Algérie
Mais qui a tué Lounès Matoub ?
Deux assassins présumés du chanteur contestataire kabyle Lounès Matoub devaient comparaître le 20 décembre devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou, la « capitale » de la Kabylie située à quelques 100 kilomètres à l'est d'Alger, au moment où le pays fait face à une nouvelle flambée de violence terroriste, attribuée aux groupes islamistes ( les GIA). En deux jours seulement, quatre attentats différents ont provoqué la mort de soixante personnes, pour la plupart des civils, dans des villes situées à l'ouest, au sud et à l'est d'Alger, généralement après la rupture du jeûne du Ramadan. Finalement, le procès a été reporté sine die, à la demande de la défense.
Dix personnes sont officiellement accusées "d'assassinat, complicité d'assassinat, tentative d'assassinat et participation à un groupe terroriste", mais deux seulement vont comparaître, les autres étant officiellement en fuite. Lounès Matoub avait été assassiné, le 25 juin 1998, dans une embuscade tendue sur la route reliant Tizi-Ouzou au village Taourirt Moussa, en Kabylie, par un groupe armé qui a ostensiblement « signé » son geste en criant « Allah akbar ! », après avoir tiré à bout portant sept balles - dont deux mortelles - sur le chanteur kabyle au volant de sa Mercedes. Son épouse et ses deux belles-s£urs, qui l'accompagnaient, avaient été grièvement blessées.
Cet assassinat avait aussitôt provoqué de sanglantes émeutes dans toute la Kabylie, plusieurs jours durant. Aux cris de « pouvoir assassin ! ». Car Lounès Matoub n'était pas seulement un chanteur engagé : défenseur acharné de la culture et de la langue berbères, et farouche opposant aux militaires au pouvoir comme aux terroristes islamistes, il aimait aussi la provocation sous toutes ses formes : « Tête brûlée, au volant de sa Mercedes, dès qu'il voyait un flic, il accélérait, a dit un ami du chanteur. Il n'y avait que lui pour se permettre ça. Il y avait un côté sacrificiel chez lui ». Ce qui ne pouvait que conforter sa légende. Une légende qui fait désormais partie de la grande histoire de la Kabylie.
Son assassinat avait été revendiqué par un groupe dissident du GIA, quelques jours après les faits. Mais cette revendication « islamiste » n'avait guère convaincu les proches de Lounès Matoub. Pour la Fondation Lounès Matoub, qui a demandé le report du procès, il s'agit d'une "mascarade", car des témoins importants n'ont pas été entendus. Pour sa s£ur Malika, « plusieurs zones d'ombre » subsistent, et ce d'autant plus que l'enquête a été littéralement bâclée : pas de rapport d'autopsie, pas d'analyse balistique, pas de reconstitution. Les trois femmes blessées n'ont été interrogées qu'une seule fois, quatre mois après l'attentat, par un juge qui n'avait visiblement pas envie d'entendre l'une d'elles - Ouarda - affirmer qu'elle pouvait reconnaître au moins deux des agresseurs. « Le juge a fait comme si elle n'avait rien dit », a déclaré sa soeur.
A Tizi-Ouzou on est convaincu que cette « affaire » est plus politique que pénale, et que la « version islamiste » arrange bien les généraux qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. C'est aussi ce que révèle par la suite le MAOL (Mouvement algérien des officiers libres, basé à Madrid), qui est visiblement bien renseigné sur les hautes sphères dirigeantes. Pour lui, l'assassinat de Lounès Matoub a été décidé lors d'une réunion de très haut niveau de généraux du « clan Lamari », faisant partie de "la mouvance laïque constitutée d'ex-officiers de l'armée française qui a pris la tête de l'ANP" (armée algérienne). Participaient aussi à cette réunion un représentant du RCD (l'activiste berbère Khalida Messaoudi) et le chef "d'une des plus importantes milices", Nourredine Aït Hammouda. Cette réunion avait pour but d'éliminer progressivement le président Liamine Zeroual et son protégé, le général Betchine.
En faisant assassiner Lounés Matoub par des « islamistes » liés aux services secrets ( la DRS), ces « généraux de l'ombre » visaient à provoquer le soulèvement de la Kabylie contre l'islamisation en cours et voulue par le « clan du président Zeroual ». L'officier « infiltré dans un groupe armé dans les monts de Sidi » s'appellerait Ali Bounab, mais il « répondait au pseudonyme de capitaine Riadh, alias Abou Doudjana ». Celui-ci se faisait passer pour un déserteur de la gendarmerie, et est vite devenu conseiller de Hassan Hattab, qui dirigeait déjà le GIA de l'est algérien, appelé actuellement GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat).
