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Guinée

La Guinée bascule dans la guerre

La Guinée n'avait jamais connu la guerre. Depuis septembre 2000 et les incursions en provenance du Libéria et de la Sierra Leone, c'est désormais chose faite. Reportage de Cyril Bensimon.
De notre envoyé spécial en Guinée

Voilà six mois qu'un mystérieux mouvement, le Rassemblement des forces Démocratiques de Guinée, revendique par la voix de son non moins mystérieux porte-parole les attaques menées sur le territoire guinéen depuis la Sierra Leone et le Libéria. L'ambition affichée de cette rébellion est claire, il faut renverser le régime du président Lansana Conté, chasser les militaires du pouvoir et installer la démocratie à Conakry. Sur le terrain, ces velléités sont remplacées par les sinistres pratiques guerrières déjà constatées lors des guerres civiles libériennes et sierra-leonaises.

Sékou Traoré vit à Farawandou, à une vingtaine de kilomètres de la frontière sierra-leonaise. Le vendredi 8 décembre, avec vingt-cinq hommes de son village, sa route croise celle du RFDG. Contre leur gré, les voilà enrôlés dans la rébellion. Sous la menace, ils sont initiés au maniement des armes. Un bombardement de l'armée guinéenne, quelques jours plus tard, leur permettra de s'échapper des griffes des rebelles. Aujourd'hui, Sékou et ses compagnons d'infortune portent la marque de leur engagement forcé : sur le torse, la rébellion leur a inscrit à la lame les initiales du mouvement : RFDG. Obscure façon d'entrevoir le rétablissement de la démocratie.

Derrière cette rébellion nationale se cacherait en fait le Front Révolutionnaire Uni sierra leonais, le RUF, et son mentor libérien. Selon de nombreux observateurs sur place, le RFDG ne comporterait que quelques éléments guinéens dans ses rangs. Pour la plupart des enfants de Guinéens nés au Libéria ou en Sierra Leone et récupérés par le nouvel homme fort à Monrovia.

Pour Conakry, il est clair que le RFDG n'est qu'un paravent. Les attaques ne sont motivées que par l'appétit de diamants de Charles Taylor et des combattants du RUF. Ceux-ci seraient soutenus officieusement dans leur entreprise guerrière par la Libye et le Burkina-Faso. D'ailleurs si la première attaque, le 1er septembre, a visé la préfecture de Macenta, ce n'est pas un hasard : le sud-est du pays concentre l'essentiel des richesses diamantifères du pays.

L'armée s'en prend à ses anciens alliés de l'ULIMO

S'il est vrai que l'économie libérienne est en totale décomposition et que le RUF, repoussé vers les frontières par l'intervention britannique en Sierra Leone, est à la recherche de nouvelles terres à piller, Charles Taylor a pu trouver un argument de poids pour lancer des opérations sur le territoire guinéen. Depuis le début de la guerre civile au Libéria en 1989, près de 100 000 personnes sont parties trouver refuge en Guinée. Parmi elles, les combattants de l'ULIMO-K (Mouvement Libérien Uni), une faction qui lui était opposée durant la guerre. La paix revenue à Monrovia en 1997, la Guinée a continué officieusement à entretenir et armer cette milice.

Inacceptable pour Taylor qui déclenche sa première attaque sur Macenta, ville où sont massées les troupes de l'ULIMO-K. Trois mois plus tard, le 2 décembre, une offensive est lancée depuis la Sierra Leone sur la préfecture de Kissidougou. La ville est défendue par l'ULIMO-K, les Kamajors, des chasseurs traditionnels sierra leonais qui combattent le RUF, et l'armée guinéenne. Le 6 décembre à une heure du matin, Guéckédou est envahie par des troupes en provenance du Libéria. Les assaillants brûlent quelques maisons, pillent les échoppes. Douze heures plus tard, ils se replient de l'autre côté de la frontière, située à trois kilomètres de là. L'attaque a fait officiellement 80 morts.

Pour sa participation à la défense de Kissidougou, l'ULIMO demande à être payée. Elle multiplie les pillages et les exactions contre les civils. Dès lors, des tensions apparaissent au grand jour avec les militaires. L'armée n'a jamais vraiment digéré que la protection du territoire soit laissée à des supplétifs. Après une tentative de désarmement ratée, l'ULIMO s'installe à Guéckédou. La plupart des civils ayant fui en brousse après l'attaque du 6 décembre, elle se paye sur la ville. Le 28 janvier, l'armée entre en action. Elle pilonne la ville pendant plus de 10 jours afin d'y déloger ses anciens alliés qui désormais feraient cause commune avec le RUF.

Guéckédou, 97 000 habitants avant la guerre, n'est plus qu'un amoncellement de ruines. De rares civils s'y aventurent avec l'espoir de retrouver quelques biens épargnés par les pillages et les bombardements. La ville est désormais contrôlée par les militaires et les comités d'auto-défense, des jeunes recrutés à la hâte à la demande du régime et sensés assurer la protection des populations. Ivres ou drogués le plus clair du temps, ils se chargent en fait d'achever le pillage. Certainement les limites du volontariat et du patriotisme.

Totalement dépassée lors des premières attaques, l'armée guinéenne, forte de ses quatre hélicoptères ukrainiens, a aujourd'hui repris le contrôle de la situation. Elle mène des opérations transfrontalières et a jusqu'à présent repoussé toutes les incursions rebelles. Cependant la Guinée vient de plonger dans un conflit régional qui a dévasté le Libéria avant de mettre la Sierra Leone à feu et à sang. Un conflit où les premières victimes sont toujours civiles et où les combattants se retournent souvent contre ceux qui les ont armé.



par Cyril  Bensimon

Article publié le 21/03/2001