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Union européenne

Donner un poids politique à l'euro<br> <br>

Pour faire remonter un euro qui végète en dessous du dollar, la France fait sien le diagnostic de nombreux spécialistes: il faut à la monnaie européenne un vrai tuteur politique. D'où la volonté de donner du poids à l'Euro-11, l'instance qui réunit les ministres des Finances de la zone euro. Mais la BCE s'inquiète.
A-t-on mis la charrue avant les b£ufs ? Certains économistes, dont deux prix Nobel, le Français Maurice Allais et l'Américain Milton Friedman, avaient pourtant prévenu: une monnaie n'est viable que si elle émane d'un véritable pouvoir politique. Dans le cas de l'euro, on a fait l'inverse: la monnaie unique européenne d'abord, pour l'union politique on verra plus tard. Et voilà l'euro qui, en un an et demi, a perdu 20% de sa valeur par rapport au dollar. La Bundesbank tire le signal d'alarme: la monnaie européenne est "gravement sous-évaluée, ce qui met en péril sa crédibilité". En janvier 1999, les pronostics tonitruants de certains commentateurs ("l'euro va détrôner le dollar", "il ne faut pas un euro trop fort") auguraient d'une monnaie européenne vigoureuse.

C'était oublier qu'au delà de la force conjoncturelle du dollar, celui-ci a derrière lui l'énorme puissance américaine, première nation du monde avec sa diplomatie, son armée, et surtout son économie, véritable locomotive de la croissance mondiale. L'Europe, elle, n'a qu'un euro encore virtuel, certes flanqué d'une Banque centrale (BCE), mais émanant de onze pays aux économies laborieusement convergentes, avec chacune sa spécificité, sa conjoncture, et son ministre des Finances. Onze ministres qui ne parlent pas tous, loin de là, d'une même voix. Or, ce manque de coordination politique "est, à terme, mortel pour l'Union économique et monétaire", assure l'ancien ministre de l'économie Dominique Strauss-Kahn.

Que faire ? Renforcer les gouvernements face aux banquiers de Francfort, estime Paris, qui craint le rejet définitif d'une monnaie qui n'enflamme déjà pas les foules, à un an et demi de son arrivée dans les porte-monnaie. Le président Chirac, le Premier ministre Lionel Jospin, le ministre des Finances Laurent Fabius plaident pour accroître le rôle de l'Euro-11 au sein de l'Union monétaire. Cette instance informelle, initiée par la France, regroupe les onze ministres des Finances de la zone euro. Ne se réunissant discrètement qu'une fois par mois, sans porte-parole, elle n'a jamais brillé par sa présence sur la scène économique européenne. Il s'agirait donc de la rendre "plus visible, plus lisible et plus efficace", clament en ch£ur les ministères français.

"Monsieur euro, c'est moi "

Parmi les options qui seront examinées dans les six prochains mois: faire de la présidence tournante de l'Euro-11 la voix politique de l'euro, de sorte que, selon le ministre belge des Finances, "le ministre qui préside puisse clairement exprimer la sensibilité de la zone euro à l'égard des marchés". Un "monsieur euro", en quelque sorte. Autres possibilités: allonger le mandat de la présidence tournante (six mois actuellement), instaurer l'élection d'un vrai président pour un an, ou bien instituer une troïka. Cela obligerait à améliorer la coordination entre les membres de la zone euro. Certains Etats proposent d'aller plus loin dans la transparence. Ils souhaitent que l'Euro-11 communique davantage, notamment en publiant des documents et en expliquant par avance aux marchés la politique prévue en cas de ralentissement de la conjoncture.

Mais la tâche de la France ne sera pas facile. D'abord, elle devrait rencontrer de fortes réticences britanniques. La Grande-Bretagne s'était opposée à la création de l'Euro-11, de crainte d'être totalement marginalisée face à une instance à laquelle elle ne participe pas. L'Allemagne, de son côté, voyait dans l'Euro-11 un moyen détourné de remettre en cause l'indépendance de la BCE, calquée sur le modèle de la Bundesbank. Sa position serait toutefois moins hostile depuis l'arrivée du chancelier Schröder.

Reste la BCE elle-même. Jalouse de l'indépendance que lui confère le traité de Maastricht, elle voit d'un mauvais £il cette arrivée en force de la politique dans son jardin monétaire. Son président, le Néerlandais Wim Duisenberg, a déjà prévenu: "Monsieur euro, c'est moi".



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 28/06/2000