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Prix littéraires

Ahmadou Kourouma:<br>le diseur de dures vérités

Son roman Allah n'est pas obligé figurait dans les sélections de quatre grands prix littéraires (Goncourt, Renaudot, Fémina et Interallié) : c'était, déjà, une certaine reconnaissance. Le Goncourt allant à Jean-Jacques Schuhl, l'Ivoirien Kourouma est récompensé par le Renaudot. Coup de chapeau mérité à un auteur qui ne se regarde pas le nombril.
Quatre romans qui constituent déjà une fresque des malheurs d'un continent, mais pas seulement : les vrais héros n'en sont pas les assassins ou les dictateurs, mais les victimes, emportées par le grand vent de l'Histoire, du roi Djigui Keita qui ne pourra s'opposer longtemps aux troupes de Faidherbe (Monnè, outrages et défis), à Birahima, l'enfant-soldat du roman aujourd'hui primé de Kourouma, dont la seule marge de choix dans la vie est «de s'engager ou de mourir de faim». Condamnées, ces victimes ne se battent pas moins avec énergie, astuce et rage. Kourouma, lui, ne condamne pas : il donne à voir des images d'une région en proie à des remous qui sont «la conséquence directe de la division de la conférence de Berlin en 1884. C'est l'étape obligée vers la démocratie

S'il s'inspire du monde et de l'Histoire, ce matheux, ingénieur et spécialiste de la réassurance - Kourouma a exercé le métier d'actuaire jusqu'en 1994 : depuis, il écrit et voyage -, n'en a pas moins une imagination foisonnante. Il y donne libre cours dans les péripéties de ses récits, dans les situations que vivent ses nombreux personnages. Et, surtout, dans sa manière d'écrire le français : transposée du malinké, sa langue maternelle, une manière libre et inventive, à la syntaxe souvent éclatée. Autre point fort de Kourouma, le plus fort peut-être : son ironie mordante, son humour ravageur, sa manière d'allier intimement, quoi qu'il raconte, rire et tragédie.

Jean-Jacques Schuhl : mystère et nostalgie

Ingrid Caven, de Jean-Jacques Schuhl, tourne comme une caméra autour d'un personnage : la chanteuse, actrice et ancienne égérie du cinéaste allemand Fassbinder, femme ensuite aimée de l'écrivain. Autour d'un sentiment aussi : la nostalgie. Troisième roman d'un auteur discret après vingt-cinq ans de silence, il recrée l'atmosphère du Berlin des années 70 où se côtoient les créateurs, tout en évoquant, par fragments, citations et retours en arrière, tout à la fois la vie de la chanteuse et son portrait au cours d'une représentation. Portrait fascinant de la femme qui se produit seule, «mystère très rare, de certaines présences sur une scène». Ce mystère, «tout les mots du monde sont impuissants à le raconter, ils capitulent», écrit Schuhl. «Les siens, pourtant, a noté Josyane Savigneau dans Le Monde, ont réussi à approcher le fameux mystère (à) Il faudrait parler d'enchantement et désigner Schuhl comme un enchanteur».

Grâce au Goncourt et au Renaudot (respectivement : 50 francs et zéro franc de prix!), l'enchanteur et le conteur vont être lus par des centaines de milliers de lecteurs. Et Ahmadou Kourouma, le plus connu des deux du grand public français et francophone, aura tout loisir de poursuivre, à 73 ans une carrière désormais très bien partie!



par Henriette  SARRASECA

Article publié le 30/10/2000