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Présidentielle 2000

A Treichville, le PDCI colle au boycott

Le parti de feu Houphouët-Boigny maintient son mot d'ordre de boycott. Mais une partie de ses dirigeants poursuit sa campagne en faveur du «candidat du peuple» Robert Gueï. Dans le quartier populaire de Treichville, en revanche, les militants n'en démordent pas: personne ne doit participer à l'élection.


De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

«Je suis tellement écoeuré que je ne trouve pas les mots». Mahi Adama Touré n'a pas encore digéré l'exclusion de tous les candidats du PDCI, l'ancien parti unique, par la Cour suprême le 6 octobre dernier. Ce jeune responsable du parti d'Houphouët-Boigny à Treichville est catégorique: «Le mot d'ordre de boycott de l'élection présidentielle lancé par la direction du mouvement devrait être bien suivi. Nous ne voterons pas.» Dans ce quartier populaire d'Abidjan, l'un des plus anciens de la ville, on fait de la position adoptée par le mouvement une affaire de principe. De symbole aussi. Car c'est ici que fut créé le Parti démocratique de Côte d'Ivoire, en 1946, sous l'égide du «père de l'indépendance». «Quand on voit que le PDCI a été un parti unique pendant quarante ans, jusqu'à ce que la démocratie arrive, c'est inadmissible qu'on ne puisse aller aux élections sur des prétextes fallacieux», poursuit le représentant.

Dans ce fief du mouvement, dont le maire comme le responsable local du parti sont des proches de l'ex-président Konan Bédié, les militants ne se sont pourtant guère manifestés au lendemain du verdict de la Cour suprême. «Nous étions tous révoltés. Mais nous n'avons pas eu le réflexe d'aller dans la rue pour faire n'importe quoi. C'est ce que nos parents nous ont appris, c'est l'héritage d'Houphouët-Boigny», souligne Désiré Oborou, l'un des membres de la délégation du parti. Dimanche 22 octobre, l'ensemble des militants ont été fermement appelés à rester chez eux. «Nous leur avons dit de ne pas s'approcher des bureaux de vote pour qu'on ne nous accuse pas ensuite d'avoir voulu perturber le processus», explique-t-il.

«On connaît les Judas»

Autant dire qu'à Treichville, les hauts responsables ralliés au général Gueï, qui tentent de ramener l'électorat du PDCI vers le chef de la junte, sont vus d'un mauvais oeil. Plusieurs anciens proches d'Houphouët-Boigny et de Henri Konan Bédié font en effet partie de l'entourage rapproché du chef de la junte. Et plusieurs dizaines de députés de l'assemblée dissoute, menés par l'ancien président du groupe parlementaire PDCI, ont appelé à voter pour celui qui se nomme lui-même «candidat du peuple». «On aurait souhaité que les ralliés se taisent et ne fassent pas de déclarations à la presse», lance Mahi Adama Touré. «Depuis le coup d'Etat, nos responsables ont peur, car ils craignent de perdre leurs petits biens», renchérit Désiré Obrou.

Gonzales, l'un des dirigeants de la jeunesse PDCI de Treichville, reconnaît toutefois à mots couverts que «quelques» militants sont sensibles aux appels du pieds de ceux qu'ont surnomme désormais «les Judas». «Mais vous savez, ici on se connaît tous, on sait qui est qui et qui va faire quoi dimanche», souligne-t-il sourire aux lèvres, avant de justifier fièrement le boycott du premier tour de la présidentielle: «nous ne sommes pas des lézards pour casser nos buttes avec nos queues!»

Dans ce quartier cosmopolite, qui compte beaucoup de ressortissants du nord ou de pays d'Afrique de l'ouest, la base du PDCI ne semble en revanche pas du tout choquée d'entendre parler d'une éventuelle stratégie commune entre ses dirigeants et ceux du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d'Alassane Ouattara, exclu de la course à la magistrature suprême, mais aussi ennemi juré de l'ex-président Konan Bédié. «Je serai heureux qu'ils concluent un accord, s'exclame Désiré Obrou. Après tout le RDR est né d'une scission avec le PDCI. Nous sommes les héritiers d'Houphouët. Avec le Front populaire ivoirien, nous ne devrions jamais faire d'alliance. Le Front républicain qui unissait le RDR et le FPI (en 1995) était un scandale.» Il en veut pour preuve l'opposition ancienne de son leader, Laurent Gbagbo, à l'houphouëtisme.

Dans ce vieux quartier d'Abidjan où les militants se disent prêts à des actions communes avec le mouvement d'Alassane Ouattara, la décision de la Cour suprême ivoirienne aura en tous cas entraîné un étonnant renversement, puisque le camp du «tout sauf Ouattara», qui a réunit un temps la junte au pouvoir, le FPI et le PDCI, a clairement fait place au «tout sauf Gueï et Gbagbo». Mais on est aussi sans illusion sur le scrutin à venir: «les dés sont pipés, c'est une mascarade», conclut Mahi Adama Touré.

par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 20/10/2000 Dernière mise à jour le 19/10/2010 à 15:19 TU