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Trafic d''armes

Marchand d'armes et marchandages à Brazza

Le marchand d'armes belge Jacques Monsieur est poursuivi notamment pour l'affaire des ventes d'armes à l'ancien président congolais Pascal Lissouba en 1997. L'enquête de David Servenay.
Lorsque la guerre devient inéluctable, au printemps 1997, le président en place, Pascal Lissouba n'a guère le choix pour contrer l'offensive des milices Cobras de son adversaire Denis Sassou Nguesso. Il lui faut des armes, rapidement. Entre juin et septembre 1997, juste avant la chute de la capitale Brazzaville, le régime Lissouba passe douze commandes à l'équipe de Jacques Monsieur. Des commandes contre-signées par le colonel Yves-Marcel Ibala, ministre de la Sécurité publique sur des faxes à en-tête de la République du Congo, avec le tampon de la présidence de la République.

Sur la commande numéro 4, on trouve de quoi équiper une troupe d'assaut: fusils, grenades, lance-flammes, lance-roquettes RPG 7, mais aussi des munitions en quantité pour l'artillerie, obus de mortiers et de canons lourds. Sans oublier des sacs à dos et des tenues camouflées complètes (climat tropical). Le tout sera facturé 7763147 dollars (environs 7,5 millions d'euros), facture émise par Matimco Ltd, la société de l'homme d'affaires belge, domiciliée depuis 1998 à Port Louis, à l'île Maurice. Les armes de poings et les munitions sont, pour l'essentiel, fournies par la Modelex, le pôle export du ministère iranien de la Défense, de vieux amis de Jacques Monsieur. Dans ces commandes, la plus importante est, bien sûr, celle qui porte sur cinq hélicoptères russes, pilotés par des équipages ukrainiens.

Au travers de cette commande transparaît ce qui fait la force du Belge: proposer des solutions «clé en main», avec le matériel, les hommes et même les plans de bataille. L'ancien officier retrouve sa fibre militaire en proposant un plan de défense pour chaque grande ville. En tout, ces livraisons seront estimées à 61 millions de dollars. Jusqu'à la chute de Brazzaville.

Avec le changement de pouvoir à Brazzaville, le choses se corsent. Le successeur de Pascal Lissouba, Denis Sassou Nguesso, accepte de payer les dettes de l'Etat congolais, à l'exception de celles concernant ces livraisons d'armes. De plus, le nouvel homme fort a engagé un bras-de-fer avec Elf. Sassou a besoin d'argent. De son côté Elf a besoin de nouveaux permis d'exploration dans les zones off shore. Conséquence : pendant un an, Jaffré et Sassou Nguesso négocient pied à pied. En coulisses, Jacques Monsieur suit de près les discussions.

Jacques Monsieur? Connais pas

Finalement, c'est à l'hotel Hilton de Genève que l'accord sur les armes est conclu. Sur les 15 millions de dollars de dettes, Jacques Monsieur renonce à dix millions, Brazzaville accepte d'en payer cinq, pour "solde de tout compte". En échange, l'équipe des financiers liés à Elf (Jack Sigolet, ex-patron d'Elf Trading et ex-président de la Fiba, et ses associés) s'engage à "ouvrir de nouveaux marchés au Congo Brazzaville et en Angola". Tout va bien, jusqu'à l'avant-dernier versement. En avril 2000, Jacques Monsieur ne voit pas la couleur du dernier million de dollars dû par les Congolais. Pourquoi un tel blocage, sur une somme considérée comme négligeable dans ce genre de transactions? L'hypothèse retenue par les enquêteurs est que Jacques Monsieur a été laché au plus haut niveau. Pourtant, depuis l'ouverture officielle de l'enquête, en mai 1998, l'homme n'a cessé de prospecter, proposer et conclure de nouveaux marchés. Se croyait-t-il intouchable ?

Aujourd'hui, les anciens d'Elf affichent une mine contrite lorsqu'ils entendent ce nom qui n'est plus tout à fait anonyme. «Je n'ai jamais vu de ma vie Jacques Monsieur», nous affirme André Tarallo, ancien directeur des hydrocarbures du groupe et surtout ex-«Monsieur Afrique» d'Elf. «Du chantage, c'est des conneries tout ça», commente simplement Jack Sigolet, ancien PDG d'Elf Trading et de la Fiba, que nous avons joint il y a dix jours dans ses bureaux genevois. La sérénité de Tarallo tranche avec la nervosité de Sigolet. Il faut dire que ce dernier est toujours actif dans le trading pétrolier où il conserve sa réputation de spécialiste du pré-financement, fonction qu'il a exercée pendant des années au sein du groupe pétrolier sous les ordresàdµAndré Tarallo. D'ailleurs, si l'argent de ce marché est passé par les comptes de la Fiba, la pétro-banque n'a peut-être servi que d'intermédiaire.

Mais revenons à cette mauvaise année 2000. Face au silence de ses interlocuteurs, Jacques Monsieur rédige une lettre de menaces où il récapitule, point par point, les petits secrets de l'équipe Tarallo/Sigolet : le marché armes contre pétrole gagé au Congo Brazzaville, mais aussi l'affrètement gracieux d'un hélicoptère pour une campagne électorale d'Omar Bongo, un service de 9 millions de francs suisses payé par Elf ou encore les troubles montages financiers qui entourent l'achat des avions servant à la compagnie pétrolière. Evidemment, pour l'instant, Jacques Monsieur n'avance pas l'ombre d'une preuve des accusations lancées contre ses anciens amis. Et pour cause, depuis sa «disparition» inopinée en Iran, en novembre dernier, personne n'a vu ou entendu le marchand d'armes. Officiellement, le citoyen belge est détenu pour "espionnage", mais les diplomates en poste à Téhéran n'ont pu avoir aucune confirmation officielle du sort réservé à leur ressortissant. Et dans les Chancelleries, on soupire : «Ah, une affaire très complexeà».



par David  Servenay

Article publié le 05/04/2001