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Peine de mort

<i>«La dignité de la justice américaine est en cause»</i>

Thomas Lemaire est avocat et auteur de La Justice jusqu'à l'absurde paru aux éditions Fayard. Un ouvrage dans lequel il relate l'histoire de Michel Pardue, condamné à perpétuité en Alabama pour trois meurtres dont il était innocent. Michel Pardue a été libéré après 28 ans passés dans les couloirs de la mort. Thomas Lemaire fait le point sur l'affaire Timothy Mac Veigh, l'auteur de l'attentat en 1995 contre un immeuble fédéral d'Oklahoma City qui a fait 168 morts et sur la juridiction américaine en matière de peine de mort.
RFI: Le FBI n'a pas transmis à la défense des documents liés à l'enquête, l'exécution de Timothy Mac Veigh qui devait se dérouler le 16 mai a donc été reportée au 11 juin prochain. Que pensez-vous de ce rebondissement ?
Thomas Lemaire: Que l'exécution soit reportée pour vice de forme est une chose positive. Une telle décision n'aurait pas été possible dans le Sud des Etats-Unis où des personnes de couleur auraient été dans le même cas de figure. C'est une différence de traitement flagrante qui met en lumière les failles du système juridique américain. Dans le cas du report de l'exécution de Timothy Mac Veigh, John Ashcroft, le ministre de la Justice américain, a été, semble-t-il, très soucieux de respecter la procédure alors que dans certains Etats américains, la procédure est complètement bafouée. La présence de caméras et la médiatisation d'un tel dossier l'a sans doute rendu beaucoup plus précautionneux du respect de la procédure.

RFI: Pensez-vous qu'il existe, comme vous le suggérez, une justice américaine à deux vitesses: l'une pour les blancs et l'autre pour les noirs ?
TL: En fait, il faut bien comprendre comment fonctionne le système judiciaire américain. Aux Etats-Unis, où il faut apporter la preuve de son innocence, il y a trois phases dans un procès : le crime, la recherche de la preuve et le procès lui-même. Là-bas, il n'existe pas de juge d'instruction alors si l'accusé est riche il peut engager des détectives privés qui rapporteront la preuve de son innocence mais si au contraire l'accusé est pauvre, il ne pourra apporter aucune preuve lors de son procès faute d'avoir pu engager des gens pour rechercher des preuves le mettant hors de cause. Ce qui signifie que la justice américaine est uniquement réservée aux riches. Dans ce pays mieux vaut riche et coupable plutôt que pauvre et innocent. L'affaire d'OJ Simpson en a été la preuve flagrante : le fait que cet homme ait été reconnu innocent alors qu'il y avait quand même quelques raisons de penser qu'il était coupable a été la preuve que la justice américaine est réservée pour certains et que les modestes gens, sans argent et sans éducation n'ont pas grand chose à espérer d'elle.

RFI: Est-il possible de parvenir à l'abolition de la peine de mort sur tout le territoire américain étant donné que les partisans y restent aujourd'hui majoritaires ?
TL: Je pense qu'il faut bien distinguer deux choses : il y a le désir que la victime a de voir la personne à l'origine de ses souffrances souffrir et mourir, un désir humain que l'on doit tous avoir si dans nos familles il arrivait des choses tragiques et de l'autre l'Etat qui se substitue à la victime pour rendre un verdict. En quelque sorte, l'Etat prend à la victime son désir de vengeance. Quand l'Etat juge, on ne peut plus parler de vengeance mais de décision judiciaire qui doit être juste et qui doit conduire à la réconciliation. L'affaire Timothy Mac Veigh est très intéressante : son crime est odieux, puisqu'il a tué 168 personnes dont 19 enfants et fait 500 blessés. C'est un homme qui n'apparaît pas être éminemment sympathique puisqu'en parlant de la mort des enfants, il explique que ce sont des dommages collatéraux. De plus il regrette qu'il n'y ait pas eu plus de morts et de surcroît, il demande à être exécuté. Ce qu'il faut savoir c'est que ce n'est pas parce que cet homme s'est comporté si mal qu'il doit être condamné à mort. C'est la dignité de la justice américaine qui est en cause et aussi mauvais soit Timothy Mac Veigh, l'acte d'exécution demeure un acte de barbarie.



par Propos recueillis par Clarisse  VERNHES

Article publié le 17/05/2001