Côte d''Ivoire
Calendrier de désarmement
Le Premier ministre Seydou Diarra a annoncé ce vendredi 20 février que le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) commencera le 8 mars. Son coût global a été chiffré à plus 60 milliards de francs CFA ( plus de 90 millions d'euros). Mais, «toutes les précautions ont été prises sur le plan des finances», a promis Seydou Diarra, depuis Bouaké, quartier général des ex-rebelles des Forces nouvelles (FN). Selon le chef du gouvernement de réconciliation nationale, «la Côte d'Ivoire est dans une phase active de réunification», après 18 mois d’une confrontation politico-militaire ouverte le 19 septembre 2002. La restauration de la souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire devrait être consacrée par un «conseil des ministres extraordinaire» qui sera présidé par le chef de l'Etat Laurent Gbagbo, à Bouaké à une date sur laquelle les anciens belligérants doivent encore s’entendre.
Le quartier général du DDR avait été installé dans l’ancien fief rebelle de Bouaké quelques jours après l'annonce de la fin de la guerre par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et les Forces nouvelles (FN), le 4 juillet 2003. Les opérations doivent démarrer dans cette même région, au centre du pays et concerner simultanément les forces gouvernementales, dont le commandement des opérations de guerre avait été basé à Yamoussoukro, et les FN, ancrées dans la région de Bouaké, au nord de la zone de la capitale administrative ivoirienne. Le DDR se poursuivra sur l’ensemble du territoire, à partir de 17 points de regroupement, 9 au nord et 8 au centre et au sud du pays. Tous devraient être fin prêts d’ici la fin de la semaine prochaine. Les anciens belligérants ont convenu que «l’ensemble des recrues enrôlées depuis le 19 septembre 2002» seront désarmés et démobilisés, à l’instar des recrues étrangères de l’un ou l’autre camp, tandis que les militaires en «activité avant cette date et bénéficiaires de la loi d'amnistie sont maintenus en service».
Après la levée volontaire de la majorité des barrage routiers et la remise des armes au ratelier à la mi-décembre 2003, Seydou Diarra avait déjà officiellement proclamé le démarrage du DDR, le 9 janvier dernier. Aucun calendrier précis n’avait été annoncé mais quelque 200 millions de francs CFA (300.000 euros) ont d’ores et déjà permis d’aménager le site de cantonnement de Yamoussoukro. Celui-ci dispose d’une «capacité» de DDR d’environ 300 combattants par jour. Des bâtiments abritent six dortoirs, mais le camp de Yamoussoukro dispose aussi d’extensions permettant des casernements provisoires sous tentes. Bien évidemment, aucun combattants n’aura à rendre les armes à son adversaire. La tache a été confiée aux «forces impartiales» françaises (environ 4 000 hommes déployés jusqu’aux confins nord depuis fin janvier) et ouest-africaines (1 300 casques blancs). L’Onu a promis des renforts pour conforter ces opérations de DDR et, plus tard, en 2005, assurer la sécurité des élections.
Seydou Diarra : «ancien combattant numéro 1»
Vendredi matin, Seydou Diarra a été lui-même symboliquement «désarmé» à Yamoussoukro, en présence de représentants des Fanci et des FN. L’ancien diplomate et homme d’affaires avait emprunté un treillis et une kalachnikov dont il a décliné le numéro de série en se présentant à l’immatriculation comme «l’ex-combattant numéro 1». Premier sur la liste du recensement, ses empreintes digitales enregistrées dans la base de données informatique, Seydou Diarra a reçu la carte qui inscrit les ancien combattant au registre des bénéficiaires du DDR. Il n’a bien sûr pas empoché l’enveloppe du pécule de sortie –dont le montant n’a pas encore été rendu public–, troquant en revanche son treillis d’un jour (sans combat) contre les vêtements civils qui seront offerts à ceux qui ne sont pas militaires de carrière. Ces derniers garderont l’uniforme en attendant leur affectation, à l’issue des opérations de DDR. Celles-ci pourraient concerner environ 40.000 hommes dont une moitié de civils, soldats d’occasion, qui, à la différence de Seydou Diarra, ont parfois approché un champ de bataille.
Le 17 février, Washington à promis de donner son feu vert à l'envoi de Casques bleus de l'Onu à la prochaine réunion du Conseil de sécurité, le 27 février prochain. Pour la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, «la délibération du Conseil de sécurité, qui devrait sauf difficultés de dernière minute permettre le déploiement d'une force de casques bleus, s'inscrit comme un élement-clé dans ce processus de consolidation du retour de la paix civile». Pour sa part, de passage à Paris, le président sénégalais Abdoulaye Wade a indiqué jeudi que son pays pourrait fournir un contingent à l’Onu, en plus de ses soldats déjà déployés dans la force ouest-africaine que la nouvelle mission onusienne (6000 hommes et 450 policiers au total) va intégrer. En revanche, le 19 février, le président burkinabé, Blaise Compaoré, lui aussi en visite privée à Paris, a jugé plus raisonnable de ne pas envoyer de troupes en Côte d’Ivoire. Nombre d’Ivoiriens ont en effet cru voir sa main derrière la rébellion.
