Etats-Unis
La seconde naissance d'Albert Gore Jr.
On le prenait pour un pâle clone de son patron, le flamboyant Bill Clinton: depuis qu'il est le candidat officiel des démocrates à la présidence des Etats-Unis, le vice-président Al Gore se révèle chaque jour plus pugnace, plus incisif, plus drôle. Portrait d'un des candidats parmi les mieux préparés à la fonction.
On le prenait pour un pâle clone de son patron, le flamboyant Bill Clinton: depuis qu'il est le candidat officiel des démocrates à la présidence des Etats-Unis, le vice-président Al Gore se révèle chaque jour plus pugnace, plus incisif, plus drôle. Portrait d'un des candidats parmi les mieux préparés à la fonction.
On le disait le contraire de son patron: à l'inverse de Bill Clinton, Albert Gore Jr. était réputé effacé, vertueux, mal à l'aise en public, avec son beau visage régulier et impassible, si typiquement «wasp» (white anglo-saxon protestant), et sa petite femme blonde, mère au foyer de quatre enfants. Depuis sept ans, il était l'héritier désigné, celui qui allait tout naturellement accéder à la Maison Blanche.
Les républicains ricanaient: à l'exception de George Bush, aucun vice-président n'a jamais été élu président. Ceux d'entre eux qui sont arrivés à la Maison Blanche, comme Gerald Ford ou Lyndon Johnson, c'était à la suite d'un «accident» (destitution de Nixon, assassinat de John Kennedy). D'ailleurs, ajoutait-on, Al Gore n'a été que le pâle clone d'un président déconsidéré (à défaut d'être destitué). L'affaire Lewinsky a engendré une «Clinton fatigue», ce qui, dans l'étrange jargon de la politique américaine, signifierait une désaffection totale de l'électorat pour l'héritier de Bill et son refus de ce qui s'apparenterait à un «troisième mandat Clinton».
Et puis, on a vu arriver un Al Gore transformé: on a su alors qu'il voulait vraiment la Maison Blanche, et qu'il allait faire une campagne, peut-être moins brillante que celles de Clinton, mais très bien ciblée et informée. Al Gore est sans doute l'un des candidats présidentiels les mieux préparés à l'accession à la Maison Blanche.
Sept ans d'apprentissage
Il a fait ses classes pendant sept ans. S'il ne s'est jamais mis en avant, c'était par conviction et loyauté à l'égard de son vieil ami Bill, mais aussi parce qu'il a beaucoup travaillé sur des dossiers difficiles: l'écologie (son discours de juin 1992 au Sommet de la terre, dans lequel il dénonçait déjà les méfaits du réchauffement de la planète par l'effet de serre, a fait date), ou les fameuses autoroutes de l'information, qu'il a été le premier à mentionner comme porteuses d'avenir. Chargé de nombreuses missions diplomatiques, il a noué de précieux liens d'amitié aux quatre coins de la planète, et notamment avec le patron de l'industrie gazière russe, Viktor Tchernomyrdine, alors Premier ministre.
Depuis qu'il est candidat officiel, Al Gore a aussi cultivé Wall Street, qui craint toujours de voir réapparaître des démocrates plus sensibles aux déshérités qu'aux faiseurs de richesses. Il a donc participé à de nombreux petits déjeuners de travail au World Trade Center et invité chez lui quelques financiers connus, dont George Soros, pour discuter de l'avenir de la formidable envolée de la Bourse sous la poussée de la «nouvelle économie».
Jeans, polo et musculation
La petite histoire raconte que le vice-président s'est préparé à une dure campagne électorale en faisant une cure d'amaigrissement et de musculation. Il troque de plus en plus souvent son complet-cravate pour un polo et des jeans si serrés qu'ils ont soulevé quelques commentaires: «Au moins, a remarqué un journaliste, on n'a pas besoin de lui poser la question jadis lancée au président: portez-vous un slip ou un caleçon?«
Ses intimes avaient toujours assuré qu'en privé, c'était un «rigolo», mais personne ne voulait les croire. Aujourd'hui, il apparaît non seulement dans les débats avec les journalistes les plus connus, mais aussi dans les spectacles de télévision qui mêlent politiques et amuseurs. A Los Angeles, il a fait un vrai succès dans le Tonight show de Jay Leno. Comme Leno lui demandait avec quel républicain il préférait débattre, Al Gore a répliqué: «Avec le perdant!»
