Soudan
Paix comme Pétrole
Le gouvernement du Soudan et les rebelles du Sud ont signé ce 19 janvier un accord de cessez-le-feu dans les Monts Nuba, à l’issue de cinq jours de négociations dans la ville de Buergenstock, en Suisse. Prévue pour une durée de six mois renouvelable, cette trêve qui permettra l’acheminement de l’aide humanitaire dans cette région centrale interdite aux visiteurs étrangers depuis une dizaine d’années, sera contrôlé par une équipe d’observateurs européens et américains.
L’accord a été obtenu à la suite d’une initiative de paix, menée par l’ancien sénateur républicain du Missouri, prédicateur de l’église épiscopale, John Danforth.
Simple ponctuation de la stratégie américaine initiée par les attentats du 11 septembre ou prélude à un règlement général du conflit opposant le Nord au Sud du pays depuis 1983 ? La bonne volonté de Khartoum reste à juger sur pièces tout comme les motivations réelles des intervenants occidentaux.
Les attentats terroristes auront eu des conséquences inattendues pour les habitants des Monts Nuba. Cette population d’agriculteurs et d’artisans, évaluée entre 1,5 million et 2 millions de personnes avant la Seconde guerre civile de 1983, était devenue inaccessible par décision des autorités centrales, peu après le coup d’état du général Omar El Béchir en 1989. Assimilée géographiquement aux Nordistes, elle a été très tôt déchirée par les divisions des combattants : certains de ses chefs optant pour le gouvernement de Khartoum, d’autres pour John Garang de l’Armée populaire de libération du Soudan, ou encore, au moment de la scission de la guérilla sudiste, pour Riek Machar. Mais en 1992, la majorité des chefs des montagnes Nuba choisit le camp des rebelles, offrant une base à l’APLS.
Les forces gouvernementales resserrent alors leur étau : ne parviennent dans la région que quelques avions clandestins d’organisations humanitaires. Celles-ci recueillent les témoignages sur les destructions systématiques des villages, les migrations forcées et l’islamisation des habitants.
Après le 11 septembre 2001, et en raison de ses liens passés avec Oussama Ben Laden, le Soudan regagne le devant de la scène politique internationale. Inquiètes pour le développement de ses richesses pétrolières, les autorités soudanaises s’empressent de manifester leur soutien aux États-Unis. Le 28 septembre, le Conseil de sécurité des Nations unies annule les sanctions qu’il avait prises en 1996 contre Khartoum, en raison de la protection accordée aux auteurs de la tentative d’assassinat du chef de l’État égyptien, Hosni Moubarak. Cette décision n’ira pas sans contrepartie.
Au nom de la paix
Un ancien sénateur, John Danforth, est envoyé à Khartoum, fin novembre. Il visite les Monts Nuba. Après son départ, l’armée lance une offensive dans la région. Le même scénario se répète quelques jours plus tard à la suite d’un voyage de compléments d’information de l’équipe Danforth.
Le 6 janvier, deux jours avant le retour de John Danforth et de ses conseillers dans la capitale soudanaise, les deux dirigeants de la guérilla sudiste, John Garang et Riek Machar, rivaux depuis 10 ans, proclament leur unité retrouvée contre le Nord, à Nairobi. Ils scellent leur nouvel accord en lançant une attaque dans les Monts Nuba.
Déstabilisée par les événements, la mission de John Danforth, relayée par les autorités helvétiques, n’a trouvé aujourd’hui que ce cessez-le feu –et encore, limité dans le temps- comme exutoire à ses propositions de paix. Elle a été contrainte de renoncer à ses exigences sur l’arrêt des bombardements aériens et à l’arrêt des rapts d’esclaves.
La proximité de l’oléoduc reliant les champs de pétrole du Haut Nil occidental à Port Soudan sur la Mer Rouge, a vraisemblablement pesé dans la position du gouvernement. En effet, un cessez-le-feu dans les Monts Nuba permettrait aux autorités de contenir les attaques da la base Nuba de l’APLS contre le précieux pipe-line, tout en apparaissant comme les initiateurs de l’aide humanitaire à venir. A ces tours de passe-passe, Khartoum est un maître.
En moins de quatre ans, il a réussi à faire place nette aux compagnies pétrolières dans le Sud, en jetant les commandants locaux les uns contre les autres et en associant de plus en plus étroitement les opérateurs étrangers à ses actions militaires. Expulsions, villages brûlés et massacres des civils ont été dénoncés par les organisations des Droits de l’homme, fustigeant la participation financière et logistique des sociétés canadiennes, européennes et asiatiques.
Les revenus nationaux provenant de l’exploitation des puits de pétrole ont ainsi augmenté de 875% de 1999 à 2001 pendant que les dépenses militaires ont bondi de 61 millions de dollars en 1999 à 596 millions en 2000, selon le Fonds monétaire international. Avec ses 200 000 barils de brut par jour, le Soudan a déjà acquis un strapontin d’observateur à l’Opep et prévoit de doubler sa production d’ici trois ans. L’euphorie et l’ivresse sont de mise pour ce pays qui jusque là n’exportait que la gomme arabique et le coton.
Mais l’ivresse reste tempérée par deux faits bien réels : d’abord, l’union sudiste, proclamée le 6 janvier à Nairobi. Les incessants combats inter-régionaux, les expulsions par l’armée et la privation des bénéfices du pétrole ont réussi, là où les dirigeants religieux du Sud Soudan, butaient depuis des années. Ensuite, la mobilisation de l’opinion publique en Amérique du Nord et au Royaume Uni sur l’utilisation de l’argent et des infrastructures des compagnies pétrolières* pour mener la guerre contre le Sud, avec en arrière-plan, la confrontation entre islam et christianisme.
