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Fespaco 2001

Film: Pas de cercueil pour Ali

Un gamin de la rue est tué lors d'une rixe entre gangs. Ses deux copains décident de l'enterrer. Mais comment, et avec quel argent ? C'est la trame d'Ali Zaoua, deuxième long métrage du Marocain Nabil Ayouch.
Ali Zaoua s'ouvre sur un dessin d'enfant. C'est sur ce même dessin que le film se fermera, 90 minutes plus tard. Entre ces deux images, beaucoup de rêves, d'espoirs, de larmes aussi, auront coulé. Mais pour l'instant, gros plan sur les dessins d'Ali: une mer bleue (très bleue) un bateau, le vent qu'on imagine souffler dans les filinsà Soudain tout s'arrête net. Plus de bateau, plus de vagues, plus d'air du large, mais une réalité autrement plus rude: une bande de gamins sur fond de cité pourrie (quelque chose à mi-chemin entre la barre d'immeubles décatis et le bidonville) et l'un d'eux, Ali, qui raconte son enfance, pourquoi il a quitté sa maison et sa mère, qui voulait vendre ses yeux à un mystérieux étranger.
Malgré la conviction d'Ali, on sent d'emblée que quelque chose ne tourne pas rond: pas seulement parce que l'histoire qu'il débite est un peu trop bien rôdée pour être honnête, mais aussi parce les enfants semblent très calmes (on comprend vite pourquoi: ils ne sont pas là par hasard, mais sous la houlette d'une intervieweuse de télévision, d'ailleurs le micro qu'elle tend aux enfants est resté dans le cadre). Surtout, n'importe quel spectateur normalement constitué sait à quelles exagérations et dérives a donné lieu ce dossier.
Cette scène est emblématique à plus d'un titre du deuxième long métrage de Nabil Ayouch (qui a connu un immense succès public, au Maroc, avec son premier film, un road movie mâtiné de polar: Mektoub): un mélange de naïveté roublarde, mais qui contient aussi en germe une irréductible part de vérité, quelque chose à mi-chemin entre la tradition du mélo marocaine et l'école documentaire qui connu un trop bref essor dans les années soixante dix. Le mélo surgit tout de suite: quand Ali meurt, tué pour l'exemple (il a voulu quitter le clan, le clan se venge) et que ses deux copains décident de l'enterrer.
La fable pourrait être pesante, elle l'est d'ailleurs parce que Nabil Ayouch peine à décrire la communauté d'enfants sans sombrer dans l'archétype et le maquillage outrancier (pourquoi avoir couturé de fausses balafres le visage de tous les personnages?). Reste une très belle idée: celle de faire vivre aux deux héros des aventures parallèles mais jamais identiques. C'est ainsi que le premier trouvera ûun temps- refuge dans les bras de la mère de son copain ûmère de substitution idéale, mais héroïne tragique tout aussi bien: son fils est mort, elle ne le sait pas) tandis que l'autre s'essaye aux joies du bricolages avec un vieux marin aux allures de père protecteur. Jamais ces trajectoires ne se croisent, pas plus qu'elles ne parviennent à maintenir le cap entre le Bien et le Mal (Ali Zaoua n'est pas un conte moral), entre la Norme et la Marge (Ali Zaoua n'est pas une fable sociale). C'est dans l'élégance de cette double ligne, et pas ailleurs, qu'il faut chercher la beauté du film.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/02/2001