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Quinquennat

Une remise en cause de l'équilibre des pouvoirs

Didier Maus, directeur de la Revue française de droit constitutionnel et professeur à l'Université Paris I, analyse les implications de la réduction de la durée du mandat présidentiel en France.
RFI: Quels sont les avantages et les inconvénients du quinquennat ?

Didier Maus : L'avantage théorique majeur serait de supprimer le risque de cohabitation en faisant coïncider le mandat présidentiel avec celui des députés. Logiquement, si les Français votent en même temps ou dans un espace de temps très limité pour le président de la République et les députés, on peut penser qu'ils voteront pour la même majorité, mais ce n'est pas une obligation ! L'inconvénient, c'est probablement de diminuer le rôle du Premier ministre et de renforcer par conséquent celui du président et peut-être de trop pérenniser le système présidentialiste que nous avons connu de 1958 à 1986, c'est-à-dire jusqu'à la première cohabitation.

RFI: Le quinquennat n'est-il pas une man£uvre politique ? Pourquoi le débat intervient-il maintenant ?

D.M.: Est-ce une man£uvre politique ? C'est difficile de répondre à la question. Le quinquennat va entraîner une révision importante de la Constitution. Mais à côté de son aspect constitutionnel, il y a aussi un aspect politique. C'est inévitable et c'est même logique. Pourquoi le débat intervient-il maintenant¯? Très honnêtement, je me pose la question comme beaucoup de gens. Le débat sur le quinquennat existe depuis près de 30 ans dans la vie politique française. Depuis en fait que Georges Pompidou, en 1973, a lancé un projet de révision là-dessus. C'est un thème récurrent que l'on retrouve régulièrement. Il y a plusieurs raisons à la résurrection du quinquennat: la première est que le Premier ministre, qui a toujours été favorable à la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, profite visiblement de l'ouverture faite par Valéry Giscard d'Estaing. La deuxième concerne VGE: est-ce une conviction de sa part ou y a-t-il un aspect de man£uvre politique? On a du mal à répondre ! Quant à Jacques Chirac qui n'était pas favorable au quinquennat, il le devient probablement pour des raisons de tactique politique ou peut-être pour ne pas se faire doubler par une alliance objective entre VGE et Jospin. Je pense qu'il se dit également qu'en 2002, il sera plus facile de se faire réélire pour cinq ans que pour sept. Mon sentiment est qu'il y a une coalition d'intérêt en faveur du quinquennat, plus qu'une détermination sur le fond. Sauf probablement pour Lionel Jospin pour qui ce mandat est un engagement ancien et réel.

RFI: Ce débat va-t-il modifier la date des élections législatives de 2002 qui doivent se dérouler avant le scrutin présidentiel ?

D.M.: En tout état de cause le calendrier de 2002 pose un problème que l'on ait le quinquennat ou pas ! Moi je suis de ceux qui pensent depuis septembre 1999 qu'il faut décaler les élections législatives pour les reporter un mois ou six semaines après l'élection présidentielle. Ceci simplement pour respecter la hiérarchie traditionnelle des élections sous la Ve République. Si d'ici 2002, la révision sur le quinquennat intervient, et nous avons toutes les raisons de penser qu'elle interviendra, alors là je crois très honnêtement qu'il faut décaler les législatives et donner un rythme normal aux opérations électorales: on élit d'abord le président de la République et ensuite on essaie qu'il ait une majorité de députés.

RFI: Se dirige-t-on vers un régime présidentiel à l'américaine ?

