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Etats-Unis

Trop de conventions dans la campagne électorale

A quoi servent les conventions des deux grands partis, se demandent les Américains à l'issue de la colossale kermesse démocrate qui s'est achevée le 19 août. L'élection présidentielle qui était, tous les quatre ans, la grande fête de la démocratie américaine, se transforme de plus en plus en foire publicitaire par télévision interposée. Une foire dans laquelle les vrais enjeux se perdent, tandis que les électeurs s'en désintéressent.
Foire, kermesse: les mots désormais utilisés pour désigner les conventions des grands partis illustrent une évolution inquiétante: la politique s'efface devant le spectacle. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles la participation à l'élection présidentielle ne cesse de décliner : elle n'atteint pas même 50 % des électeurs inscrits. Mais la poule est en train de dévorer ses £ufs d'or: l'audimat a tant baissé que, depuis douze ans, les grandes chaînes de télévision ont réduit des deux tiers leur temps de couverture des deux conventions.

Que voit donc sur son petit écran le téléspectateur moyen ? Une foule extatique et hurlante qui brandit des pancartes «L'Iowa pour Bush« ou «La Californie avec Gore«, d'innombrables intervenants qui ressassent les mêmes platitudes, des candidats si évidemment pris en main par leurs «handlers», un terme utilisé pour les dresseurs d'animaux, qu'ils ont perdu toute spontanéité. D'ailleurs, comment rester spontané lorsqu'on répète pendant des semaines les mêmes phrases soigneusement calibrées pour ne pas risquer d'y perdre le moindre bulletin de vote ? Le baiser passionné d'Al Gore à sa femme avant de prononcer son discours d'acceptation de candidature a fait hurler de joie l'immense hall de la convention démocrate de Los Angeles, tandis que les «Bushistes» commentaient avec mépris: «Rien que du show-biz !». Trois jours plus tard, Al Gore se croyait obligé d'assurer avec un sourire bon enfant qu'il avait alors été «un peu dépassé par les évènements«.

Le rôle indécent de l'argent

Les chaînes du câble, l'excellente mais pauvre télévision publique, et Internet diffusent des éléments plus substantiels du débat politique, mais ils ne s'adressent qu'à un public restreint et déjà motivé. La grande majorité des électeurs qui cherchent à s'informer doivent subir les innombrables interruptions publicitaires qui soulignent jusqu'à l'indécence le rôle essentiel de l'argent dans l'événement.

A la mi-août, à grand renfort d'appuis du business et d'événements plus ou moins mondains dont les participants sont requis de payer jusqu'à dix mille dollars un très mauvais dîner, le candidat républicain, George Bush, avait engrangé 93 millions de dollars et Al Gore, le démocrate, 53 millions. Des trésors de guerre qui servent à payer les exorbitants spots télévisés destinés à vanter les mérites de l'un et à dénoncer les insuffisances, voire les turpitudes de l'autre, mais qui n'exposent jamais clairement les programmes des concurrents. Une campagne de plus en plus nauséabonde, comme l'origine peu claire de certains fonds qui la subventionnent. La moralisation du financement des campagnes, prônée par les démocrates et quelques républicains, reste un serpent de mer dont on ne voit guère arriver la mise en £uvre.
Il s'est pourtant passé des choses intéressantes à la convention de Los Angeles. D'abord la brillante prestation de Bill puis d'Hillary Clinton. Lui, pour demander haut et fort ûcomme jadis Ronald Reaganû si les Américains vivaient mieux aujourd'hui qu'il y a huit ans quand il est entré à la Maison Blanche. La réponse était évidemment un «oui !» fracassant. Elle, jouant habilement sa carte de candidate au Sénat aux côtés des six sénatrices, toutes démocrates.

Le pari « révolutionnaire « d'Al Gore

Le jeu a été, dès lors, d'évaluer les chances d'Al Gore, jusqu'ici honnête et dévoué second du président, de faire oublier le charme et le punch de son patron. Il y a habilement réussi en choisissant un autre registre : celui des points précis sur lesquels il voulait améliorer encore la vie des Américains. Un jeu dangereux et quasiment révolutionnaire, puisque le vice-président reprenait presque en totalité le programme social que Clinton avait vainement tenté de faire adopter par le Congrès en 1993: couverture médicale pour tous, écoles maternelles publiques, subventions massives pour les écoles publiques, garantie des pensions de retraites. S'y ajoutait ce que les féministes américaines appellent désormais «la liberté de la reproduction«. Rien à voir, bien sûr, avec le programme de George W. Bush qui s'appuie traditionnellement sur la baisse des impôts et favorise le libéralisme économique, même s'il y ajoute de très vagues promesses qui se veulent, elles aussi, «sociales».

La prestation du vice-président potentiel d'Al Gore, Joe Lieberman, juif très orthodoxe, qui s'était distingué par ses violentes attaques moralisantes contre Bill Clinton, était, elle aussi, attendue avec impatience. Qu'est-ce qui a poussé le vice-président, démocrate pur sucre, à choisir un colistier, certes officiellement démocrate, mais marqué par des votes très conservateurs: hostilité à l'affirmative action (destinée à faciliter l'entrée des minorités, en particulier des Noirs et des femmes, dans la vie publique et professionnelle), réticences sur l'avortement et les fonds pour les écoles publiques, etc?

Le nouveau vice-président potentiel s'en est tiré en célébrant cette Amérique «unique» qui permet à un juif d'accéder à l'une des plus hautes charges de l'Etat (négligeant que la chose est loin d'être inconnue en Europe). Il n'a pas manqué de rappeler que son épouse était fille de «victimes de l'Holocauste« et a assuré qu'il avait changé d'avis sur plusieurs des questions litigieuses. Il a, au passage, souhaité un bon anniversaire affectueux à Maxine Waters, élue noire de Californie et l'une des gardiennes les plus sourcilleuses des avancées de sa communauté.

Joe Lieberman et les chrétiens fondamentalistes

La présence de Joe Lieberman aux côtés d'Al Gore est considérée avec méfiance, non seulement par les Africains-Américains, mais aussi par les juifs laïques et résolument de gauche, nombreux dans les professions libérales et les universités. Elle plaira en revanche aux chrétiens fondamentalistes du Sud, ceux-là même qui avaient, aux côtés du pasteur Falwell, acclamé Benjamin Netanyahou en janvier 1998 à Washington.

La Convention a aussi donné lieu aux manifestations d'une opposition citoyenne qui s'est refait une santé depuis son succès à Seattle. La police de Los Angeles, qui a la réputation d'avoir la main lourde, avait été priée de se modérer. Ce qui s'est, tout de même, traduit par pas mal de bastonnades et d'arrestations. L'American civil liberties union s'est empressée d'intenter un procès à la municipalité pour atteinte aux droits civiques.

Les distributeurs de tracts n'ont pas chômé: on a pu lire, entre autre, une surprenante attaque contre l'alimentation du jeune enfant au sein. Probablement initiée par quelques laboratoires fabriquant des fameuses formules de lait maternel qui font des ravages dans le tiers monde pour cause d'eau insalubre. Ailleurs, acteurs et techniciens de la radio-télévision protestaient contre les tentatives des producteurs de publicité pour la télévision par câble et sur Internet de les empêcher de se syndiquer et de profiter du boom que connaît le secteur.

En marge de la Convention, de nombreuses tables rondes ont permis de se faire une idée de l'Amérique selon Al Gore: bien peu d'allusions aux redoutables responsabilités planétaires de «la première puissance du monde», mais toujours une confiance inébranlable dans son génie.




par Nicole  Bernheim

Article publié le 01/09/2000