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Anthropologie/ Géographie

Le savoir-faire des cartographes au service des minorités

par Dominique Raizon

Article publié le 29/09/2009 Dernière mise à jour le 29/10/2009 à 10:14 TU

De retour du jardin, en route pour le village, les femmes et les enfants font une pause au bord du fleuve pour se rafraîchir. Dans l'eau, on mange les patates douces qui viennent justes d'être récoltées et rôties sur place.(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

De retour du jardin, en route pour le village, les femmes et les enfants font une pause au bord du fleuve pour se rafraîchir. Dans l'eau, on mange les patates douces qui viennent justes d'être récoltées et rôties sur place.
(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

Des chercheurs français et brésiliens de l’Institut de recherche pour le Développement ont effectué en collaboration étroite avec les Mebêngôkre-Kayapos un travail de cartographie de leur territoire. Au-delà du simple outil de communication, la réalisation cartographique est tout de suite apparue à ce peuple indigène du Brésil comme un objet politique leur permettant de mieux définir les frontières et défendre à la fois leur territoire et leurs ressources contre, par exemple, l'intrusion de pêcheurs, d'exploitants de bois ou d'éleveurs.

Les jeunes Kayapos apprennent à lire la carte.Crédit: Anne-Elisabeth Laques, IRD

Les jeunes Kayapos apprennent à lire la carte.
Crédit: Anne-Elisabeth Laques, IRD

C’est en s'appuyant sur le travail d'une équipe franco-brésilienne de chercheurs anthropologues et géographes, que les Indiens Kayapos entendent désormais réparer le déni d'existence qui menace souvent les minorités ethniques.

Partant du constat que, jusqu'alors « aucun toponyme, aucun village, aucune trace de la terre indigène des Kayapos pourtant délimitée par l'Etat ne figurait sur les cartes régionales », l'objectif des chercheurs était de permettre la constitution d'une base de données géographiques susceptible de « montrer » la terre de ce peuple, mais aussi d'accompagner les Kayapos dans leur demande « d'appuyer [leurs] revendications territoriales, de valoriser un bon usage de la forêt, montrer l'union entre les villages [et] légitimer une parfaite connaissance du territoire », explique Pascale de Robert, anthropologuue à l'IRD (UMR 208) et associée au Museu Paraense Emilio Goeldi de Belem.

Réunion des Anciens du village et des leaders, suite à une intrusion de la Terre Indigène sur sa frontière nord: les cartes constituent une nouvelle arme de défense des droits constitutionnels et des territoires des minorités.Crédit : Adalberto Gonzales, IRD

Réunion des Anciens du village et des leaders, suite à une intrusion de la Terre Indigène sur sa frontière nord: les cartes constituent une nouvelle arme de défense des droits constitutionnels et des territoires des minorités.
Crédit : Adalberto Gonzales, IRD

Aujourd’hui, se réjouit cette chercheuse, « les cartes sont devenues un formidable enjeu de communication à la fois pour la communauté scientifique (telles par exemple que les nouvelles données issues des images satellitaires), pour les populations locales (revendication de droits fonciers, valorisation des savoirs) et pour toutes les institutions qui s’intéressent de près ou de loin à la gestion des territoires (gestion des ressources, aires protégées …).

Toponymie, chemins, scissions et migrations des groupes ...

Les jeunes Kayapos apprennent à se servir d'un GPS.Crédit: Anne-Elisabeth Laques, IRD

Les jeunes Kayapos apprennent à se servir d'un GPS.
Crédit: Anne-Elisabeth Laques, IRD

Les équipes ont, dans un premier temps, cherché à « déterminer et hiérarchiser chaque catégorie d'informations ». Le traitement numérique des images Landsat devait permettre l'identification des «objets» à individualiser (tel que réseau hydrographique, relief,  formations végétales, densité de canopées, implantations des villages ...).

« Le savoir faire du géographe donnait ensuite les moyens de combiner ces couches d'informations pour réaliser des cartes sur les dynamiques socio-écologiques. En procédant de cette manière, il était possible d'explorer la forêt à travers l'image ... », explique Pascale de Robert de l'IRD et Anne-Elisabeth Laques, de l'Université d'Avignon et des pays du Vaucluse.

Depuis les années 1990, les expériences d’ethnocartographie de l’usage des ressources naturelles par les groupes amérindiens se sont multipliées en Amazonie. Le travail réalisé par les Kayapos a été réalisé grâce à une « collaboration entre les générations où les jeunes ont appris à transcrire sur le papier une partie du savoir des anciens comme la toponymie et les chemins, les scissions et migrations des groupes, et à marquer surtout les frontières officielles de leur territoire. », explique Pascale de Robert.