*le Consortium des compagnies pétrolières englobe des sociétés chinoise, canadienne, malaisienne, autrichienne, britannique, suédoise, qatari, émirien. TotalElfFina qui possède la plus grande concession n’a pas commencé l’exploitation.
Liens internet :
http://www.nubasurvival.com
http://www.sudanreport2001/resourcepage.html
Simple ponctuation de la stratégie américaine initiée par les attentats du 11 septembre ou prélude à un règlement général du conflit opposant le Nord au Sud du pays depuis 1983 ? La bonne volonté de Khartoum reste à juger sur pièces tout comme les motivations réelles des intervenants occidentaux.
Les attentats terroristes auront eu des conséquences inattendues pour les habitants des Monts Nuba. Cette population d’agriculteurs et d’artisans, évaluée entre 1,5 million et 2 millions de personnes avant la Seconde guerre civile de 1983, était devenue inaccessible par décision des autorités centrales, peu après le coup d’état du général Omar El Béchir en 1989. Assimilée géographiquement aux Nordistes, elle a été très tôt déchirée par les divisions des combattants : certains de ses chefs optant pour le gouvernement de Khartoum, d’autres pour John Garang de l’Armée populaire de libération du Soudan, ou encore, au moment de la scission de la guérilla sudiste, pour Riek Machar. Mais en 1992, la majorité des chefs des montagnes Nuba choisit le camp des rebelles, offrant une base à l’APLS.
Les forces gouvernementales resserrent alors leur étau : ne parviennent dans la région que quelques avions clandestins d’organisations humanitaires. Celles-ci recueillent les témoignages sur les destructions systématiques des villages, les migrations forcées et l’islamisation des habitants.
Après le 11 septembre 2001, et en raison de ses liens passés avec Oussama Ben Laden, le Soudan regagne le devant de la scène politique internationale. Inquiètes pour le développement de ses richesses pétrolières, les autorités soudanaises s’empressent de manifester leur soutien aux États-Unis. Le 28 septembre, le Conseil de sécurité des Nations unies annule les sanctions qu’il avait prises en 1996 contre Khartoum, en raison de la protection accordée aux auteurs de la tentative d’assassinat du chef de l’État égyptien, Hosni Moubarak. Cette décision n’ira pas sans contrepartie.
Au nom de la paix
Un ancien sénateur, John Danforth, est envoyé à Khartoum, fin novembre. Il visite les Monts Nuba. Après son départ, l’armée lance une offensive dans la région. Le même scénario se répète quelques jours plus tard à la suite d’un voyage de compléments d’information de l’équipe Danforth.
Le 6 janvier, deux jours avant le retour de John Danforth et de ses conseillers dans la capitale soudanaise, les deux dirigeants de la guérilla sudiste, John Garang et Riek Machar, rivaux depuis 10 ans, proclament leur unité retrouvée contre le Nord, à Nairobi. Ils scellent leur nouvel accord en lançant une attaque dans les Monts Nuba.
Déstabilisée par les événements, la mission de John Danforth, relayée par les autorités helvétiques, n’a trouvé aujourd’hui que ce cessez-le feu –et encore, limité dans le temps- comme exutoire à ses propositions de paix. Elle a été contrainte de renoncer à ses exigences sur l’arrêt des bombardements aériens et à l’arrêt des rapts d’esclaves.
La proximité de l’oléoduc reliant les champs de pétrole du Haut Nil occidental à Port Soudan sur la Mer Rouge, a vraisemblablement pesé dans la position du gouvernement. En effet, un cessez-le-feu dans les Monts Nuba permettrait aux autorités de contenir les attaques da la base Nuba de l’APLS contre le précieux pipe-line, tout en apparaissant comme les initiateurs de l’aide humanitaire à venir. A ces tours de passe-passe, Khartoum est un maître.
En moins de quatre ans, il a réussi à faire place nette aux compagnies pétrolières dans le Sud, en jetant les commandants locaux les uns contre les autres et en associant de plus en plus étroitement les opérateurs étrangers à ses actions militaires. Expulsions, villages brûlés et massacres des civils ont été dénoncés par les organisations des Droits de l’homme, fustigeant la participation financière et logistique des sociétés canadiennes, européennes et asiatiques.
Les revenus nationaux provenant de l’exploitation des puits de pétrole ont ainsi augmenté de 875% de 1999 à 2001 pendant que les dépenses militaires ont bondi de 61 millions de dollars en 1999 à 596 millions en 2000, selon le Fonds monétaire international. Avec ses 200 000 barils de brut par jour, le Soudan a déjà acquis un strapontin d’observateur à l’Opep et prévoit de doubler sa production d’ici trois ans. L’euphorie et l’ivresse sont de mise pour ce pays qui jusque là n’exportait que la gomme arabique et le coton.
Mais l’ivresse reste tempérée par deux faits bien réels : d’abord, l’union sudiste, proclamée le 6 janvier à Nairobi. Les incessants combats inter-régionaux, les expulsions par l’armée et la privation des bénéfices du pétrole ont réussi, là où les dirigeants religieux du Sud Soudan, butaient depuis des années. Ensuite, la mobilisation de l’opinion publique en Amérique du Nord et au Royaume Uni sur l’utilisation de l’argent et des infrastructures des compagnies pétrolières* pour mener la guerre contre le Sud, avec en arrière-plan, la confrontation entre islam et christianisme.
*le Consortium des compagnies pétrolières englobe des sociétés chinoise, canadienne, malaisienne, autrichienne, britannique, suédoise, qatari, émirien. TotalElfFina qui possède la plus grande concession n’a pas commencé l’exploitation.
Liens internet :
http://www.nubasurvival.com
http://www.sudanreport2001/resourcepage.html
par Marion Urban
Article publié le 21/01/2002