Indonésie
Massacre à Bornéo
La situation se normalise peu à peu sur l'île de Bornéo après un déchaînement de violences qui a duré une dizaine de jours. Plus de 450 victimes ont été recensées lors de la campagne d'épuration ethnique des Dayaks, les tribus autochtones de Bornéo qui ont entrepris d'expulser de leur province tous les migrants venus de l'île de Madura.
De notre envoyée spéciale à Bornéo
Il y a quelques jours encore, les rues de la ville de Sampit, l'épicentre des violences dans le sud de Kalimantan étaient jonchées de cadavres atrocement mutilés, décapités, le c£ur parfois arraché. Pendant dix jours, armés de sagaies et de machettes des gangs de Dayaks ont écumé la région, traquant les migrants madurais. Un bilan provisoire fait état de 469 morts mais il risque de s'alourdir. Des corps continuent à être retrouvés dans les villages environnants, d'autres flottent sur les rivières ou dans le port et les exécutions se poursuivraient dans l'épaisseur des forêts où plusieurs centaines sinon plusieurs milliers de Madurais sont encore cachés. Dans le massacre le plus terrible connu à ce jour, 118 hommes femmes, enfants bébés ont été exécutés à coups de machettes sur le terrain de football d'une petite ville perdue dans la forêt.
Les survivants ont été rassemblés dans la ville de Sampit transformée en un immense camp de réfugiés où ils attendent un bateau qui les emmènera vers les îles de Java et de Madura. Ils ont tout perdu. Leurs maisons ont été incendiées, beaucoup ont vu leurs proches ou leurs voisins sauvagement massacrés. Chacun transporte son drame. Usni, par exemple, dont le frère s'est suicidé parce qu'il n'a pas supporté de survivre à sa femme et ses trois enfants décapités sous ses yeux, Uryna, qui a perdu son père, son grand-père et son seul enfant et attend désespérément un bateau, une balle encore logée dans la poitrine, plusieurs orphelins ont le regard de ceux qui ont vu l'horreur.
Ils font pourtant partie des chanceux, de ceux qui ont pu s'enfuir à temps. L'arrivée dans le camp n'est toutefois qu'un soulagement provisoire. Les organisations humanitaires internationales qui commencent à arriver découvrent des conditions sanitaires déplorables. Plusieurs réfugiés sont déjà morts d'épuisement, de maladies et les diarrhées se multiplient.
Un problème ancien
Les violences de ces dix derniers jours ne sont malheureusement pas nouvelles. Le drame qui vient de secouer l'Indonésie prend racine dans des haines très anciennes. Pendant près de quarante ans, le gouvernement a transféré des centaines de milliers d'Indonésiens des îles surpeuplées de l'archipel vers des terres plus «vierges», dont Bornéo.
Les Dayaks, habitants originaires des forêts, ont été peu à peu marginalisés sur leurs terres. Le gouvernement a alloué des milliers d'hectares aux migrants, a développé les zones où ils s'installaient, repoussant toujours plus loin les Dayaks. Ils ont vu leur forêt disparaître. «Les Madurais employés dans les plantations sont devenus pour les Dayaks le symbole de la marginalisation économique et de l'oppression par le gouvernement central», explique Munir responsable d'une organisation de défense des droits de l'homme. Les Madurais ont en outre pris en main le commerce et commencé à diriger l'économie. «Nous n'avons aucun problème avec les Javanais ni avec les autres communautés mais les Madurais ne nous ont jamais respectés», raconte le chef des Dayaks de Sampit.
De fait, ces migrants n'ont jamais tenté de s'intégrer, se comportant comme des colons souvent violents et agressifs. «Chez eux une dispute se termine toujours par un meurtre», explique un observateur de longue date de l'île de Bornéo. A l'invasion aveugle de leurs terres, à la destruction de leur habitat, s'est ajoutée l'injustice. «Les Madurais qui tuent un Dayak ne sont jamais arrêtés ni jugés», note Ridwan Dobson, un homme d'affaires installé depuis dix ans dans la région. Abandonnés par le gouvernement central, les Dayaks ont décidé de se faire justice en retournant vers leurs traditions de meurtres rituels comportant la décapitation de l'ennemi. Une façon pour la nouvelle génération de se réapproprier sa culture et de réaffirmer son identité.
Les violences de Bornéo témoignent aussi de la faiblesse de l'Etat indonésien alors que la cohésion de l'archipel est menacée et que monte l'anarchie. La passivité des forces de sécurité qui ont assisté aux massacres sans intervenir ne peut manquer de soulever nombre de questions sur la capacité de l'armée à faire régner l'ordre ou sa volonté de contenir les troubles qui déstabilisent chaque jour davantage le président Wahid.
