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Union européenne

Fischer et Chevènement débattent, Védrine arbitre

Le ministre allemand des Affaires étrangères a relancé le débat sur la finalité de l'Europe. Pour Joschka Fischer, elle sera fédérale ou ne sera pas. Parmi les réactions, celle, polémique, de Jean-Pierre Chevènement, et celle, plus diplomatique et plus concrète, d'Hubert Védrine: la réforme des institutions d'abord. L'Allemagne insiste: un projet fédéral avant 2004.
Berlin, 12 mai 2000: Joschka Fischer propose la construction d'une Europe fédérale

Le ministre allemand des Affaires étrangères prononce "à titre personnel" un discours qui va faire quelque bruit. Joschka Fischer y préconise une fédération européenne composée d'Etats-nations, dotée d'une constitution, d'un président élu au suffrage universel, d'un gouvernement et d'un Parlement à deux chambres. Cette fédération serait composée d'un "noyau dur" (quelques pays) que les autres auraient vocation à rejoindre. Immédiatement, le chancelier Gerhard Schröder endosse publiquement ses propositions. Quelques semaines plus tard à Paris, Joschka Fischer ajoute: "Je lance une mise en garde. Il faut faire le saut d'une Europe politique de façon consciente, sinon nous connaîtrons une crise grave".

Paris, 21 mai: la réplique de Jean-Pierre Chevènement


"L'Allemagne n'est pas encore guérie du déraillement qu'a été le nazisme dans son histoire". A peine le ministre français de l'Intérieur prononce-t-il cette phrase que Valéry Giscard d'Estaing se dit "scandalisé". "Le fait d'accuser les dirigeants allemands de retrouver plus ou moins une inspiration et une culture nazies, c'est insupportable", déclare l'ancien président. S'ensuit, dans les milieux politiques français, une longue controverse alternant mises au point, petites phrases assassines, et répliques en tous genres. D'où il ressort que le ministre de l'intérieur, s'il a confessé sa maladresse, n'a pas voulu dire que l'Allemagne de l'an 2000 avait quoi que ce soit de nazi, mais, au contraire, qu'elle voulait fuir ce traumatisme du passé dans "le post national, un fédéralisme flou", sorte de nouveau Saint Empire romain germanique. En Allemagne, on se refuse à polémiquer. Fin juin, Jean-Pierre Chevènement et Joschka Fischer sont invités par Le Monde et Die Zeit à débattre de leur vision de l'Europe. Une explication franche et courtoise, mais le désaccord persiste. Quelle Europe faut-il construire ? Le ministre français, pour qui chaque pays doit garder sa souveraineté, suggère une "association politique d'Etats-nations". "Ce n'est pas l'Europe!", rétorque le ministre allemand.

Paris, 31 mai: la mise au point d'Hubert Védrine

Hormis Jean-Pierre Chevènement, les dirigeants français commentent peu les propositions de Joschka Fischer. Ils se bornent à une réserve polie, les qualifiant d'"intéressantes", mais remettent le débat à plus tard. Le ministre français des Affaires étrangères, en revanche, décide d'en relever systématiquement les points obscurs. Et Hubert Védrine de dresser, au Sénat, une liste de questions.

"Si on crée un noyau dur, comment dressera-t-on la liste des pays qui en feront partie ? M. Fischer se garde bien d'y répondre. Dans l'hypothèse d'un tel noyau, quels seront les rapports de ceux qui en feront partie avec ceux qui n'en feront pas partie ? Quelles compétences, c'est la question centrale, resteront au niveau de l'Etat-nation et quelles autres seront transmises au niveau fédéral? Jusqu'à quand y aura-t-il un président français et un chancelier allemand ?", demande Hubert Védrine.

"Une Europe à quatre niveaux (des régions, des Etats, une fédération, et une Union élargie à trente membres) avec des autorités politiques, des exécutifs, des organes législatifs, une Commission, un Parlement, aurait une structure singulièrement enchevêtrée". Répétant que ce débat n'est pas au programme de la présidence française, laquelle doit avant tout mener à bien la réforme des institutions de l'Union pour préparer son élargissement, Hubert Védrine conclut: "Il est bon de songer à enrichir le débat, à stimuler les esprits, mais notre tâche, à cette heure, est plus modeste".

Bruxelles, 22 juin: L'Allemagne insiste, elle veut un projet fédéral d'ici 2004

Deux jours après le sommet européen de Feira, de hauts responsables allemands mettent en garde leurs partenaires: la revendication fédérale allemande doit être rapidement concrétisée dans les textes, avant la fin 2004. Selon l'agence Reuter, ces hauts responsables exigent qu'après la conférence intergouvernementale (CIG) qui doit s'achever à Nice en décembre 2000, une "nouvelle et importante CIG aborde les grandes questions". Parmi les sujets de ces négociations, qui seraient lancées dès le sommet de Nice: la répartition des pouvoirs entre les Etats et les structures de l'Union, et la rédaction d'une constitution. Les réactions à cette proposition semblent assez réservées. La "Constitution européenne" prônée par Jacques Chirac s'en rapproche, mais le président français s'est refusé à évoquer tout fédéralisme.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 28/06/2000