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Attentats: la riposte

Une «guerre de l'ombre» longue et incertaine

Ni déclaration de guerre, ni cessez-le-feu. La «guerre» que les Etats-Unis préparent actuellement en riposte aux attentats terroristes d'il y a deux semaines ne ressemblera à aucune autre, et surtout pas à celle du Golfe. Mais elle garde toujours sa part de mystère. Car «l'ennemi» est loin d'être clairement déterminé, l'enquête en cours toujours pas terminée et l'administration américaine plutôt divisée.
«Par sa nature, c'est quelque chose qu'on ne peut pas mener à bien avec une sorte d'attaque ou d'invasion massive. Il n'y aura pas de µjour J', et je suis sûr qu'il n'y aura pas de cérémonie de signature (de cessez-le-feu). C'est quelque chose qui demandera un effort prolongé sur une longue période». Le secrétaire d'Etat à La Défense, Donald Rumsfeld, a partiellement mis fin à l'incertitude qui régnait sur la nature de la riposte américaine, en excluant mardi soir toute invasion terrestre de l'Afghanistan : «Il n'y aura pas de solution rapide, cela ne sera pas terminé en cinq minutes ou en cinq mois. Cela prendra des années, et la victoire signifie casser la capacité des organisations terroristes à terroriser», a-t-il précisé. Alors que quelques heures avant, le Premier ministre britannique Tony Blair, allié le plus fidèle de Washington, avait menacé les Taliban au pouvoir à Kaboul d'une véritable guerre, s'il ne livraient pas Oussama Ben Laden, et avait évoqué une éventuelle invasion de l'Afghanistan.

De son côté le président Bush, qui au lendemain des attentats avait déclaré qu'il ne ferait distinction entre les terroristes et leurs protecteurs, a lancé un appel à peine voilé à un soulèvement populaire et demandé la «coopération des citoyens qui en Afghanistan en ont assez des Taliban», mais il a exclu toute volonté explicite de renverser le régime actuel. «Notre mission est de débusquer les terroristes, de les capturer et de les traduire en justice» a-t-il ajouté. On prête néanmoins à George Bush l'intention non seulement de prêter main forte à l'Alliance du Nord, mais aussi d'étudier un éventuel retour au pour à Kabul de l'ex-roi Zaher Shah, en exil à Rome depuis 1973.

Une opération à l'abri des médias

L'opération même a été quant à elle rebaptisée: «Justice sans limite» est devenue «Liberté immuable», plusieurs chefs religieux ayant objecté que - selon eux - seul Dieu était en mesure d'offrir une justice sans limite. Une remarque qui rappelle une donnée culturelle non négligeable : la «guerre» promise aux terroristes devra tenir compte du fait que le mois de ramadan commence à la mi-novembre ; ce qui pourrait exclure toute action d'envergure jusqu'au la mi-décembre. Mais l'opération «Liberté immuable» n'est pour autant pas sortie de l'ombre et ne bénéficiera pas d'une couverture médiatique comparable à celle de la guerre du Golfe et du débarquement américain en Somalie : deux opérations militaires voulues par Bush senior et dirigées par le général Colin Powell, aujourd'hui secrétaire d'Etat de Bush junior. Celui-ci a apparemment choisi une stratégie médiatique comparable à celle pratiquée par les Britanniques lors de la guerre des Malouines, en 1982 : opérations secrètes confiées à des forces spéciales et constamment à l'abri des regards des médias ou relayées uniquement par des journalistes triés sur le volet et de nationalité américaine ou britannique.

Ceci a été indirectement confirmé par Rumsfeld lui même. Le Pentagone, a-t-il déclaré, ne dira pas tout, loin de là, de l'opération en préparation - voire en cours - mais «ne mentira pas». Interrogé sur une éventuelle campagne de désinformation américaine, il a admis qu'une réunion s'est tenue lundi 24 septembre à propos de la «politique de communication» de Washington. Et Rumsfeld de menacer de poursuites les responsables officiels responsables de fuites en direction de la presse : «la politique est de ne rien dire sur quoi que ce soit qui puisse compromettre nos sources ou nos méthodes».

En réalité, il n'est pas à exclure que l'opération «Liberté immuable» ait déjà commencé la semaine dernière, par les premières incursions des SAS britanniques, dans le nord-est de l'Afghanistan, vraisemblablement aidés par les guérilleros de l'Alliance du Nord. L'armée royale de Londres est en partie déjà déployée dans la région, grâce à 30.000 soldats en manoeuvre depuis quelques jours en Mer d'Arabie : des man£uvres officiellement prévues depuis longtemps, dans une région que la Grande-Bretagne connaît fort bien, en tant qu'ancienne puissance coloniale.

En Afghanistan, l'armée de Sa Majesté a toutefois connu dans le passé un sort peu enviable : trois guerres et trois défaites, que Tony Blair semble avoir quelque peu oublié, lorsqu'il annonçait mardi soir une «campagne de bombes et de pain» (bombs and bread), respectivement pour le régime et le peuple afghan. Ce n'est sans doute pas le cas de la plupart des experts stratégiques et militaires britanniques, qui ne cessent d'afficher une grande prudence et privilégient tous des opérations commandos destinées à désarticuler les forces armées et à attaquer les camps d'entraînement de la Qaïda de Ben Laden.

Une éventuelle invasion terrestre du pays se heurterait en effet à l'hostilité de la quasi totalité des hommes en armes du pays, et tout bombardement risquerait de mettre les avions américains ou britannique à la portée des centaines de missiles sol-air «Stinger» que les Etats-Unis ont fournis aux Taliban lorsqu'ils étaient leurs alliés. Pour cela, pour riposter aux attentats terroristes, les Etats-Unis semblent privilégier des actions techniquement comparables, mais qui nécessitent un travail de renseignement considérable. Mais aussi beaucoup de doigté diplomatique, notamment avec les trois pays clé de la région : le Pakistan, l'Iran et l'Arabie saoudite, trois alliés fragilisés par des oppositions très sensibles aux discours «justicialistes» de Ben Laden.

Mais la «guerre» de Bush junior dépend d'abord des résultats de l'enquête en cours sur les véritables responsables des attentats du 11 septembre. Au moment où le FBI (qui en a la charge) ne cesse de reprocher ouvertement à la CIA de ne pas avoir signalé de préparatifs d'une opération en tous points exceptionnelle. Plus important, si l'on croit le Washington Post, le FBI a admis officieusement ne pas avoir trouvé de lien entre les quatre à cinq « cellules » du réseau de Ben Laden présentes sur le sol américain depuis des années et les kamikaze qui ont perpétré les attentats ; alors que des liens précis ont été établis entre les quatre équipes de kamikaze.

Cette «fuite» n'a guère été appréciée, notamment au Pentagone, ce qui explique la mise en garde de Donald Rumsfeld mais aussi les divisions apparues ces derniers jours entre «faucons» et «colombes» à propos des «preuves» que les Etats-Unis s'appréteraient à communiquer aux alliés. Alors que le secrétaire d'Etat comptait les informer par le détail, dans le but de renforcer la coalition internationale dont les Etats-Unis ont besoin pour crédibiliser leur «riposte», Rumsfeld et le FBI s'y opposent, officiellement pour des raisons de sécurité. Cette opposition ne facilite guère le choix que le président sera amené à faire et semble avoir d'ores et déjà irrité des alliés européens et asiatiques (à commencer par le Pakistan, pièce maîtresse du dispositif militaire américano-britannique).



par Elio  Comarin

Article publié le 27/09/2001