Toutefois, Hassan Hattab, responsable de la plupart des actes terroristes dans cette région, n'aurait pas obéi à l'ordre de liquider le chanteur kabyle. Ce qui aurait obligé le capitaine Riadh à contacter de nouveaux les commanditaires. Ceux-ci auraient finalement fait appel à une « deuxième équipe » pour liquider Lounès Matoub : des miliciens qui ne seront pas entendus par le tribunal de Tizi-Ouzou. Ils ont été liquidés peu après, lors d'une embuscade tendue par le « capitaine Riadh ».
Cet assassinat avait aussitôt provoqué de sanglantes émeutes dans toute la Kabylie, plusieurs jours durant. Aux cris de « pouvoir assassin ! ». Car Lounès Matoub n'était pas seulement un chanteur engagé : défenseur acharné de la culture et de la langue berbères, et farouche opposant aux militaires au pouvoir comme aux terroristes islamistes, il aimait aussi la provocation sous toutes ses formes : « Tête brûlée, au volant de sa Mercedes, dès qu'il voyait un flic, il accélérait, a dit un ami du chanteur. Il n'y avait que lui pour se permettre ça. Il y avait un côté sacrificiel chez lui ». Ce qui ne pouvait que conforter sa légende. Une légende qui fait désormais partie de la grande histoire de la Kabylie.
Son assassinat avait été revendiqué par un groupe dissident du GIA, quelques jours après les faits. Mais cette revendication « islamiste » n'avait guère convaincu les proches de Lounès Matoub. Pour la Fondation Lounès Matoub, qui a demandé le report du procès, il s'agit d'une "mascarade", car des témoins importants n'ont pas été entendus. Pour sa s£ur Malika, « plusieurs zones d'ombre » subsistent, et ce d'autant plus que l'enquête a été littéralement bâclée : pas de rapport d'autopsie, pas d'analyse balistique, pas de reconstitution. Les trois femmes blessées n'ont été interrogées qu'une seule fois, quatre mois après l'attentat, par un juge qui n'avait visiblement pas envie d'entendre l'une d'elles - Ouarda - affirmer qu'elle pouvait reconnaître au moins deux des agresseurs. « Le juge a fait comme si elle n'avait rien dit », a déclaré sa soeur.
A Tizi-Ouzou on est convaincu que cette « affaire » est plus politique que pénale, et que la « version islamiste » arrange bien les généraux qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. C'est aussi ce que révèle par la suite le MAOL (Mouvement algérien des officiers libres, basé à Madrid), qui est visiblement bien renseigné sur les hautes sphères dirigeantes. Pour lui, l'assassinat de Lounès Matoub a été décidé lors d'une réunion de très haut niveau de généraux du « clan Lamari », faisant partie de "la mouvance laïque constitutée d'ex-officiers de l'armée française qui a pris la tête de l'ANP" (armée algérienne). Participaient aussi à cette réunion un représentant du RCD (l'activiste berbère Khalida Messaoudi) et le chef "d'une des plus importantes milices", Nourredine Aït Hammouda. Cette réunion avait pour but d'éliminer progressivement le président Liamine Zeroual et son protégé, le général Betchine.
En faisant assassiner Lounés Matoub par des « islamistes » liés aux services secrets ( la DRS), ces « généraux de l'ombre » visaient à provoquer le soulèvement de la Kabylie contre l'islamisation en cours et voulue par le « clan du président Zeroual ». L'officier « infiltré dans un groupe armé dans les monts de Sidi » s'appellerait Ali Bounab, mais il « répondait au pseudonyme de capitaine Riadh, alias Abou Doudjana ». Celui-ci se faisait passer pour un déserteur de la gendarmerie, et est vite devenu conseiller de Hassan Hattab, qui dirigeait déjà le GIA de l'est algérien, appelé actuellement GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat).
Toutefois, Hassan Hattab, responsable de la plupart des actes terroristes dans cette région, n'aurait pas obéi à l'ordre de liquider le chanteur kabyle. Ce qui aurait obligé le capitaine Riadh à contacter de nouveaux les commanditaires. Ceux-ci auraient finalement fait appel à une « deuxième équipe » pour liquider Lounès Matoub : des miliciens qui ne seront pas entendus par le tribunal de Tizi-Ouzou. Ils ont été liquidés peu après, lors d'une embuscade tendue par le « capitaine Riadh ».
par Elio Comarin
Article publié le 19/12/2000