Une femme grimpe sur le tronc lisse d'un palmier pour récolter l'açai.(Photo : Adalberto González)

Une femme grimpe sur le tronc lisse d'un palmier pour récolter l'açai.
(Photo : Adalberto González)

 Ces jeunes indiens se sont approprié les images livrées par le satellite baptisé « l’étoile qui marche » ; puis, dans un deuxième temps, ils ont reçu plusieurs formations pour relever des points GPS lors de leurs trajets en forêt avec l’objectif de représenter la diversité de leur ressources.

« L’un des éléments essentiels dans le déroulement de ce travail cartographique a été de redéfinir régulièrement les objectifs cartographiques : que voulons-nous dire? Au départ, explique Pascale de Robert, il s'agissait de tracer la frontière qui sépare la Terre indigène du reste du territoire, ce que les Kayapos ont dénommé 'pyka-yry qui sgnifie 'terre coupée'.

Aujourd'hui, on commence un nouveau projet qui vise la mise en place d'un système de surveillance de la ligne de frontière, via des images satellitaires et implique l'association Floresta Protegida AFP des Indiens Kayapos, l'IRD, le SEAS de Guyane française et des institutions publiques brésiliennes (PDPI, FUNAI).

Un travail scientifique et ... résolument politique

Jusque dans les années 1950, fidèles à leur réputation guerrière, la plupart des Kayapos ont refusé le contact avec les Kuben (« Blancs »), venus dans la région pour élever du bétail ou ramasser les noix du Brésil.

L'appropriation des nouvelles technologies par les Indiens Kayapos.Crédit : Claudia Lopez, IRD

L'appropriation des nouvelles technologies par les Indiens Kayapos.
Crédit : Claudia Lopez, IRD

Les temps ont changé : en s’initiant à la cartographie avec les chercheurs franco-brésiliens, les Kayapos ont « mis en carte des savoirs vernaculaires (…) ainsi que des documents qui se rapprochent des représentations de leur territoire » ...

Un travail scientifique et résolument politique en somme puisque, désormais, susceptible de les aider à défendre leurs revendications de droits fonciers et de valoriser leur savoir : les Kuben ne pourront plus dire que « notre Terre est vide », se réjouissent les Mebêngôkre-Kayapos : « nous aussi, nous sommes les habitants de la Terre »

Le village de Moikarakô habité par environ 400 personnes fait partie de la Terre Indigène Kaiapo dans le sud de l'Etat du Para.(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

Le village de Moikarakô habité par environ 400 personnes fait partie de la Terre Indigène Kaiapo dans le sud de l'Etat du Para.
(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

 

Au Brésil on dénombre 627 Terres Indigènes qui représentent près de 20% de la superficie de l’Amazonie.

Majoritairement sédentarisés, les Kayapos vivent dans des territoires situés dans le sud de l’Etat du Para et au nord de l’Etat du Mato grosso.

Une quinzaine de villages sont reconnus et homologués par le gouvernement fédéral (au total, 12 Terres indigènes).

Ce peuple indigène du Brésil occupe environ 13 M d’ha, avec une densité très faible de 0,09 hab au km².

Les Mebêngôkre-Kayapos utilisent les deux termes pour parler d'eux-mêmes mais à l'origine le mot 'Kayapo' était utilisé par des groupes ennemis pour les désigner de façon péjorative en les comparant à des singes à cause des masques rituels. On pense que de petits groupes vivent encore isolés dans la forêt.

Départ pour une cueillette collective de l'açai, ce palmier dont les fruits constituent un aliment très apprécié des Kayapos.(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

Départ pour une cueillette collective de l'açai, ce palmier dont les fruits constituent un aliment très apprécié des Kayapos.
(Photo : Anne-Elisabeth Laques/ IRD)

Pour en savoir plus :

Depuis le 25 septembre, le Salon transversal du Musée d'Histoire de l'Etat du Para à Bélem présente l'exposition Kayapo. Mebêngôkre nho pyka, Notre terre Mebêngôkre, est un hommage à l'échange culturel dans le cadre de l'Année de la France au Brésil : cette exposition est une initiative des Amérindiens Mebêngôkre- Kayapo.

Notre terre Mebêngôkre présente les résultats de récentes études en sciences humaines menées dans le cadre de la coopération scientifique franco-brésilienne entre l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD-France et IRD-Brésil)  et le Museu Paraense Emilio Goeldi (MPEG-Brésil).

2009 célèbre l'Année de la France au Brésil: différents événements ont pour ambition la poursuite et l'approfondissement des partenariats noués entre les instances culturelles et scientifiques.

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