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Burkina Faso

Un mausolée très controversé<br> pour Thomas Sankara

Le président Blaise Compaoré a décidé de faire ériger un mausolée pour son prédécesseur, Thomas Sankara, qu'il avait fait assassiner, avant de prendre sa place.
Après le Maréchal Mobutu, le président-capitaine Compaoré. Dans le cadre d'une «zaïrianisation forcée» de son régime, l'ancien dictateur zaïrois avait fait ériger des statues à Patrice Lumumba avant d'en faire un héros national, peut-être pour faire oublier son rôle très trouble dans l'assassinat, en 1961, de l'un des leaders indépendantistes les plus aimés et respectés en Afrique. Plus de trente ans après, Blaise Compaoré a décidé d'en faire autant avec son prédécesseur, Thomas Sankara, qu'il a fait assassiner par ses hommes de main en octobre 1987, avant d'en prendre la place au palais présidentiel de Ouagadougou. Alors qu'il avait constamment bénéficié de l'amitié et de l'aide de son compagnon d'armes, qui avait fait de Blaise Compaoré non seulement un «numéro deux» du régime mais aussi un «complice» et presque un membre de sa famille.

La veuve de Sankara réclame toujours «toute la vérité» sur son assassinat

C'est en avril 2000 que le gouvernement burkinabé a décidé très opportunément d'ériger un mausolée à celui que de nombreux Africains considèrent toujours comme un héros, ainsi qu'à d'autres personnalités «disparues ou décédées», dans le cadre d'une politique d'apaisement devenue de plus en plus nécessaire: de nombreuses disparitions politiques ont ponctué le régime Compaoré à commencer par celles d'autres compagnons d'armes (Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongoà). Et les manifestations de rues étaient devenues quasi quotidiennes au lendemain de l'assassinat d'un journaliste connu et apprécié, Norbert Zongo, par des membres de la garde présidentielle, à une centaine de kilomètres de la capitale, le 13 décembre 1998. Auparavant, le chauffeur de François Compaoré (frère du président) avait succombé aux tortures qui lui avaient été infligées par la garde présidentielleß: une affaire sur laquelle enquêtait Norbert Zongo. Tout récemment des condamnations ont été prononcées à l'encontre de certains gardes du corps de François Compaoré, mais «les commanditaires n'ont toujours pas été inquiétés», nous a déclaré le secrétaire général de RSF, Robert Menard.

Dans le cadre de cette politique d'apaisement, le gouvernement burkinabé envisage aussi d'entreprendre des démarches vis-à-vis des nombreux exilés politiques, en vue de leur retour au pays, mais aussi - dit-il - pour pouvoir ensuite «désengorger les tribunaux». Autant dire que cette opération pourrait faire avaler à l'opinion publique la pilule d'une amnistie déguisée profitant surtout à ceux qui ont commis des «crimes économiques» comme des «crimes d'Etat». Pour cela un Comité de mise en £uvre de la réconciliation nationale a été créé, dans le but de marginaliser le Collectif contre l'impunité qui s'est peu à peu imposé comme un interlocuteur très représentatif de l'état de l'opinion burkinabé.

On peut légitimement penser que la man£uvre en cours n'échappera pas à la population qui, tout en n'oubliant pas certaines mesures contraignantes du régime très nationaliste de Sankara, impute ces dérives plus à son entourage qu'au président. Malgré son jeune âge Sankara avait su s'imposer, au Burkina comme ailleurs sur le continent, à la fois par sa simplicité et sa détermination à lutter contre toute forme de corruption mais aussi d'ingérence étrangère. Pour cela, plus de treize ans après son assassinat, sa veuve continue en vain de réclamer «toute la vérité» sur ce meurtre. Une vérité que détient son successeur.

Madame Sankara a également déposé une plainte contre X, mais la cour d'appel de Ouagadougou l'a renvoyé devant les tribunaux militaires. Elle demande aussi une sorte de «réhabilitation de son mari », car Sankara avait alors été traité de «renégat» et «autocrate»par celui qui a aussitôt pris sa place. Et qui propose aujourd'hui d'en faire un héros.



par Elio  Comarin

Article publié le 06/09/2000