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Nicaragua

Large victoire du libéral Bolanos

La "campagne de l'amour" que proposait le populiste révolutionnaire Daniel Ortega, n'a pas séduit le Nicaragua qui a préféré la continuité. C'est Enrique Bolanos que les électeurs ont choisi pour Président de la république.
De notre envoyé spécial au Nicaragua

Il aura fallu pratiquement 2 jours au Conseil Suprême Electoral pour donner les résultats définitifs des élections au Nicaragua. Le Parti Libéral Constitutionnel (PLC) l'emporte haut la main avec 54,7 %, les Sandinistes obtiennent 43,6 %, et le Parti Conservateur 1,5 %.

Le nouveau président, Enrique Bolanos, 73 ans, industriel, ancien patron des patrons, vice président du Nicaragua, pourra compter sur une majorité au Parlement de 49 sièges contre 42 aux Sandinistes et un au PC. A ces 90 sièges de députés, il faudra en rajouter 2.

L'an dernier, en accord avec les Sandinistes, Arnoldo Aleman a fait voter une modification de la Constitution qui garantit un siège de député pour le président de la République sortant (Arnoldo Aleman), l'autre pour le candidat qui a obtenu le second meilleur score (Daniel Ortega). Dans l'esprit d'Arnoldo Aleman, cela devrait lui permettre de continuer à dominer la scène politique en gouvernant derrière Enrique Bolanos, son ancien vice-président. Par ailleurs, ce siège de député lui donne une immunité parlementaire ce qui devrait le mettre à l'abri de la justice pour les actes de corruption qui lui ont empêché de briguer un second mandat.

Enrique Bolanos, très isolé, sans base militante, a donc une marge de manoeuvre bien mince. Une victoire des Sandinistes aurait pu engendrer une incertitude économique, celle de Bola¦os pourrait bien engendrer une incertitude politique. Son programme repose sur la lutte contre la corruption, le mal du Nicaragua, mais il est peu probable qu'il puisse agir dans ce sens lorsque l'on sait qu'il ferme les yeux sur les agissements d'Aleman. Par ailleurs, le pays est dans une telle situation économique et sociale, qu'il lui sera difficile d'engager une autre politique. Il est pieds et poings liés aux engagements pris par les gouvernements précédents vis à vis des institutions internationales et manque totalement de sensibilité sociale. Or le pays meurt de faim et réclame de véritables politiques sociales.

Le poids de l'Eglise et les Etats-Unis

Le Nicaragua a pourtant choisi la continuité. Peut-être par peur de soutenir cette Convergence démocratique que proposaient Sandinistes et libéraux démocrates. L'écart entre les deux tendances est important, néanmoins, il y a eu sur ces élections le poids de deux "institutions" qui jouent un rôle capitale au Nicaragua : l'Eglise et les Etats-Unis. Trois jours avant les élections, ces entités sont intervenues de plain-pied dans ces élections.

Mgr. Obando y Bravo, l'évêque de Managua, avait réuni, deux jours avant le scrutin, pour une grand-messe à la cathédrale, tous les hommes politiques catholiques pour leur livrer son message. Au premier rang, les frères ennemis, Enrique Bolanos et Daniel Ortega. Dans son homélie, à demi mot, mais suffisamment clairement, l'évêque de Managua a engagé les électeurs à voter pour le candidats qui "présentaient les meilleures valeurs morales, qui ne détruisait pas la famille" attaquant frontalement Daniel Ortega (la propagande anti-sandiniste lui reproche d'avoir violé sa fille adoptive) dont il est idéologiquement aux antipodes. Ceux qui suivent à la lettre les recommandations de Obando y Bravo sont plus nombreux que ce que l'on pourrait croire même si l'evêque n'a plus la même aura qu'au moment de la révolution.

Influence d'une église catholique très puissante et conservatrice qui entretient avec le pouvoir une excellente relation depuis 1990, lorsque Violeta Chamorro a repris le pouvoir aux Sandinistes. Une Eglise souvent critiquée par la CELAM (Conférence Episcopale d'Amérique latine) qui ne la trouve pas assez proche des populations les plus pauvres. Pour illustration, Mgr Fonseca, le porte parole de l'évêché a demandé que "le thème de la pauvreté ne soit pas un thème de discussion et de débat pendant la campagne électorale car les pauvres ont toujours existé et existeront toujours".

Les Etats-Unis ont eux aussi joué un rôle capitale. Depuis le début de la campagne électorale, Washington, à travers son ambassadeur, a clairement prévenu qu'il fallait barrer le retour des Sandinistes. Qu'une victoire d'Ortega entraînerait une suspension des aides de coopération et mettrait le Nicaragua dans la "glacière américaine" pour au moins 5 ans. La menace a été d'autant mieux entendu que sur 5 millions de Nicaraguayens, 10 % vivent aux Etats-Unis. Au mépris du droit international, ce pays s'est immiscé tout au long de ces élections pour rappeler que les Sandinistes (qui ont combattu la dictature de Somoza que soutenait alors la CIA) sont considérés comme des ennemis des Etats-Unis et depuis les attentats du 11 septembre, comme d'éventuels terroristes. Enfin, Georges Bush ne pouvait accepter une brèche dans son arc de défense atlantique ou permettre la formation d'une alliance socialiste Castro - Ortega - Chavez dans son arrière cour.

Ces deux "institutions" très influentes sont peut-être celles qui ont fait basculé le vote en faveur du Parti Libéral Constitutionnel. Le Nicaragua s'est étonné lui même. 90 % des électeurs se sont rendus aux urnes, parfois en faisant plus 6 heures de queue. Il y avait donc bien une volonté de la population de se prononcer sur son avenir. Elle ne sait pas s'il a fait le bon choix. Ceux qui auraient voulu voir gagner la Convergence démocratique pensaient dépasser le clivage gauche-droite pour appuyer un programme de redressement économique, de lutte contre la pauvreté et la corruption. Les autres espèrent que Bolanos sera capable de lutter contre la corruption, mais déjà, on s'interroge sur sa capacité à gouverner.



par A Managua, Patrice  Gouy

Article publié le 06/11/2001