D.M.: Le régime présidentiel à l'américaine est quelque chose de très différent de ce que nous connaîtrions en France. Tout d'abord parce que les Etats-Unis sont une fédération de 50 états et que la France est un pays unitaire. Ensuite parce qu'il n'y a pas de gouvernement collectif au sens où nous l'entendons en France. Il n'y a pas une équipe de ministres autour du Premier ministre qui sont responsables devant l'Assemblée nationale. Aux Etats-Unis, il n'y a pas de responsabilité devant le Congrès. Et enfin la structure des partis politiques est complètement différente dans les deux pays. Maintenant, que va-t-il se passer en France si nous arrivons au quinquennat ? Sans doute une éclipse politique, une diminution du rôle du Premier ministre mais certainement pas une évolution vers le régime américain car nous ne sommes ni dans le contexte géographique, ni dans le contexte historique ou culturel des Etats-Unis. Il y aura probablement une autre évolution intéressante, originale et spécifique. Est-elle bonne, est-elle mauvaise ? On verra à l'usage.

RFI: Le quinquennat implique-t-il de changer les institutions actuelles ? En somme, est-ce la fin de la Ve République ?

D.M.: Ce n'est pas la fin de la Ve République. Si celle ci est un point fort du président de la République, le quinquennat ne fait que renforcer cet aspect particulièrement original et contestable de la Ve République. Le débat pour l'instant se limite au quinquennat, c'est-à-dire à la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Mais il y a un accord intellectuel entre les hommes politiques et les juristes pour dire que le quinquennat est beaucoup plus que cela : c'est une remise en cause d'une certaine forme d'équilibre des pouvoirs. Faut-il changer d'un seul coup le modèle institutionnel? Personne n'ose ouvrir cette boîte de Pandore. Est-ce que cela sera possible ou souhaitable après la prochaine élection présidentielle ? Il est trop tôt pour le dire. L'histoire constitutionnelle m'incite toujours à la prudence : les réformes ne donnent jamais les conséquences que l'on imagine.

RFI: Le quinquennat peut-il infléchir le rôle du Parlement ?

D.M.: Oui ! Le quinquennat n'est pas neutre vis-à-vis du Parlement et vous entendrez deux sons de cloche très différents. D'un côté il y a ceux qui disent que s'il y a coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, le rôle du Parlement va être réduit car les députés seront les porte-parole législatifs du président de la République. D'un autre côté, il y a ceux qui disent que si l'on renforce le rôle du président de la République, il serait logique que le Parlement joue un rôle plus important. Dans ce cas, il faut d'autres révisions constitutionnelles et il faut s'interroger sur la responsabilité du gouvernement, sur le droit de dissolution et l'équilibre entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Mais là c'est un thème que personne ne veut aborder, à juste titre, car cela serait remettre à plat la Ve République et personne n'ose le dire ni même, je crois, ne le souhaite.

RFI: Pourquoi les Français sont-ils massivement pour le quinquennat ?

D.M.: Si le quinquennat arrive jusqu'au référendum, ce qui est probable, il n'y aura pas 78% de oui dans les urnes comme le montre les derniers sondages. On aura, à mon sentiment, autour de 55% d'avis favorables et cela sera déjà beaucoup. On verra à ce moment la coalition des "contre" en tout genre: ceux qui sont contre le président de la République, contre le Premier ministre et contre tout, voter non par défoulement. Le quinquennat paraît sympathique et populaire aux yeux de l'opinion pour une raison simple: les Français aiment l'élection présidentielle et ils ont envie qu'il y ait régulièrement une élection claire autour de laquelle s'organise, pour une durée fixe, c'est-à-dire de cinq ans, le système politique français. Le oui massif dans les sondages est peut-être aussi une condamnation des cohabitations successives. Le quinquennat n'est-il pas d'une certaine manière une sanction des Français à l'égard d'eux-mêmes ?

RFI: Le quinquennat est-il une arme efficace contre la cohabitation ?

D.M.: Le quinquennat devrait réduire les risques de cohabitation. Est-ce que cela les supprimera totalement ? Personne ne peut le savoir. Si on se rapporte à l'histoire, qui est quand même source d'enseignement, on note qu'en 1988, François Mitterrand a été réélu président mais a perdu de quelques voix les législatives. Ce qui signifie que des élections législatives dans la foulée d'une élection présidentielle n'est pas une garantie automati



par Propos recueillis par Clarisse  VERNHES

Article publié le 30/05/2000