Sa campagne contre son seul rival démocrate, Bill Bradley, l'a aidé à mieux cibler ses réponses et les attentes du public. Elle lui a aussi permis de se «décentrer» quelque peu, Bradley ayant pris des positions plus à gauche, en particulier sur l'école publique, la couverture médicale pour tous et la limitation des armes à feu. Al Gore peut désormais arguer du fait qu'il doit récupérer les partisans de Bradley pour se montrer plus ferme dans ces domaines. Et ne faire aucun cadeau à George Bush Jr., qui s'est enferré avec l'extrême droite en flattant les fondamentalistes du vieux Sud.
Comme Bill Clinton, Al Gore doit réunir les suffrages des «minoritaires»: pour mieux rallier les femmes et les jeunes, il a chargé sa fille aînée, Karenna Gore Schiff, de la responsabilité du réseau Gorenet. Il s'agit de profiter de l'engouement des jeunes pour le Web pour convaincre l'un des groupes les plus abstentionnistes de la population d'aller aux urnes.
L'appui de Bill, d'Hillaryà et des comiques
Quant à la supposée «Clinton fatigue», le président lui-même l'a dissipée en faisant une campagne très active de collecte de fonds pour les démocrates, réussissant à obtenir un million de dollars des participants à un dîner en Californie, et un autre million en Floride. De son côté, Hillary Rodham Clinton, qui fait campagne pour un siège de sénateur de l'Etat de New-York, a déjà accompagné deux fois son vieil ami Al lors de débats électoraux.
Al Gore peut aussi compter sur la complicité d'une partie du monde du spectacle dont les «bourdes» de George Bush junior font les beaux jours : un amuseur de la télévision canadienne lui ayant annoncé que le Premier ministre Jean Poutine avait décidé de le soutenir, le candidat républicain l'en a remercié en soulignant que ce supporter appréciait sans doute sa foi dans le libre-échange. Rires assurés: il n'est évidemment pas question que le Premier ministre canadien (il s'appelle Jean Chrétien) soutienne un candidat américain. Quant au mot poutine, qui devait vaguement rappeler quelque chose à George Bush, il n'a ici rien à voir avec le président russe: c'est un sandwich très populaire au Québec.
Al Gore aurait cependant tort de s'endormir sur ses premiers lauriers: la famille Bush est connue pour ne pas faire de quartier, quitte à utiliser les arguments les plus contestables et les moins élégants. George, le père, a eu l'occasion de le prouver lors de ses deux campagnes présidentielles. Le fils ne sera pas en reste, si l'on en croit ses déclarations enflammées dans le vieux Sud raciste.
Al Gore a d'ailleurs fait une grosse erreur politique en réclamant un statut de résident pour le petit Cubain rescapé d'un naufrage, alors que la communauté cubano-américaine de Miami se déchaînait pour empêcher son père de le reprendre. Al Gore s'est ainsi aliéné beaucoup de libéraux. Il lui faudra plus de courage la prochaine fois pour résister aux pressions électoralistes.
On le disait le contraire de son patron: à l'inverse de Bill Clinton, Albert Gore Jr. était réputé effacé, vertueux, mal à l'aise en public, avec son beau visage régulier et impassible, si typiquement «wasp» (white anglo-saxon protestant), et sa petite femme blonde, mère au foyer de quatre enfants. Depuis sept ans, il était l'héritier désigné, celui qui allait tout naturellement accéder à la Maison Blanche.
Les républicains ricanaient: à l'exception de George Bush, aucun vice-président n'a jamais été élu président. Ceux d'entre eux qui sont arrivés à la Maison Blanche, comme Gerald Ford ou Lyndon Johnson, c'était à la suite d'un «accident» (destitution de Nixon, assassinat de John Kennedy). D'ailleurs, ajoutait-on, Al Gore n'a été que le pâle clone d'un président déconsidéré (à défaut d'être destitué). L'affaire Lewinsky a engendré une «Clinton fatigue», ce qui, dans l'étrange jargon de la politique américaine, signifierait une désaffection totale de l'électorat pour l'héritier de Bill et son refus de ce qui s'apparenterait à un «troisième mandat Clinton».
Et puis, on a vu arriver un Al Gore transformé: on a su alors qu'il voulait vraiment la Maison Blanche, et qu'il allait faire une campagne, peut-être moins brillante que celles de Clinton, mais très bien ciblée et informée. Al Gore est sans doute l'un des candidats présidentiels les mieux préparés à l'accession à la Maison Blanche.
Sept ans d'apprentissage
Il a fait ses classes pendant sept ans. S'il ne s'est jamais mis en avant, c'était par conviction et loyauté à l'égard de son vieil ami Bill, mais aussi parce qu'il a beaucoup travaillé sur des dossiers difficiles: l'écologie (son discours de juin 1992 au Sommet de la terre, dans lequel il dénonçait déjà les méfaits du réchauffement de la planète par l'effet de serre, a fait date), ou les fameuses autoroutes de l'information, qu'il a été le premier à mentionner comme porteuses d'avenir. Chargé de nombreuses missions diplomatiques, il a noué de précieux liens d'amitié aux quatre coins de la planète, et notamment avec le patron de l'industrie gazière russe, Viktor Tchernomyrdine, alors Premier ministre.
