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Eglise catholique

Mgr Milingo, sa femme, Moon et le Pape

L'épouse reniée de Mgr Milingo poursuit sa grève de la faim au Vatican. Elle demande toujours à rencontrer son mari. L'ancien évêque de Lusaka a renoncé à son mariage, célébré il y a trois mois au sein de la secte Moon. C'est un véritable bras de fer qui se joue entre l'Eglise catholique et la secte du révérend Moon.
Le feuilleton de l'été du Vatican tournerait-il au tragique ? Ce mardi, l'épouse reniée de Monseigneur Milingo ne s'est pas rendue place Saint-Pierre, où elle priait tous les matins depuis le début de sa grève de la faim, il y a quinze jours. «Elle désire se reposer. Cette nuit, elle s'est sentie mal», a expliqué son interprète. La veille , il avait annoncé que Maria Sung avait perdu 8 kilos depuis le début de son jeûne et qu'elle commençait à avoir des problèmes sanguins. Ces derniers jours, elle était apparue affaiblie et visiblement amaigrie, et c'est en fauteuil roulant qu'elle avait rejoint la place Saint-Pierre.

Maria Sung, une acupunctrice sud-coréenne de 43 ans, est au c£ur du bras de fer entre l'Eglise catholique et la secte Moon depuis le 27 mai dernier. Lors d'un mariage collectif célébré à New York par le révérend Moon, elle avait épousé l'archevêque zambien Emmanuel Milingo, 71 ans. De quoi faire frémir d'horreur le Vatican, pourtant habitué aux frasques de son turbulent soldat. En effet, Mgr Milingo n'en est pas à sa première originalité : en 1983, accusé d'abuser de l'exorcisme et de diviser sa communauté, il avait été déchargé de son archidiocèse de Lusaka et appelé au Vatican au Conseil pontifical pour les migrants et les touristes. Pas assez pour faire rentrer Mgr Milingo dans le rang : l'archevêque poursuit ses activités d'exorciste tout en se lançant dans la chanson avec deux disques Gubudu Gubudu (rap africain) et Milingo. Animateur de croisières, vedette du festival de la chanson de San Remo en 1997, il entre peu à peu en contact avec l'Eglise de l'Unification du révérend Moon. La Curie romaine est furieuse. Son mariage est la goutte qui fait déborder le vase : Jean-Paul II fait savoir que Mgr Milingo n'est plus un évêque catholique et brandit la menace d'une excommunication.

Pour autant, le Vatican n'entend pas laisser la secte Moon profiter du charisme et de la popularité de son prélat. Au début du mois d'août, la brebis égarée est longuement reçue par le Pape, qui parvient à le convaincre à renoncer à son union sacrilège et à retourner dans le droit chemin. Mgr Milingo s'éclipse de la scène publique : selon la version officielle, il «effectuerait une retraite spirituelle». Le Saint-Siège communique alors une lettre adressée au Pape et signée de la main de l'archevêque : «Avec tout mon c£ur, je renonce à mon existence avec Maria Sung et à mes rapports avec le révérend Moon. Au nom de Jésus, je retourne dans l'église catholique, je suis votre humble et obéissant serviteur».

Le Vatican craint que Mgr Milingo prenne la tête d'une église schismatique en Afrique

C'est alors que l'affaire vire au psychodrame : la secte Moon contre-attaque et dénonce une manipulation. Maria Sung demande à voir son mari, laisse entendre qu'elle est enceinte (la nouvelle a été démentie) et entame finalement une grève de la faim dans son hôtel romain. Tous les jours, elle se rend devant la basilique Saint-Pierre avec des adeptes de l'Eglise de réunification pour des séances de prières ou des cérémonies aux chandelles. Mgr Milingo fait alors sa réapparitionà devant les caméras de la télévision italienne ! Ce vendredi 25 août, il donne lecture à la RAI d'une lettre d'adieu destinée à son épouse dans laquelle il assure «l'aimer comme une s£ur». Insuffisant pour Maria Sung, qui prétend que son mari a été drogué sur ordre de la hiérarchie catholique : «Je ne réussis pas à comprendre, je ne peux pas croire que tu sais que je fais la grève de la faim et que tu n'accours pas vers moi. Rappelle-toi que je t'ai dit que je serai toujours à tes côtés et que je ne me séparerai jamais de toi».

Pour l'heure, les négociations entre le Vatican et la secte Moon se poursuivent sous l'égide de l'ambassadeur sud-coréen auprès du Saint-Siège. Au c£ur des discussions, les conditions que Mgr Milingo aurait posées à une éventuelle rencontre avec Maria Sung. L'archevêque souhaiterait une entrevue limitée à une heure dans les locaux de l'ambassade sud-coréenne et en présence de différents témoins. Mais Maria Sung et les moonistes, convaincus que c'est le Vatican qui dicte ses exigences, ne l'entendent pas de cette oreille : l'épouse reniée a adressé une lettre ouverte à Jean-Paul II. Elle s'excuse de lui causer tant d'ennuis et demande «un peu plus que quelques minutes dans un endroit froid et impersonnel» pour entendre les explications de son époux.

Rocambolesques à souhaits, les différents épisodes de l'affaire Milingo ne se résument pas au feuilleton à scandale qui a fait les délices de la presse internationale cet été : ils illustrent avant tout la crainte du Vatican de voir son évêque prendre la tête d'une église schismatique en Afrique. En Zambie et dans toute l'Afrique australe, Emmanuel Milingo jouit en effet d'une grande popularité. Prêtre talentueux et apprécié (il a été le plus jeune prêtre nommé évêque), militant de la décolonisation et d'une identité africaine, il s'est attaché l'admiration des foules en présidant à des cérémonies de guérisons «miraculeuses» dès les années soixante-dix. Quelle que soit la suite des événements et si le Vatican semble avoir gagné cette bataille contre la secte Moon, celle-ci n'en aura pas moins tiré un gros bénéfice : celui d'une énorme publicité.



par Nicolas  Sur

Article publié le 28/08/2001