Il y a quelques jours encore, les rues de la ville de Sampit, l'épicentre des violences dans le sud de Kalimantan étaient jonchées de cadavres atrocement mutilés, décapités, le c£ur parfois arraché. Pendant dix jours, armés de sagaies et de machettes des gangs de Dayaks ont écumé la région, traquant les migrants madurais. Un bilan provisoire fait état de 469 morts mais il risque de s'alourdir. Des corps continuent à être retrouvés dans les villages environnants, d'autres flottent sur les rivières ou dans le port et les exécutions se poursuivraient dans l'épaisseur des forêts où plusieurs centaines sinon plusieurs milliers de Madurais sont encore cachés. Dans le massacre le plus terrible connu à ce jour, 118 hommes femmes, enfants bébés ont été exécutés à coups de machettes sur le terrain de football d'une petite ville perdue dans la forêt.
Les survivants ont été rassemblés dans la ville de Sampit transformée en un immense camp de réfugiés où ils attendent un bateau qui les emmènera vers les îles de Java et de Madura. Ils ont tout perdu. Leurs maisons ont été incendiées, beaucoup ont vu leurs proches ou leurs voisins sauvagement massacrés. Chacun transporte son drame. Usni, par exemple, dont le frère s'est suicidé parce qu'il n'a pas supporté de survivre à sa femme et ses trois enfants décapités sous ses yeux, Uryna, qui a perdu son père, son grand-père et son seul enfant et attend désespérément un bateau, une balle encore logée dans la poitrine, plusieurs orphelins ont le regard de ceux qui ont vu l'horreur.
Ils font pourtant partie des chanceux, de ceux qui ont pu s'enfuir à temps. L'arrivée dans le camp n'est toutefois qu'un soulagement provisoire. Les organisations humanitaires internationales qui commencent à arriver découvrent des conditions sanitaires déplorables. Plusieurs réfugiés sont déjà morts d'épuisement, de maladies et les diarrhées se multiplient.
Un problème ancien
Les violences de ces dix derniers jours ne sont malheureusement pas nouvelles. Le drame qui vient de secouer l'Indonésie prend racine dans des haines très anciennes. Pendant près de quarante ans, le gouvernement a transféré des centaines de milliers d'Indonésiens des îles surpeuplées de l'archipel vers des terres plus «vierges», dont Bornéo.
Les Dayaks, habitants originaires des forêts, ont été peu à peu marginalisés sur leurs terres. Le gouvernement a alloué des milliers d'hectares aux migrants, a développé les zones où ils s'installaient, repoussant toujours plus loin les Dayaks. Ils ont vu leur forêt disparaître. «Les Madurais employés dans les plantations sont devenus pour les Dayaks le symbole de la marginalisation économique et de l'oppression par le gouvernement central», explique Munir responsable d'une organisation de défense des droits de l'homme. Les Madurais ont en outre pris en main le commerce et commencé à diriger l'économie. «Nous n'avons aucun problème avec les Javanais ni avec les autres communautés mais les Madurais ne nous ont jamais respectés», raconte le chef des Dayaks de Sampit.
De fait, ces migrants n'ont jamais tenté de s'intégrer, se comportant comme des colons souvent violents et agressifs. «Chez eux une dispute se termine toujours par un meurtre», explique un observateur de longue date de l'île de Bornéo. A l'invasion aveugle de leurs terres, à la destruction de leur habitat, s'est ajoutée l'injustice. «Les Madurais qui tuent un Dayak ne sont jamais arrêtés ni jugés», note Ridwan Dobson, un homme d'affaires installé depuis dix ans dans la région. Abandonnés par le gouvernement central, les Dayaks ont décidé de se faire justice en retournant vers leurs traditions de meurtres rituels comportant la décapitation de l'ennemi. Une façon pour la nouvelle génération de se réapproprier sa culture et de réaffirmer son identité.
Les violences de Bornéo témoignent aussi de la faiblesse de l'Etat indonésien alors que la cohésion de l'archipel est menacée et que monte l'anarchie. La passivité des forces de sécurité qui ont assisté aux massacres sans intervenir ne peut manquer de soulever nombre de questions sur la capacité de l'armée à faire régner l'ordre ou sa volonté de contenir les troubles qui déstabilisent chaque jour davantage le président Wahid.
par Marie-Pierre VEROT
Article publié le 03/08/2000