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Centrafrique

«Le putsch est dû à une crise de fond»

Les autorités françaises ont confirmé, jeudi 7 juin, la reprise par les forces loyalistes des quartiers de Bangui tenus par les militaires putschistes. Dans la capitale centrafricaine, l'heure est déjà au bilan. Certaines sources font état de 250 à 300 morts, mais ces chiffres pourraient être largement dépassés. Reste aussi à savoir comment la Centrafrique en est arrivé là. Pour Joseph-Vincent Ntuda Ebodé, politilogue et président de la Fondation camerounaise de science politique, il faut chercher du côté des nombreuses questions non résolues depuis les mutineries qui ont secoué le pays en 1996 et 1997.
RFI : La tentative de putsch à laquelle a échappé le président centrafricain intervient dans un contexte de crispation politique et de crise économique. Faut-il y voir la cause de la crise actuelle ?

En effet, un certain nombre de problèmes n'ont pas été résolus depuis les mutineries de 1996 et 1997. La situation économique ne s'arrange pas. Les négociations avec les institutions financières internationales sont bloquées, les fonctionnaires ne sont toujours pas payés, malgré les promesses, et ce depuis plusieurs mois. Mais il y a beaucoup d'autres raisons de fond à la crise actuelle. A commencer par les problèmes au sein de l'armée. On a demandé de réformer cette armée. Or la résistance est forte. En particulier à propos de la lutte contre la fraude en matière de trafic de diamants, engagée sur pression des institutions financières internationales. Elle a privé un certain nombre de réseaux de ressources, notamment dans l'armée.

RFI : N'est-ce pas aussi le signe de l'échec du régime d'Ange-Félix Patassé, dont la gestion, notamment de la dernière grève des fonctionnaires, a été très critiquée à la fois par les intéressés et par l'opposition?

On peut valablement invoquer un problème de gouvernance. Mais il est difficile de parler de gouvernance dans un pays où on ne peut même pas payer les fonctionnaires. Le président peut bien donner des instructions. Mais si les personnes chargées de les faire appliquer ne sont pas payées, je ne vois pas comment la situation peut s'arranger.

RFI : L'inimitié entre le président Patassé et le général André Kolingba est ancienne. Après les mutineries de 1996 et 1997, derrière lesquelles le chef de l'Etat a toujours vu la main de son prédécesseur, cette tentative de putsch est-elle l'ultime épisode de leur vieille querelle ?

Je crois que de manière stratégique le président Patassé peut tenter d'écarter le général Kolingba de la scène politique. Mais ce n'est que le début du processus. Il n'est pas évident que dans les six mois qui viennent on reste sur le même discours. On a déjà vu quelque chose de ce genre-là au Congo Brazzaville. On a bien négocié avec des gens qualifiés auparavant de «génocidaires». Donc je pense que c'est un discours politique conjoncturel qui permet certes d'identifier qui est l'ennemi et de faire l'union autour du président. Mais comme nous sommes dans un processus de démocratisation, je ne pense pas que le discours tiendra jusqu'au bout, surtout si le président n'a pas les moyens de gouverner correctement le pays.

RFI : Le président Patassé, qui a déjà failli perdre le pouvoir à plusieurs occasions depuis le milieu des années 90, s'en sort une fois de plus, mais forcément affaibli. A quel point ?

Tout dépend comment il va gérer la situation. A ce propos, je crois qu'il y a deux perspectives possibles. Soit il réussi à prendre entièrement le contrôle de son armée, ce qui lui permet de gouverner de manière autoritaire mais efficace. Soit il n'y parvient pas et, dans ce cas, il sera obligé de faire durablement appel aux pays étrangers. Mais il est évident qu'il sort affaibli de cette crise.

RFI : A travers l'intervention des hommes de Jean-Pierre Bemba et des soldats libyens aux côtés des forces loyalistes, on a assisté à une régionalisation de la crise. Quelles peuvent en être les conséquences, notamment sur les relations avec Kinshasa?

Depuis toujours, les crises de l'Afrique centrale ont une dimension internationale. Le problème est de savoir qui joue avec qui et pendant combien de temps. Je crois par rapport au pouvoir de Kinshasa qu'il y aura un intérêt à surveiller ce qui se passe du côté de la Centrafrique. Mais il faut également surveiller les positions tchadienne et libyenne. Ces deux pays sont généralement impliqués dans les conflits de la sous-région. Mais ce sont des alliances conjoncturelles. Rien ne dit qu'elles tiendront.

RFI : On parle peu du Cameroun dans cette crise, alors qu'il est un voisin direct de la Centrafrique. Comment les événements de ces derniers jours sont-ils perçus dans votre pays ?

Je crois que le Cameroun est préoccupé par toute crise qui se passe à ses frontières. Mais de là à intervenir, c'est une autre histoire. Le Cameroun estime qu'il a deux problèmes fondamentaux : la lutte contre la grand banditisme, nourri d'ailleurs par les conflits sous-régionaux, et le différent frontalier avec le Nigeria. Cela amène Yaoundé à adopter un profil bas. Et puis le pays sort d'une grave crise économique. Il n'a donc pas intérêt à intervenir à l'extérieur de son territoire.



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 08/06/2001