Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Afrique du Sud

Règlements de compte au sommet<br>

Le Congrés National Africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud, est secoué par une crise sans précédent consécutive à la découverte d'un complot - réel ou imaginaire - contre le président Thabo Mbeki : trois anciens dignitaires du parti ont été mis en cause et le gouvernement a ordonné une enquête dans un climat devenu subitement délétère. Les critiques contre la gestion du président se sont multipliées, si bien que Nelson Mandela est intervenu publiquement pour tenter de calmer le jeu.
Les trois personnalités visées sont des hommes de poids : Cyril Ramaphosa, ancien secrétaire général de l'ANC, Tokyo Sexwale, ancien premier ministre de la province de Gauteng (la région de Johannesbourg), et Matthews Phosa, ancien premier ministre de la province de Mpumalanga (qui jouxte le Mozambique). Ramaphosa et Sexwale avaient fait figure de prétendants à la succession de Nelson Mandela pour l'élection présidentielle de 1999, mais c'est Thabo Mbeki qui avait été désigné par l'ANC. Ramaphosa et Sexwale s'étaient alors reconvertis, avec succès, dans le privé. La rumeur du complot s'est étoffée avec le témoignage d'un ancien leader du mouvement de jeunesse de l'ANC du Mpumalanga, James Nkambule, qui a déclaré à la police avoir participé avec des membres importants de l'ANC à une conspiration pour éliminer Thabo Mbeki. C'est le ministre de la Sécurité, Steve Tshwete, qui a révélé le complot au grand public le 24 avril dans une interview à la télévision, et annoncé l'ouverture d'une enquête.

Les trois intéressés ont formellement démenti toute participation à un complot, l'ANC ne les a pas exclus ni même suspendus, la COSATU (le puissant syndicat qui, avec le PC sud-africain, est le principal allié de l'ANC) a estimé "irresponsable" le comportement du ministre de la Sécurité qui accusait sans preuves. Nelson Mandela a assuré que, jusqu'à preuve du contraire, il tenait en haute estime les trois suspects, rappelant que Ramaphosa avait été le grand artisan des négociations avec le pouvoir blanc qui mirent fin à l'apartheid, et que Sexwale avait été son camarade de détention à Robben Island.


"Un règne désastreux"

La presse sud-africaine s'est déchaînée contre Thabo Mbeki. En particulier le Mail and Guardian, hebdomadaire libéral de gauche, qui a publié le 27 avril un éditorial virulent sous le titre "Un règne désastreux. D'abord, selon le journal, Thabo Mbeki a attisé les tensions raciales en répétant que les blancs méprisaient les noirs, et provoqué ainsi un exode des blancs les plus qualifiés, et la fuite les capitaux étrangers.
Ensuite, l"hebdomadaire a reproché à Thabo Mbeki son attitude conciliante envers le président Robert Mugabe du Zimbabwe. Le journal a également dénoncé un contrat d'achat d'armes de 50 milliards de Rands (environ autant de francs), qui auraient été mieux employés à soulager la misère des masses. Enfin et surtout, le Mail and Guardian a dénoncé l'incohérence des propos sur le SIDA de Thabo Mbeki, qui affirme que le virus HIV n'est pas la seule cause de la pandémie, propos accueillis un peu partout avec stupéfaction. Pour couronner ce réquisitoire, le Mail and Guardian a rappelé que le président sud-africain avait refusé de se soumettre à un test de détection du virus, alors que tous les évêques anglicans du pays s'y sont prêtés pour donner l'exemple. L'éditorial se terminait par une interrogation cinglante : "cet homme est-il capable de gouverner?"

L'ex-président Mandela est venu au secours de son successeur le 30 avril à l'occasion d'un passage à Londres, où il a fait son éloge dans un discours : "Thabo Mbeki est un homme intelligent, qui a de l'envergure et qui a unifié notre pays". Mais il a ajouté que Ramaphosa lui aussi était capable de diriger l'Afrique du Sud. Quant à Thabo Mbeki, il a minimisé la crise en assurant à un grand quotidien, le Cape Argus, qu'il ne se sentait pas menacé.

La révélation du complot - vrai ou faux - a du moins l'avantage pour le pouvoir de jeter la suspicion sur des rivaux éventuels du chef de l'Etat à la prochaine élection présidentielle. Telle est entre autres l'opinion du Financial Times de Londres, qui la considère comme une «habile manoeuvre politicienne».







par Claude  WAUTHIER

Article publié le 03/05/2001