’amnésie existe aussi pour les noms d’odeurs. 2004 : entrée au CNRS, au laboratoire « Neurosciences sensorielles, comportement, cognition » de l’Université Lyon I. 2008 : Moustafa Bensafi est récompensé pour ses travaux. Il reçoit la médaille de bronze du CNRS ainsi qu’un prix américain (1).
Avec son équipe, il prouve que « certaines odeurs sécrétées par l’espèce humaine -que l’on retrouve en quantité plus abondante chez l’homme que chez la femme- augmentent l’humeur positive des sujets féminins et modulent leurs réponses physiologiques ».
Le scientifique explique également le rôle que jouent l’enfance et la culture dans les préférences olfactives des individus.
Nombreux articles sur le changement des fonctions olfactives chez les femmes ménopausées (2) et sur l’influence du contexte dans les perceptions hédoniques des odeurs (3). |
Publications en anglais :
(1) Le Moskowitz Jacobs Inc. Award for Research Excellence in the Psychophysics of Taste and Smell
(2) Pouliot, S., Bourgeat, F., Barkat, S., Rouby, C. & Bensafi, M. (2008). Increase in anhedonia level in menopausal women is accompanied by a shift in olfactory function. Chemosensory Perception, 1, 43-47.
(3) Bensafi, M., Rinck, F., Schaal, B. & Rouby, C. (2007). Verbal Cues Modulate Hedonic Perception of Odors in 5-Year-Old Children as well as in Adults. Chemical Senses, 32, 855-862
Pour en savoir plus :
Consulter
- le dossier sagasciences du CNRS consacré à l'odorat
- un article en ligne sur les odeurs e la colère paru dans le Journal du CNRS
- la vidéothèque du CNRS pour le monde des odeurs en images
- le site de l'Université Lyon I et la publication de Nicolas Godinot sur La perception et catégorisation des odeurs par l'homme,
Site pédagogique sur la physiologie du système olfactif.
Centre européen des sciences du goût
Un article paru dans la revue américaine Pnas
Autour de l'odorat