Au sortir d’un entretien avec le président Jacques Chirac, Blaise Compaoré assure qu’il «travaille» au rétablissement de la confiance avec la Côte d'Ivoire. Saluant la «disponibilité des parties, aujourd'hui, à assumer leurs responsabilité vis-à-vis de l'accord de Marcoussis» signé en janvier 2003, le président burkinabé assure que «nous sommes engagés avec toute la communauté internationale dans la mise en oeuvre de ces accords». Mais «pour l'instant je ne vois pas de mission particulière pour le Burkina Faso», dit-il au passage, précisant quand même «je pense que c'est mieux que les casques bleus soient organisés avec des pays hors de la zone». A ses yeux, l’objectif est désormais de permettre «aux Burkinabé comme à d'autres étrangers en Côte d'Ivoire de vivre comme avant». Les déplacements de population provoqués par le conflit ivoirien sont aussi un souci majeur pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) à Abidjan qui vient justement de publier un rapport alarmant, en forme d’appel aux donateurs internationaux.
Ocha insiste sur le «risque accru d’une déstabilisation régionale faute d'un soutien suffisant à la Côte d'Ivoire», au moment où elle s’engage dans ce tournant décisif que constitue la mise en œuvre du DDR. Le 19 février, la Commission européenne a annoncé le décaissement de 30 millions d'euros pour la reconstruction du pays. Et il faudra bien d’autres concours financiers pour remettre la Côte d’Ivoire sur les rails de la reconstruction, sinon du développement. C’est vital, non seulement pour la Côte d’Ivoire, mais surtout pour la sous-région toute entière. Pôle économique régional et terre d’immigration, la Côte d’Ivoire est un élément clef de la consolidation-reconstruction en cours chez ses voisins du Libéria et de Sierra Leone, explique par exemple le rapport d’Ocha. L’organisation onusienne rappelle que sur plusieurs millions de Burkinabé vivant en Côte d'Ivoire, quelque 350.000 ont fui le pays. Mais au total, la population ivoirienne compte «au moins 25% d'immigrés ou de descendants d'immigrés» provenant de l’ensemble des pays voisins, parmi lesquels le Mali où sont revenus à la hâte quelque 82 000 personnes. Le cordon ombilical de ces deux pays enclavés est justement le port d'Abidjan, «deuxième port d'Afrique de l'Ouest, par lequel transitaient, avant la crise actuelle, plus de 70% du commerce extérieur du Mali et environ 80% de celui du Burkina Faso».
Au plan intérieur, garantir le succès du DDR est également d’autant plus crucial que, selon Ocha, le conflit a chassé du pays «52 000 Ivoiriens enregistrés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)» tandis que «500 000 personnes déplacées trouvaient refuge dans des familles d'accueil». Pour leur permettre de retrouver des conditions de vie normales, il faudrait «mobiliser la somme de 69 millions de dollars pour 2004». Cela aussi c’est vital parce que, étant donné la déshérence sociale générale et l’accroissement du chômage et de la pauvreté, «le retour des personnes déplacées dans leur zone d'origine pourrait exacerber les tensions inter et intracommunautaires qui subsistent malgré la fin du conflit. Sans un financement adéquat du désarmement, de la démobilisation et de la réconciliation, la situation pourrait se détériorer davantage». En clair, le DDR dépend en partie de la situation générale et vice-versa. Comme toujours, pour sortir de la guerre, il faut garantir la paix sociale. Il faut financer la paix pour que les armes ne soient plus un investissement lucratif.
Après la levée volontaire de la majorité des barrage routiers et la remise des armes au ratelier à la mi-décembre 2003, Seydou Diarra avait déjà officiellement proclamé le démarrage du DDR, le 9 janvier dernier. Aucun calendrier précis n’avait été annoncé mais quelque 200 millions de francs CFA (300.000 euros) ont d’ores et déjà permis d’aménager le site de cantonnement de Yamoussoukro. Celui-ci dispose d’une «capacité» de DDR d’environ 300 combattants par jour. Des bâtiments abritent six dortoirs, mais le camp de Yamoussoukro dispose aussi d’extensions permettant des casernements provisoires sous tentes. Bien évidemment, aucun combattants n’aura à rendre les armes à son adversaire. La tache a été confiée aux «forces impartiales» françaises (environ 4 000 hommes déployés jusqu’aux confins nord depuis fin janvier) et ouest-africaines (1 300 casques blancs). L’Onu a promis des renforts pour conforter ces opérations de DDR et, plus tard, en 2005, assurer la sécurité des élections.
