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Arabie Saoudite

La Turquie s’indigne de la destruction d’une forteresse

La destruction, par l’Arabie Saoudite, d’une forteresse ottomane provoque la colère de la Turquie. L’édifice qui surplombait la Grande Mosquée de la Mecque doit laisser place à un complexe résidentiel.
De notre correspondant en Turquie

Les autorités saoudiennes ont beau affirmer que la forteresse al-Ajyad à la Mecque, détruite pour permettre l’érection d’un complexe immobilier, sera reconstruite à l’identique, Ankara ne décolère pas. La direction des Affaires Religieuses turques a même laissé entendre qu’elle pourrait lancer un mot d’ordre de boycott du «petit» pèlerinage de la Mecque (Omra, Umre en turc), celui qui s’effectue en dehors de la période traditionnelle du Hadj. «On ne peut accepter la destruction d’une forteresse dressée par ceux qui ont assuré la protection des lieux saints», fulmine le chef de cette influente administration rattachée au Premier ministre, regrettant que les réservations pour le grand rassemblement de février aient déjà été payés, leur annulation risquant d’être dommageable aux pèlerins eux-mêmes.

Déjà affecté par l’instabilité régionale et la crise économique, le contingent turc pour le rendez-vous annuel de la Mecque (65 000 personnes), risque donc d’être inférieur aux années précédentes. Plusieurs dizaines d’hôtes turcs parmi les habituels invités de prestige de la couronne saoudienne, tels l’ancien Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, pourraient également refuser l’hospitalité du roi Fahd, unanimement vilipendé par la presse locale pour sa «mentalité de Taliban».

Entre les deux pays, plus de méfiance que de respect

Et Bagdad s’est retranchée lundi derrière des prétextes d’hygiène publique pour annuler l’importation de 30 000 moutons devant être sacrifiés à l’occasion du prochain Aïd-el-Adha, mais il est difficile de dissocier cette décision du froid glacial entre les deux pays depuis que la forteresse al-Ajyad a été rasée de la colline Boulboul surplombant le premier lieu saint de l’Islam.

Il n’est un secret pour personne que les deux pays se vouent plus de méfiance que de respect, et cette nouvelle tension a réveillé de vieilles susceptibilités, d’autant que le gigantesque programme de modernisation de la zone où se pressent quelque 2 millions de visiteurs chaque année prévoit d’autres «nettoyages culturels», comme l’a dénoncé la presse turque… Un hôpital, également construit par l’Empire ottoman et portant le même nom que la forteresse désormais disparue, fait partie des prochaines destructions, que justifie la «demande croissante des fidèles» alors que «les installations existantes sont anciennes et de capacité limitée», expliquent les responsables saoudiens. Et il n’a pas échappé aux commentateurs turcs que l’une des entreprises chargées de la destruction et des prochaines constructions est celle de la famille ben Laden, nom de sinistre réputation depuis les attentats du 11 septembre qui sont attribués à l’un de ses membres, Oussama, aujourd’hui déchu de sa nationalité.

Mais pour Ankara, il ne fait aucun doute que Riyad veut faire table rase du passé ottoman de la capitale mondiale de l’Islam, débarrassée de la présence turque au début du XXe siècle avec l’aide du célèbre Lawrence d’Arabie, dont la maison à Djeddah a été transformée en musée sur décision de la famille royale. Selon Ankara, les dirigeants saoudiens ont déjà fait disparaître d’autres constructions ottomanes un peu partout dans le pays, des tombes et mausolées, une gare à la Mecque, et ils seraient prêts à démonter les arcades qui entourent la fameuse Kaaba, également de construction ottomane. Problème pour la Turquie, qui a malgré tout porté plainte devant l’Unesco : la forteresse construite entre 1775 et 1778 pour défendre le ville sainte contre les attaques de tribus bédouines n’était pas inscrite sur la liste du patrimoine mondial. Elle ne peut aujourd’hui que dénoncer une cabale à son endroit.

Les griefs du monde arabe et en premier lieu de l’Arabie saoudite, il est vrai, ne manquent pas ! La Turquie ne paie pas là seulement le prix de son passé impérial et de son occupation, 4 siècles durant, d’une grande partie des actuelles nations membres de la Ligue arabe. Les leaders politiques autant que religieux de cette partie du monde gardent en mémoire la «trahison» de l’appropriation du Califat par le Sultan Yavuz Sélim au début du XVIe siècle. «La Turquie est la dernière à pouvoir parler d’histoire», rétorquait ainsi le journal saoudien Okaz, l’accusant d’avoir renié son passé oriental. Car voilà bien le véritable reproche fait par la dynastie Wahabbite aux Turcs : avoir, «sous le prétexte d’une révolution, par une décision militaire, gommé en une nuit son passé» musulman pour devenir un état laïc, allusion à la fondation de la République par Mustafa Kemal Atatürk en 1923. pas étonnant donc que la collecte de 112.000 signatures lancée l’an dernier quand les projets urbains pour la Mecque avaient été connus en Turquie n’ait pas ému le roi Fahd, qui se retranche aujourd’hui derrière sa «souveraineté» sur le territoire saoudien, terre sainte pourtant d’une communauté de plus d’un milliard de musulmans de par le monde.



par Jérôme  Bastion

Article publié le 16/01/2002