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Sierra Leone

La vision simpliste d'un cinéaste

La sortie en salle d'un documentaire sur la Sierra Leone est un événement aussi inattendu que louable. Le résultat, une attaque aussi simpliste que caricaturale de l'action de la communauté internationale en Afrique.
Nouvel ordre mondialà quelque part en Afrique est un projet ambitieux et rare. Raconter et expliquer la tragédie de la Sierra Leone, un pays ensanglanté par dix ans de guerre civile. Le film s'ouvre sur les conditions d'apparition de la rébellion (RUF), avec en arrière plan le soulèvement de 1991. L'argumentaire est simple: la Sierra Leone est un pays riche, il exporte du riz et surtout son sous-sol regorge de diamants. Et puis comme il est dit dans le titre, c'est quelque part en Afrique.

Nouvel ordre mondial est un film à thèse. Selon son réalisateur, Philippe Diaz, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont utilisé les Nations Unies pour protéger quelques firmes spécialisées dans l'exploitation minière. Comment? En voulant imposer une démocratie de type occidental qui ne menacerait pas les intérêts occidentaux. A la faveur d'élections truquées, ils ont porté Ahmed Tejan-Kabbah, un fonctionnaire de l'ONU, à la présidence de la Sierra Leone.

Le réalisateur du film, jusque là plus connu comme producteur de cinéma que comme documentariste, nous explique ainsi comment la communauté internationale a laissé passer toutes les chances de paix avec un mouvement rebelle qui au fond ne voulait qu'une meilleure répartition des richesses du pays. En caricaturant à peine, le RUF est ici présenté comme une organisation de révolutionnaires épris de justice, en quelque sorte des «Robin des bois» du tiers-monde victimes d'un complot des Nations Unies.

Des images de violenceà à sens unique

Certes Philippe Diaz n'a pas eu tort de relever la macabre fascination des médias occidentaux pour les sinistres «manches longues» ou «manches courtes», les amputations perpétrées par la rébellion. En revanche, s'il constate les errements de la communauté internationale dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, on se demande ce qu'il a fait de son sens critique lorsqu'il interroge les membres du RUF. A aucun moment, le réalisateur de Nouvel ordre mondial ne mentionne la responsabilité de Charles Taylor, l'actuel président du Liberia, qui finance et arme les hommes de Foday Sankoh depuis le début de la guerre civile. Il n'évoque pas non plus la politique de terreur mise en place par le RUF dans les régions diamantifères qu'il contrôle. Les rebelles se seraient donc battus pour l'accès à la santé et à l'éducation de leurs compatriotes. Comment peut-on céder à pareille propagande? Femmes violées, enfants soldats, enrôlements forcés, populations réduites en esclavage pour assouvir les funestes appétits des «seigneurs de la guerre», tel est le vrai visage de la rébellion sierra leonaise.

L'Histoire a donné tort à ce film. Celui-ci s'achève sur la signature de l'accord de paix à Lomé en 1999. Une paix sans justice qui, depuis, a volé en éclat. L'accord de Lomé prévoyait en effet l'amnistie des crimes commis pendant la guerre civile. Foday Sankoh, le leader historique du RUF se voyait octroyer un poste de vice-président, et certains de ses sbires comme Mike Lamine, longuement interviewé dans le film, ont pu occuper des charges ministérielles à Freetown. Ces faveurs n'ont en rien motivé les rebelles pour déposer les armes. Pour eux, le principal est de conserver la main mise sur les zones diamantifères du pays afin de poursuivre leur macabre commerce avec leur parrain libérien. Des diamants contre des armes.

Que Philippe Diaz ait raté son sujet, passe encoreà Le plus gênant dans ce film, c'est cette hiérarchisation des souffrances introduite dans les commentaires lus par Michel Piccoli. Quand les rebelles tuent et mutilent, ils s'en prennent à «des civils proches du gouvernement». Quand les soldats nigérians de l'Ecomog, la force d'interposition ouest-africaine et les Kamajors répliquent, ce sont «des supposés rebelles» qui sont les victimes. Tout est dans les non-dits. Dans le non-montré. En utilisant les images tournées par Sorious Samoura, un cameraman travaillant pour le ministère de l'Information, Philippe Diaz a pris le risque de déséquilibrer cruellement son sujet. Le journaliste sierra-leonais a filmé du côté des soldats et des miliciens combattants pour le gouvernement l'entrée des rebelles dans Freetown en janvier 1999. Forcément les images qu'il a pu en tirer sont d'un extrême violence: exécutions sommaires, crânes fracassés, enfant de huit ans brutalisé par les soldats nigérians. S'il est impossible de critiquer le travail de Sorious Samoura qui a risqué sa vie pour ramener ses images du c£ur des ténèbres, on peut se poser des questions sur la façon dont elles ont été exploitées. Les victimes de la barbarie du RUF racontent d'une voix atone les atrocités que les rebelles leur ont fait subir. Quel peut être le poids de ces récits de survivants face à l'image choc d'un homme abattu sous nos yeux? Les innombrables morts causées par les hommes de Foday Sankoh n'ont pas été filmées. Aux yeux du réalisateur, elles n'existent donc pas. Dans ce film, les morts sont là pour servir d'argumentation à une thèse élaborée dans une cabine de montage. Dépouillés de leur condition d'être humain. Nouvel ordre mondialà est un film à thèse raté. Un détournement de bonne cause.



par Cyril  Bensimon

Article publié le 29/04/2001