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Algérie

Kabylie: le rapport qui accuse les gendarmes

La commission d'enquête sur les émeutes qui ont ensanglanté la Kabylie au printemps dernier a conclu a la responsabilité de la gendarmerie, sans plus de précision, ce que déplore la presse algérienne.
«Bien, mais peut mieux faire» : c'est le jugement que portent la majorité des journaux algériens sur le rapport que la commission d'enquête relatif aux émeutes de Kabylie a remis, dimanche 29 juillet, au président Bouteflika. A l'exception du quotidien gouvernemental El Moudjahid, qui estime que le chef de l'Etat «confirme sa volonté d'en référer à l'opinion publique chaque fois que cela est nécessaire», la presse algérienne met l'accent sur les «insuffisances» et les «non-dits» du rapport, tout en concédant que l'enquête a «apparemment, rencontré beaucoup d'obstacles».

Les conclusions de la commission, mise en place par le président algérien et dirigée par le professeur de droit Mohand Issad (invité de RFI, le 31/07/2001), sont accablantes pour la gendarmerie. Celle-ci est rendue responsable des troubles sanglants (60 morts et plus de 2000 blessés officiellement), que ce soit dans leur déclenchement ou leur répression. «La réaction violente des populations a été provoquée par l'action non moins violente des gendarmes, laquelle, pendant plus de deux mois, a nourri et entretenu l'événement : tirs à balles réelles, saccages, pillages, provocations de toutes sortes, propos obscènes et passages à tabac. La commission n'a pas relevé de démenti», selon le rapport qui ajoute que «la violence enregistrée contre les civils est celle d'une guerre, avec usage de munitions de guerre».

Le rapport exclut toute «main» étrangère et tout «complot» interne

Le rapport met en cause la légalité de l'action des gendarmes, qui «sont intervenus sans réquisition des autorités civiles comme la loi le stipule. Les ordres de la gendarmerie de ne pas utiliser les armes n'ont pas été exécutés, ce qui donne à penser que le commandement de la gendarmerie a perdu le contrôle de ses troupes, ou que la gendarmerie a été parasitée par des forces externes à son propre corps». La légitime défense, invoquée pour justifier les tirs ? Elle est «corrigée par l'opportunité politique. Au demeurant, c'est une autorité tierce, en droit pénal les tribunaux, qui apprécie l'état de légitime défense, et non l'une des parties». Le document exclut, en outre, toute implication d'une «main» étrangère et toute idée de «complot» interne, thèses avancées par les autorités, dont le président Bouteflika et des députés.

Evoquant les difficultés rencontrées pour mener son enquête, la commission dénonce «des réticences et des refus déguisés dans ses demandes de renseignements, documents, balles extraites et radiographies». Elle affirme que des «sachants» se sont manifestés par téléphone, ou par un intermédiaire, mais ont refusé de témoigner «dans la conjoncture actuelle». En conclusion, le rapport élargit son analyse, en estimant que «la mort de Guermah et l'incident d'Amizour ne sont que les causes immédiates des troubles constatés (à) Les causes profondes résident ailleurs : sociales économiques, politiques, identitaires, et abus de toute sorte».

Les journaux algériens s'interrogent maintenant sur ce que va faire le président Bouteflika. «A quand les sanctions ?», demande Liberté, tandis que L'Authentique pose la question «Quelles têtes vont tomber ?». Pour El Watan, le problème crucial est celui de «l'impunité» dont bénéficient les services de sécurité. «Tant que les réformes n'auront pas remis ces services à leur véritable place, le pays ainsi livré à la dérive continuera à fonctionner au rythme du couple infernal émeute-répression». En attendant, et comme pour répondre aux critiques, Mohand Issad affirme que le rapport remis dimanche au président Bouteflika n'est que «préliminaire», et qu'il reprendra ses investigations le 25 août.

Les émeutes avaient éclaté le 18 avril à la suite de la mort, dans la gendarmerie de Béni Douala (près de Tizi Ouzou, Grande Kabylie, 110 km à l'est d'Alger), d'un lycéen, Massinissa Guermah, atteint d'une rafale d'arme automatique. S'appuyant sur l'autopsie, le rapport conclut à la faute d'un gendarme, et non à un accident, comme le prétendait ce dernier. Les troubles s'étaient ensuite étendus à la région de Béjaïa (Petite Kabylie, 250 km à l'est), après l'arrestation musclée de plusieurs lycéens à Amizour, une localité proche. «Au commencement, ce ne sont pas les foules qui ont été l'agresseur. Elles ne sont pas à l'origine des deux événements déclenchants. Si quelqu'un a forcément donné l'ordre de tirer à balles réelles, en revanche personne n'a donné l'ordre de cesser le feu».



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 30/07/2001