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Etats-Unis

L'« <i>hispanisation </i>» des <br> Etats-Unis inquiète la communauté noire

Le quasi-plein emploi que connaissent les Etats-Unis a accru l'immigration, ainsi que l'immigration clandestine. Au premier rang des nouveaux arrivants, légaux ou illégaux, les Latino-américains : ils n'ont jamais été aussi nombreux à franchir la frontière-passoire qui sépare la riche Amérique du Nord de la très pauvre Amérique centrale et du Sud.
Selon le dernier recensement, un habitant des Etats-Unis sur dix est aujourd'hui né à l'étranger. C'est le plus fort pourcentage de l'histoire du pays. Tandis que l'immigration d'Europe s'est considérablement ralentie, les nouveaux arrivants proviennent en grande majorité d'Amérique latine, et, pour une plus faible part, d'Asie. En dix ans, la population hispanophone a augmenté de prés de 40%, tandis que la population noire n'augmentait que de 14% et la communauté blanche de 7%.

Les « Latinos », qui étaient quelque vingt millions dans les années quatre-vingt, sont maintenant trente et un millions. Compte tenu de leur fécondité, ils dépasseront sans doute bientôt la communauté noire (35 millions), qui formait jusqu'ici la plus importante population minoritaire.

La communauté « hispanique » est particulièrement en évidence dans les anciennes colonies mexicaines que furent le Texas, la Floride, l'Arizona, le Nouveau-Mexique et la Californie. Mais aussi dans les grands centres urbains : New York, Chicago, Detroit, Atlanta. Les immigrés clandestins y sont aussi très nombreux, personne ne sait vraiment combien, car ils y retrouvent familles et relations qui les aident à trouver des emplois et à se fondre dans l'anonymat d'une population hétéroclite.

Los Angeles qui comptait 2 800 000 habitants en 1970, est passée aujourd'hui à 3 700 000, dont 50% de Blancs, 36% de Latino-américains et 8% de Noirs. La très grande majorité du personnel des services, en particulier des services hôteliers, est hispanophone. Il provient de pays à l'histoire très diverses, mais liés par une culture - la « raza » et une religion - le catholicisme - qui les distinguent fortement de l'Amérique « wasp » (blanche, anglo-saxonne et protestante). Ce sont, en très grande majorité, des réfugiés de la misère, même si, comme dans le cas des Cubains, la politique a joué parfois un rôle dans leur exil. Mais ils grimpent l'échelle sociale américaine au point que ceux qu'on appelait avec mépris « Chicanos » dans les années cinquante, se considèrent maintenant fièrement comme des « hispanophones ».

Los Angeles, ville latino

L'expansion latino-américaine n'est pas sans inquiéter la communauté afro-américaine. Déjà, en 1981, de très graves émeutes avaient éclaté à Miami lorsque la population noire, augmentée de nombreux réfugiés haïtiens, s'était plainte de ne plus trouver d'emplois dans l'hôtellerie qui leur préférait les Latino-américains. Les « Latinos » avaient sur les Noirs l'avantage de parler espagnol dans une région très fréquentée par les touristes hispanophones. Mais, moins avouable, leur image ne véhiculait pas celle d'anciens esclaves incultes auxquels la majorité blanche refusait par tradition de faire confiance.

Au printemps 1992, les émeutes sanglantes qui sont survenues à Los Angeles dans un contexte de chômage et de grave crise économique, a vu les Latinos se joindre aux Afro-Américains pour aller piller les prospères magasins coréens, symboles d'une société de consommation inaccessible aux « bronzés ». L'émeute s'était arrêtée tout prés de Hollywood après que la police locale a fait preuve de sa brutalité légendaire. En 1965, déjà, de graves émeutes noires avaient ravagé le quartier de Watts, faisant de nombreux blessés.
Dans la période de prospérité actuelle, ce n'est plus la misère qui inquiète la population noire, mais l'entrée massive des Latino-américains sur la scène américaine. Dans peu d'années, ils seront plus nombreux que les Afro-américains et leur poids économique et politique commencera à se faire sentir sur les institutions du pays. Les Latinos ont encore peu d'élus au Congrès, mais de plus en plus dans les instances locales. Leur importance politique naissante a été soulignée le jour où le candidat républicain à l'élection présidentielle, George W. Bush, peu suspect d'encourager la réduction de l'influence wasp, a paradé en anglais et en espagnol en compagnie de son neveu, un très beau garçon de vingt ans au physique hollywoodien, George Prescott Bush, fils de son frère Jeb, le gouverneur de Floride marié à une Mexicaine.
Les élus noirs ont eu beau jeu de ricaner que le jour où un candidat présidentiel se flatterait de compter un Afro-américain dans sa famille n'était pas pour demain.

L'amertume des Afro-américains

La communauté « latino » compte encore bien peu de super-riches et prés de 25 % de pauvres. Mais la « raza » est en train d'acquérir ses lettres de noblesse par la musique, les arts plastiques et les derniers succès du cinéma espagnol, « l'Espagne européenne » jouant un rôle économique et même politique de plus en plus important parmi ses anciens vassaux. Les mariages mixtes - wasp-latino - s'accroissent, alors que les couples noirs et blancs restent à peine moins rares qu'il y a vingt ans. Dans la Silicon Valley, qui a dû faire appel aux informaticiens étrangers, on trouve 49% de Blancs, 24% d'hispanophones, 23% d'Asiatiques (surtout Indiens et Chinois), mais 4% seulement de Noirs.

Ceux qu'on appelle maintenant les Afro-américains sont d'autant plus amers qu'ils se sentent un droit d'ancienneté aux Etats-Unis et qu'ils n'ont rien oublié du sang et des larmes que leur a coûtés leur encore récente pleine citoyenneté.

Les Latinos ne sont certes pas à l'abri des humiliations en tous genres, notamment de la part des « vrais » Blancs qu'ils appellent les « Anglos », mais ils bénéficient d'une faveur relative dans l'opinion en raison de la facilité avec laquelle ils se coulent dans le moule américain dés qu'ils ont pu intégrer le marché du travail, la solidité de leurs structures familiales et religieuses, le prestige d'une langue ancienne et riche qui est en train de devenir la deuxième des Etats-Unis. Mais peut-être aussi la spécificité d'une culture fière qui refuse de se laisser impressionner par le très discutable « modèle américain ». Il n'est pas jusqu'au « spanenglish », ce sabir hispano-américain qui devient sujet d'étude, alors que le « black english » a été torpillé sitôt né sous le prétexte qu'il n'était qu'une abominable perversion de la langue de Shakespeare et de Jefferson.

Les relations entre Latinos et Noirs paraissent, pour l'instant, relativement sereines. Mais que se passera-t-il si l'extraordinaire période de prospérité actuelle se termine par une grave crise économique doublée d'une nouvelle explosion du chômage, et si le petit peuple afro-américain se voit retirer les tâches les moins nobles et les moins rémunérés auxquelles il est aujourd'hui confiné ?



par Nicole  Bernheim

Article publié le 28/09/2000