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Togo

Un opposant embastillé pour diffamation<br>

Yawovi Agboyibo, l'un des principaux dirigeants de l'opposition togolaise a été condamné à six mois d'emprisonnement, au terme d'un procès controversé. Cette décision de justice devrait exclure le leader du CAR des prochaines législatives.
C'est un sérieux coup que vient de porter à l'opposition la justice togolaise, et à travers elle le régime du président Eyadema. Au terme d'un procès que ses avocats jugent tronqué, le leader du Comité d'action pour le renouveau (CAR) écope de six mois de détention, de 100 000 francs d'amende et d'un franc symbolique, à la suite d'une plainte déposée par l'actuel Premier ministre, Messan Agbéyomé Kodjo, pour «diffamation et diffusion de fausses nouvelles». Tel un vulgaire criminel, l'opposant a ensuite été immédiatement conduit, menottes aux poignets, à la prison de Lomé.

Le chef du gouvernement poursuivait l'opposant pour l'avoir accusé, en 1998, de parrainer une milice armée, responsable d'assassinats dans la localité de Sédomé pendant les élections présidentielles de la même année. Des faits évoqués également dans un rapport d'une commission internationale d'enquête commune aux Nations unies et à l'Organisation de l'unité africaine, publié en février dernier, et vivement critiqué par le régime togolais.

Dans un communiqué, publié peu après l'annonce du verdict, le Premier ministre togolais n'a d'ailleurs pas caché sa satisfaction, estimant que Maître Agboyibo «est désormais judiciairement reconnu comme un menteur et un diffamateur qui ne recule devant rien pour salir un adversaire politique».

Menaces sur les prochaines législatives

Dans l'entourage de l'opposant, c'est la consternation, même si l'on ne s'était guère fait d'illusions sur l'issue du procès. «Cette décision ne nous surprend pas. Nous l'avions dit, le chef de l'Etat a une affaire personnelle à régler avec Agboyibo», nous a déclaré Me Apevon Dodji, l'un de ses défenseurs, par ailleurs membre de la direction du CAR. A l'instar de la cinquantaine d'avocats plaidant pour l'opposant, Apevon Dodji dénonce une justice aux ordres n'ayant tenu aucun compte de motif sérieux d'annulation de la procédure. «Me Agboyibo était député au moment où la plainte a été déposée et son immunité parlementaire n'a jamais été levée», fait-il remarquer. L'avocat ajoute que la caution devant légalement être déposée en cas de plainte avec constitution de partie civile «n'a pas été payée».

Le verdict du tribunal correctionnel de Lomé est lourd. Le leader du CAR a en effet été condamné à la peine d'emprisonnement maximale, pour ce genre de délit. Mais il exclut surtout l'un des principaux leaders de l'opposition des prochaines législatives anticipées, prévues pour le mois d'octobre prochain. En 1994, le CAR avait obtenu 34 sièges sur 81, avant de boycotter le scrutin de mars 1999 pour protester contre la réélection contestée de Gnassimbé Eyadema en juin de l'année précédente. Et le mouvement d'Agboyibo entendait bien jouer sa carte lors de la prochaine échéance électorale.

La condamnation de l'opposant, contre laquelle ses avocats font appel sans grand espoir, pèsera lourdement sur la préparation des législatives d'octobre prochain. Son parti n'avait pas encore fait savoir ce vendredi si sa participation sera remise en question. Cependant la décision de la justice togolaise ne peut qu'accentuer une tension politique déjà perceptible. Un autre opposant et ancien ministre des droits de l'homme, Harry Octavius Olympio, cousin de l'ennemi juré du chef de l'Etat Gilchrist Olympio, a en effet été condamné à 18 mois de prison pour «fabrication et détention illégale d'armes de guerre», le 27 juillet.

Le mois dernier, les quatre facilitateurs internationaux qui s'emploient depuis deux ans à aplanir les différents entre le pouvoir et l'opposition, avaient une nouvelle fois tenté d'obtenir la reprise d'un dialogue sérieusement mis à mal. Sans grand succès. L'enjeu est pourtant de taille, puisque l'Union européenne qui a suspendu son aide au Togo depuis 1993 s'était dit prête, au mois de juin, à participer financièrement à l'organisation du scrutin d'octobre. L'embastillement de Me Agboyibo risque de crisper à nouveau les relations entre Bruxelles et Lomé.



par Christophe  Champin

Article publié le 03/08/2001