Seydou Diarra : «ancien combattant numéro 1»
Vendredi matin, Seydou Diarra a été lui-même symboliquement «désarmé» à Yamoussoukro, en présence de représentants des Fanci et des FN. L’ancien diplomate et homme d’affaires avait emprunté un treillis et une kalachnikov dont il a décliné le numéro de série en se présentant à l’immatriculation comme «l’ex-combattant numéro 1». Premier sur la liste du recensement, ses empreintes digitales enregistrées dans la base de données informatique, Seydou Diarra a reçu la carte qui inscrit les ancien combattant au registre des bénéficiaires du DDR. Il n’a bien sûr pas empoché l’enveloppe du pécule de sortie –dont le montant n’a pas encore été rendu public–, troquant en revanche son treillis d’un jour (sans combat) contre les vêtements civils qui seront offerts à ceux qui ne sont pas militaires de carrière. Ces derniers garderont l’uniforme en attendant leur affectation, à l’issue des opérations de DDR. Celles-ci pourraient concerner environ 40.000 hommes dont une moitié de civils, soldats d’occasion, qui, à la différence de Seydou Diarra, ont parfois approché un champ de bataille.
Le 17 février, Washington à promis de donner son feu vert à l'envoi de Casques bleus de l'Onu à la prochaine réunion du Conseil de sécurité, le 27 février prochain. Pour la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, «la délibération du Conseil de sécurité, qui devrait sauf difficultés de dernière minute permettre le déploiement d'une force de casques bleus, s'inscrit comme un élement-clé dans ce processus de consolidation du retour de la paix civile». Pour sa part, de passage à Paris, le président sénégalais Abdoulaye Wade a indiqué jeudi que son pays pourrait fournir un contingent à l’Onu, en plus de ses soldats déjà déployés dans la force ouest-africaine que la nouvelle mission onusienne (6000 hommes et 450 policiers au total) va intégrer. En revanche, le 19 février, le président burkinabé, Blaise Compaoré, lui aussi en visite privée à Paris, a jugé plus raisonnable de ne pas envoyer de troupes en Côte d’Ivoire. Nombre d’Ivoiriens ont en effet cru voir sa main derrière la rébellion.
Au sortir d’un entretien avec le président Jacques Chirac, Blaise Compaoré assure qu’il «travaille» au rétablissement de la confiance avec la Côte d'Ivoire. Saluant la «disponibilité des parties, aujourd'hui, à assumer leurs responsabilité vis-à-vis de l'accord de Marcoussis» signé en janvier 2003, le président burkinabé assure que «nous sommes engagés avec toute la communauté internationale dans la mise en oeuvre de ces accords». Mais «pour l'instant je ne vois pas de mission particulière pour le Burkina Faso», dit-il au passage, précisant quand même «je pense que c'est mieux que les casques bleus soient organisés avec des pays hors de la zone». A ses yeux, l’objectif est désormais de permettre «aux Burkinabé comme à d'autres étrangers en Côte d'Ivoire de vivre comme avant». Les déplacements de population provoqués par le conflit ivoirien sont aussi un souci majeur pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) à Abidjan qui vient justement de publier un rapport alarmant, en forme d’appel aux donateurs internationaux.
Ocha insiste sur le «risque accru d’une déstabilisation régionale faute d'un soutien suffisant à la Côte d'Ivoire», au moment où elle s’engage dans ce tournant décisif que constitue la mise en œuvre du DDR. Le 19 février, la Commission européenne a annoncé le décaissement de 30 millions d'euros pour la reconstruction du pays. Et il faudra bien d’autres concours financiers pour remettre la Côte d’Ivoire sur les rails de la reconstruction, sinon du développement. C’est vital, non seulement pour la Côte d’Ivoire, mais surtout pour la sous-région toute entière. Pôle économique régional et terre d’immigration, la Côte d’Ivoire est un élément clef de la consolidation-reconstruction en cours chez ses voisins du Libéria et de Sierra Leone, explique par exemple le rapport d’Ocha. L’organisation onusienne rappelle que sur plusieurs millions de Burkinabé vivant en Côte d'Ivoire, quelque 350.000 ont fui le pays. Mais au total, la population ivoirienne compte «au moins 25% d'immigrés ou de descendants d'immigrés» provenant de l’ensemble des pays voisins, parmi lesquels le Mali où sont revenus à la hâte quelque 82 000 personnes. Le cordon ombilical de ces deux pays enclavés est justement le port d'Abidjan, «deuxième port d'Afrique de l'Ouest, par lequel transitaient, avant la crise actuelle, plus de 70% du commerce extérieur du Mali et environ 80% de celui du Burkina Faso».
Au plan intérieur, garantir le succès du DDR est également d’autant plus crucial que, selon Ocha, le conflit a chassé du pays «52 000 Ivoiriens enregistrés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)» tandis que «500 000 personnes déplacées trouvaient refuge dans des familles d'accueil». Pour leur permettre de retrouver des conditions de vie normales, il faudrait «mobiliser la somme de 69 millions de dollars pour 2004». Cela aussi c’est vital parce que, étant donné la déshérence sociale générale et l’accroissement du chômage et de la pauvreté, «le retour des personnes déplacées dans leur zone d'origine pourrait exacerber les tensions inter et intracommunautaires qui subsistent malgré la fin du conflit. Sans un financement adéquat du désarmement, de la démobilisation et de la réconciliation, la situation pourrait se détériorer davantage». En clair, le DDR dépend en partie de la situation générale et vice-versa. Comme toujours, pour sortir de la guerre, il faut garantir la paix sociale. Il faut financer la paix pour que les armes ne soient plus un investissement lucratif.
par Monique Mas
Article publié le 21/02/2004