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Guinée

Les réfugiés dans la tourmente

Depuis les premières attaques aux frontières en septembre 2000, la situation des réfugiés en Guinée s'est considérablement dégradée. Accueillis exemplairement pendant des années par un pays déjà très pauvre, Sierra-Léonais et Libériens sont aujourd'hui deux fois victimes : des attaques rebelles et de la suspicion des autorités guinéennes.
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(1er volet, durée 15 minutes)

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(2e volet, durée 15 minutes)


Reportage photo
La carte des combats

De notre envoyé spécial en Guinée

«We want go». «Nous voulons partir». Par ces mots, scandés dans chacun des camps de réfugiés qu'il a pu visiter lors de sa tournée régionale à la mi-février, Ruud Lubbers, le nouveau Haut-commissaire aux réfugiés, a pu se rendre compte de l'ampleur du désarroi qui frappe les Sierra Leonais et les Libériens vivant en Guinée.

Des ballots sur la tête, leurs maigres ressources dans les bras, ils seraient 100 000 a avoir fui le Libéria après le déclenchement de la guerre civile en 1989. Quand en 1991, le conflit a débordé en Sierra Leone, le scénario s'est répété pour 300 000 personnes.

Massés pour l'essentiel dans des camps à proximité des frontières, ils se sont retrouvés étiquetés, dès les premières incursions en provenance de leur pays d'origine, comme collaborateurs des rebelles. Une suspicion largement encouragée par le pouvoir à Conakry. Dans deux discours à la nation, le président Lansana Conté a dénoncé les réfugiés comme importateurs de la guerre en Guinée. Les conséquences de ces propos ne se sont pas fait attendre. Brimades, viols, harcèlements. Aujourd'hui presque tout anglophone est suspect.

Quitte à mourir, autant mourir chez soi

Dans le camp de Kat Kama, à cinquante kilomètres au nord de Guéckédou, environ 10 000 personnes survivent tant bien que mal. Le précédent camp, situé juste en face, a été brûlé lors de l'attaque menée par le RUF en décembre dernier. Depuis, hommes et femmes s'entassent sous les bâches en plastique fournies par le HCR. Epuisés après plusieurs jours de vie en brousse, ils attendent leur réinstallation dans une zone considérée comme plus sûre. Une réinstallation qui cependant ne va pas sans lever quelques interrogations. Le nouveau site mis à la disposition du HCR est situé à 100 kilomètres plus au nord, dans une zone bien plus aride.

Carole Dromer, la coordinatrice des opérations de Médecins du Monde en Guinée forestière s'en inquiète. «Dans la forêt, les gens savent comment se nourrir. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas encore une situation de famine. En revanche, si dans l'avenir nous ne pouvions plus intervenir dans le nouveau camp alors c'est certain, nous aurons une véritable catastrophe.» La médiocre qualité de la piste qui mène à ce camp fait craindre le pire en saison des pluies.

Dans la région dite du «Bec de Perroquet», en fait une mince bande de terre qui s'aventure à l'intérieur de la Sierra Leone, la situation est encore plus dramatique. Ici, la catastrophe humanitaire est pour bientôt. Dans cette zone que l'on appelle aussi la Langue de Guéckédou, le HCR n'intervient plus depuis septembre pour des raisons de sécurité. L'un de ses employés est mort en mission à l'automne et la crise du Timor-Oriental est encore présente dans les esprits des personnels de l'agence onusienne.

Dans le plus grand camp de Guinée, à Kolomba, ils seraient plus de 30 000 à lutter quotidiennement pour leur survie. Faute d'assistance alimentaire et médicale, quinze personnes meurent chaque semaine. Après avoir épuisé la forêt environnante et vendu leurs ustensiles ménagers, les habitants du camp sont partis travailler pour les paysans Guinéens de la région. Problème, ces derniers ont eux aussi basculé dans la spirale de la faim et ne disposent plus des ressources nécessaires pour offrir un emploi à leurs voisins. Les réfugiés de Kolomba ont quitté Kaïlahun, à une dizaine de kilomètres de là, lors du déclenchement de la guerre en Sierra Leone. Depuis dix ans, leur ville est un bastion du RUF. Si les réfugiés n'ont jamais été attaqués par la rébellion, ils savent qu'il est impossible de rentrer sans s'exposer à de multiples exactions.

La guerre les ayant rattrapés dans leur refuge guinéen, certains ont décidé de retraverser la frontière. Une idée en tête : quitte à mourir, autant mourir chez soi.



par Cyril  Bensimon

Article publié le 22/03/2001