Depuis qu'il est candidat officiel, Al Gore a aussi cultivé Wall Street, qui craint toujours de voir réapparaître des démocrates plus sensibles aux déshérités qu'aux faiseurs de richesses. Il a donc participé à de nombreux petits déjeuners de travail au World Trade Center et invité chez lui quelques financiers connus, dont George Soros, pour discuter de l'avenir de la formidable envolée de la Bourse sous la poussée de la «nouvelle économie».
Jeans, polo et musculation
La petite histoire raconte que le vice-président s'est préparé à une dure campagne électorale en faisant une cure d'amaigrissement et de musculation. Il troque de plus en plus souvent son complet-cravate pour un polo et des jeans si serrés qu'ils ont soulevé quelques commentaires: «Au moins, a remarqué un journaliste, on n'a pas besoin de lui poser la question jadis lancée au président: portez-vous un slip ou un caleçon?«
Ses intimes avaient toujours assuré qu'en privé, c'était un «rigolo», mais personne ne voulait les croire. Aujourd'hui, il apparaît non seulement dans les débats avec les journalistes les plus connus, mais aussi dans les spectacles de télévision qui mêlent politiques et amuseurs. A Los Angeles, il a fait un vrai succès dans le Tonight show de Jay Leno. Comme Leno lui demandait avec quel républicain il préférait débattre, Al Gore a répliqué: «Avec le perdant!»
Sa campagne contre son seul rival démocrate, Bill Bradley, l'a aidé à mieux cibler ses réponses et les attentes du public. Elle lui a aussi permis de se «décentrer» quelque peu, Bradley ayant pris des positions plus à gauche, en particulier sur l'école publique, la couverture médicale pour tous et la limitation des armes à feu. Al Gore peut désormais arguer du fait qu'il doit récupérer les partisans de Bradley pour se montrer plus ferme dans ces domaines. Et ne faire aucun cadeau à George Bush Jr., qui s'est enferré avec l'extrême droite en flattant les fondamentalistes du vieux Sud.
Comme Bill Clinton, Al Gore doit réunir les suffrages des «minoritaires»: pour mieux rallier les femmes et les jeunes, il a chargé sa fille aînée, Karenna Gore Schiff, de la responsabilité du réseau Gorenet. Il s'agit de profiter de l'engouement des jeunes pour le Web pour convaincre l'un des groupes les plus abstentionnistes de la population d'aller aux urnes.
L'appui de Bill, d'Hillaryà et des comiques
Quant à la supposée «Clinton fatigue», le président lui-même l'a dissipée en faisant une campagne très active de collecte de fonds pour les démocrates, réussissant à obtenir un million de dollars des participants à un dîner en Californie, et un autre million en Floride. De son côté, Hillary Rodham Clinton, qui fait campagne pour un siège de sénateur de l'Etat de New-York, a déjà accompagné deux fois son vieil ami Al lors de débats électoraux.
Al Gore peut aussi compter sur la complicité d'une partie du monde du spectacle dont les «bourdes» de George Bush junior font les beaux jours : un amuseur de la télévision canadienne lui ayant annoncé que le Premier ministre Jean Poutine avait décidé de le soutenir, le candidat républicain l'en a remercié en soulignant que ce supporter appréciait sans doute sa foi dans le libre-échange. Rires assurés: il n'est évidemment pas question que le Premier ministre canadien (il s'appelle Jean Chrétien) soutienne un candidat américain. Quant au mot poutine, qui devait vaguement rappeler quelque chose à George Bush, il n'a ici rien à voir avec le président russe: c'est un sandwich très populaire au Québec.
Al Gore aurait cependant tort de s'endormir sur ses premiers lauriers: la famille Bush est connue pour ne pas faire de quartier, quitte à utiliser les arguments les plus contestables et les moins élégants. George, le père, a eu l'occasion de le prouver lors de ses deux campagnes présidentielles. Le fils ne sera pas en reste, si l'on en croit ses déclarations enflammées dans le vieux Sud raciste.
Al Gore a d'ailleurs fait une grosse erreur politique en réclamant un statut de résident pour le petit Cubain rescapé d'un naufrage, alors que la communauté cubano-américaine de Miami se déchaînait pour empêcher son père de le reprendre. Al Gore s'est ainsi aliéné beaucoup de libéraux. Il lui faudra plus de courage la prochaine fois pour résister aux pressions électoralistes.
par Nicole Bernheim
Article publié le 21/08/2000