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Sénégal

Le présidentalisme fâche <br>les alliés de Wade

Le projet de nouvelle constitution sénégalaise ébranle la majorité. Le ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat, Amath Dansokho, a été limogé après avoir critiqué le texte constitutionnel défendu par le président Abdoulaye Wade. Le départ du gouvernement du secrétaire général du Parti pour l'Indépendance et le Travail (PIT), une des composantes de la coalition au pouvoir, provoque la première crise gouvernementale, huit mois après l'alternance.
i>De notre correspondant à Dakar

Au lendemain de l'alternance, les Sénégalais, dans leur immense majorité, s'attendaient à la mise en place de nouvelles institutions conformément aux engagements électoraux du président élu. Ce dernier, soutenu par plusieurs partis politiques dans le cadre du Front pour l'alternance, avait promis de nombreuses réformes constitutionnelles : la dissolution de l'Assemblée Nationale, suppression du Sénat, mise en place d'un régime parlementaire et indépendance de la justice.

Huit mois après cette fameuse alternance, force est de reconnaître que les choses ont du mal à être amorcées sérieusement. Le débat sur le projet de nouvelle constitution que le président Wade compte faire adopter par voie référendaire est si passionné qu'il a fait voler en éclats la solidarité et la cohésion du gouvernement dit de l'alternance. Et les observateurs les plus avertis en sont à se demander si ce n'est pas la fin de l'état de grâce qui survient pour le chef de l'Etat.

Pas de régime parlementaire

Ainsi, un malaise persistant s'est installé au sein de la coalition au pouvoir et se traduit par des prises de position souvent virulentes de la part de partis alliés au président de la République et siégeant au gouvernement. Cet état de fait provient du sentiment largement partagé que le président Wade est en train de tourner le dos à ses engagements électoraux, notamment pour ce qui est du régime politique à mettre en place. On se souvient qu'entre les deux tours de l'élection présidentielle, c'est essentiellement autour de la question du régime politique que s'était scellée l'alliance entre Me Wade et Moustapha Niasse, arrivé en troisième position. A l'issue d'une rencontre historique, Moustapha Niasse avait annoncé à la presse qu'en cas d'alternance le nouveau pouvoir allait instaurer un régime parlementaire. Il ne faisait aucun doute, aux yeux de l'opinion, que Abdoulaye Wade avait bel et bien souscrit un tel engagement. Si le président est aujourd'hui acculé par ses partenaires au pouvoir, c'est parce que ces derniers jugent qu'il a renié cette promesse.

En effet, le projet de nouvelle constitution élaboré par le président Wade n'a pas recueilli l'agrément des partis qui l'ont porté au pouvoir. Tous ces partis ont déploré vivement le secret qui a entouré l'élaboration de l'avant-projet de constitution. Ils se sont tous offusqués de n'avoir pas été associés à sa conception. Ils ont notamment reproché au président de la République d'avoir eu recours en catimini à une commission technique présidée par le Garde des Sceaux et composée de praticiens du droit et d'universitaires. Cette démarche n'a pas plu aux partis membres de la coalition, qui considèrent que l'élaboration de la nouvelle constitution devait être précédée d'un large débat au sein de cette structure et au sein de l'opinion publique.

A la réprobation sur la forme, est venu s'ajouter un désaccord total sur le fond. L'expectative et la prudence que les partis de la coalition ont observées jusqu'ici ont cédé la place à des prises de position fort critiques dès que ces partis ont pris connaissance des véritables intentions du chef de l'Etat sur le régime politique qu'il compte mettre en place. Ces révélations présentent bel et bien un régime présidentiel avec des pouvoirs accrus du président de la République. Ce qui va à l'opposé du programme auquel Me WADE a souscrit et qui se prononce clairement en faveur du régime parlementaire.

Les nombreuses dénégations du président de la République ainsi que ses valses hésitations n'ont pu convaincre ses partenaires au pouvoir qui semblent désormais persuadés que le régime parlementaire n'est pas dans les intentions de Me Wade. Dans ces conditions, la coalition au pouvoir ne cesse de se fissurer. Il ne se passe pas de semaine sans qu'un des partis de cette coalition ne diffuse un communiqué de son bureau politique pour exiger du président Wade qu'il respecte ses promesses électorales notamment l'installation d'un régime parlementaire.

Le Premier ministre Moustapha Niasse lui-même, leader de la principale force de la coalition, ne se sent lié par une quelconque obligation de réserve sur ce chapitre. A l'occasion du séminaire d'évaluation et d'orientation de son parti tenu à la fin du mois dernier, il a fermement appelé le président de la République au respect des promesses électorales. Depuis lors, et quasiment tous les jours, un des autres chefs de parti lui emboîte le pas et abonde dans le même sens que lui.

Ainsi, au fur et à mesure qu'on s'approche du référendum de janvier et des législatives anticipées de mars 2001, une tension vive et nourrie par une féroce bataille de positionnement monte dans le cercle du pouvoir de l'alternance. On y scrute des départs et autres limogeages que vient d'inaugurer Amath Dansokho, ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat, démis de ses fonctions par le président Wade sans doute excédé par l'adversité soudaine mais résolue de ses partenaires. Ce dernier entend demeurer seul maître à bord avec la plénitude de ses prérogatives présidentielles. C'est un coup de semonce qu'il a tenu à donner en écartant le Secrétaire général du PIT du gouvernement. Celui-ci est devenu ainsi la première victime politique de ce débat décidément ravageur sur le projet de nouvelle constitution du Sénégal. Y en aura-t-il d'autres ? Tout permet de répondre par l'affirmative quand on sait que Me Wade a eu à déclarer que « ce gouvernement ne reflète pas son ambition ».

Pour l'heure, tous les regards se tournent vers le Premier ministre Moustapha Niasse. Mais Me Wade reste dos au mur, acculé qu'il est par la double exigence de conserver sa majorité et de se doter de moyens de gouverner en président non dépouillé et intraitable.



par A Dakar, Pape  TOURE

Article publié le 29/11/2000