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Prix Nobel

V. S. Naipaul, grand écrivain cosmopolite

Excellent choix des jurés de Stockholm pour ce premier prix du XXIe siècle : un grand écrivain qui résume à lui seul, par son parcours, l'intégration difficile de plusieurs cultures. Intégration périlleuse et nécessaire pour notre monde ; travail de toute une vie pour l'écrivain de près de 70 ans dont l'£uvre, centrée en bonne partie sur les « marginaux » du Tiers Monde, est à la fois intime et universelle.
Ainsi, les Nobel n'ont pas cette année révélé un créateur inconnu : Vidiadhar Surajprasad Naipaul est à juste titre célèbre depuis les années 60. Jeune Trinidadien d'origine indienne, petit-fils d'un coupeur de canne et fils d'un journaliste et écrivain, il est « monté » très jeune à Londres, capitale des grands romanciers classiques dont il se démarquera mais deviendra aussi, à sa manière, le digne successeur. Quittant bien vite dans ses romans l'inspiration de son île natale (Une maison pour Monsieur Biswas), il s'intéresse à l'Afrique, à l'Amérique (Guérilléros), du sud au nord, à l'Inde (L'Inde brisée ; L'inde : un million de révoltes), et devient un auteur qualifié d'abord d'« exotique » ( !), mais reconnu et apprécié à sa valeur. Grand voyageur, il étendra par la suite ses explorations jusqu'aux pays islamiques d'Asie (Crépuscule sur l'islam : voyage au pays des croyants ; Jusqu'au bout de la foi).

Car V.S. Naipaul n'est ni un créateur en chambre, ni un imaginatif au sens anecdotique (divertir, faire rêver le lecteur), ni un nombriliste pleurnichard - sa quête intime, essentielle, est par contre au centre de son £uvre. Ses livres, ont jugé les Nobel, «nous condamnent à voir la présence de l'histoire refoulée». Histoire refoulée du Tiers Monde, mais aussi du «Tiers-Mondien» qu'il est à la recherche de ses origines, du sens de son propre parcours.

D'abord romanesque classique, l'écriture de Naipaul emprunte de plus en plus au reportage, jusqu'à se fondre en une forme originale qui tient autant de la fiction, du documentaire et de l'autobiographie, et où la voix primordiale est moins celle d'un narrateur que celles de nombreux témoins, où le temps n'est plus celui, historique et linéaire du colonisateur, mais le temps zigzaguant, décousu, inversé du chercheur, du quêteur.
Critique et goût de la vérité sont chez lui deux constantes. On lui a reproché de n'être pas assez dur vis à vis du colonialisme, mais de l'avoir trop été à l'égard des sociétés post-coloniales. En fait, s'il a montré les effets pervers du colonialisme, il a été surtout directement confronté aux échecs des nouveaux nationalismes, aux soubresauts, ratages et incertitudes des années 60-70 dans les pays depuis peu indépendants. Dans un style classique (à l'opposé du baroque Rushdie, dont certains thèmes le rapprochent), limpide, lucide, il «laisse les événements s'exprimer».

Universalité

L'essentiel c'est que les marginalisés, les perdants ont une place centrale dans son univers - tout comme dans le nôtre, le «vrai». D'abord honteux de ses origines, son activité littéraire (la seule qu'il exerce et dont il vit depuis toujours) lui a permis, par un travail d'observation et de mémoire, de se construire une identité métisse, multiple, où coexistent aujourd'hui Trinidad, l'Inde, l'Angleterre et enfin le monde entier. Son manque de racines solides, son cosmopolitisme, a-t-il dit, l'ont condamné à l'universalité. A l'ouverture plutôt qu'à l'enfermement. Tout un symbole, en effet, en ce début de millénaire. Entre le départ et l'arrivée, cinquante années de quête de la vérité, sur le monde, sur soi. Une quête, un travail acharné, minutieux, un dépassement des origines et des limites tracées (nationales, idéologiques, culturelles et littéraires) qui a permis au jeune homme dont l'ambition était d'être un auteur célèbre, de devenir un très grand écrivain.


îuvres de V.S. Naipaul en français:

Une maison pour Monsieur Biswas. Trad. Louise Servicen. Paris: Gallimard, 1964.
Un drapeau sur l'île. Trad. Pauline Verdun. Paris: Gallimard, 1971.
Crépuscule sur l'islam : voyage au pays des croyants. Trad. Natalie Zimmermann et Lorris Murail. Paris: A. Michel, 1981.
Guérilleros. Trad. Annie Saumont Paris: France loisirs, 1981.
A la courbe du fleuve. Trad. Gérard Clarence. Paris: A. Michel, 1982.
Dis-moi qui tuer. Trad. Annie Saumont. Paris: A. Michel, 1983.
Mr. Stone. Trad. Annie Saumont. Paris: A. Michel, 1985.
L'Inde brisée. Trad. Bernard Géniès. Paris: C. Bourgois, 1989.
L'énigme de l'arrivée. Trad. Suzanne Mayoux. Paris: C. Bourgois, 1991.
L'Inde : un million de révoltes. Trad. Béatrice Vierne. Paris: Plon, 1992.
Le masseur mystique. Trad. Marie-Lise Marlière. Paris: UGE, 1994.
Miguel street. Trad. Pauline Verdun. Paris: UGE, 1994.
Un chemin dans le monde. Trad. Suzanne Mayoux. Paris: Plon, 1995.
Dans un état libre. Trad. Annie Saumont. Paris: 10-18, 1998.
Jusqu'au bout de la foi. Trad. Philippe Delamare. Paris: Plon, 1998.




par Henriette  SARRASECA

Article publié le 11/10/2001