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Monnaie unique européenne

L'euro aspiré par le gouffre politique

La puissance actuelle de l'économie américaine n'explique pas à elle seule la chute de l'euro. Au delà de ses déboires conjoncturels, la monnaie européenne manque cruellement de volonté et d'unité politiques.
«L'Europeß? Donnez-moi son numéro de téléphoneß!», demandait en son temps l'ancien secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger, qui ironisait sur l'absence de pouvoir central dans l'Union européenne. Aujourd'hui, l'Europe serait bien en peine de donner les coordonnées de son ministre des Finances. Et pourtant, selon les experts, elle en aurait bien besoin. Car à défaut d'un centre de décision économique capable de parler d'une seule voix, d'imprimer une volonté, de maintenir un cap, ils ne voient guère comment l'Union pourrait enrayer la chute de l'euro. Et encore, disent certains, cela ne suffirait pas. Ce qu'il faudrait, c'est une véritable union politique, à tout le moins une volonté unitaire, une dynamique d'intégration avec une légitimité issue d'une adhésion des peuples européens. «Sans ce qu'on pourrait appeler une réassurance politique, la monnaie unique européenne ne peut que courir à l'échec», estime l'économiste Nicolas Baverez. Autrement dit: l'euro, instrument privé de tuteur politique, ne peut pas inspirer confiance.

Et c'est vrai que cette confiance, si importante en matière monétaire, semble faire défaut à tous les niveaux. Les marchés financiers, fort enthousiastes lors du lancement de l'euro le 1er janvier 1999, se méfient désormais d'une monnaie de moins en moins gouvernée. Les dossiers européens sont presque tous au point mort, la réforme des institutions n'avance pas, et le fameux couple franco-allemand, «moteur de l'Europe», est en crise. Comme si l'Europe ne savait pas où elle va. Résultat: les investisseurs préfèrent le dollar, faisant inexorablement chuter l'euro (-25% en un an et demi).

«L'euro pille la caisse des vacances»

Boudée par les marchés, la monnaie unique l'est aussi par les consommateurs européens. Selon l'Association française des banques (AFB), une part infime des chèques émis en France en mars 2000 étaient libellés en euros: 0,1%. En Allemagne, où l'instabilité monétaire rappelle les mauvais souvenirs de l'hyper inflation des années 30, près de 80% des personnes interrogées disent avoir «peu ou pas du tout confiance» en la monnaie unique. Le quotidien populaire Bild Zeitung titrait récemment: «L'euro pille la caisse des vacances».

Même les dirigeants européens semblent douter. Certes, ils ne cessent de déclarer officiellement leur confiance en l'euro, à l'instar du président français Jacques Chirac, de son Premier ministre Lionel Jospin, ou du chancelier allemand Gerhard Schröder. C'est le moins qu'ils puissent faire. Le moindre doute de leur part, pour peu qu'il soit affiché, provoquerait immédiatement un plongeon monétaire fatal. Reste que la construction européenne est bel et bien en crise, écartelée entre approfondissement et élargissement. «Le système européen ne marche pas bien», reconnaît le ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine. Ce dernier espérait que l'euro provoquerait «un choc fédérateur», sorte de big bang capable de générer un élan politique européen. Pour l'instant, son attente est déçue. Manque de cohésion ? Cµest ce qu'admet son collègue des finances Laurent Fabius: «L'unité politique de la zone euro n'est pas encore assez solide. Cela pèse sur l'euro».

C'est donc la chute libre. Aucune déclaration n'y fait, quelle vienne de la Banque centrale européenne (BCE) ou de l'Euro 11, cet organe informel chargé de coordonner les politiques économiques de la zone euro. Comment, maintenant, remettre en route cette locomotive européenne qu'est la volonté politiqueß? Ce sera la tâche majeure de la présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2000.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 11/05/2000