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Des enfants forcés à se prostituer pour de l’aide humanitaire

L’exploitation sexuelle des enfants réfugiés au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone est un phénomène largement répandu, selon une mission d’évaluation du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). Des personnels locaux du HCR et d’autres organisations humanitaires s’y livreraient, forçant des jeunes filles de moins de 18 ans à se prostituer en échange de l’aide humanitaire.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Les premières conclusions font froid dans le dos. Une mission d’évaluation conjointe du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) et de l’ONG britannique Save the Children révèle «la preuve d’une exploitation sexuelle largement répandue des enfants réfugiés au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone». Selon les témoignages d’enfants recueillis au cours d’une mission de quarante jours, cette exploitation sexuelle est «principalement» le fait «de travailleurs employés sur place par des ONG nationales et internationales ainsi que par des agences de l’ONU, le HCR y compris». Selon l’équipe d’enquête, dans ces trois pays, les employés en question ont utilisé «l’aide humanitaire et les services censés bénéficier aux réfugiés comme un outil d’exploitation».

Le rapport dresse l’équivalent d’un portrait-robot de «l’exploiteur» typique abusant des enfants. Il s’agit le plus souvent d’un homme, ressortissant du pays où il sévit, qui échange des services ou des biens humanitaires contre des rapports sexuels avec de jeunes filles de 13 à 18 ans. Les parents étaient selon le rapport souvent au courant, mais préféraient ignorer le problème. Parfois, ils encourageaient ces pratiques, perçues comme le seul moyen d’obtenir de la nourriture. «Les employés d’ONG ont tellement de pouvoir qu’ils sont traités comme des personnages vraiment importants et la communauté n’ose pas s’opposer à eux», explique dans le rapport un porte-parole de réfugiés guinéen. «Il est difficile d’échapper au piège de ces membres d’ONG, a déclaré un adolescent libérien à l’équipe d’enquête. Ils vous appâtent avec de la nourriture pour vous forcer à avoir des relations sexuelles avec eux». «Si vous voyez une jeune fille repartir avec une bâche en plastique sur la tête, vous savez comment elle l’a obtenue», assure un réfugié guinéen.

Les casques bleus mis en cause

Dans la plupart des cas, la personne coupable d’exploitation sexuelle travaille pour une ONG ou une agence de l’ONU, mais dans certains cas, des soldats appartenant à des troupes chargées du maintien de la paix ainsi que des officiels des gouvernements des trois pays cités ou des personnalités locales ont été incriminées. Le rapport cite plusieurs témoignages selon lesquels des casques bleus forceraient des enfants à poser nus ou à se prostituer sur des plages ou autour des garnisons, parfois avec des groupes de soldats entiers, en échange de biscuits ou de savon. En tout, des centaines de témoignages d’enfants mettent en cause quarante agences et organisations et 70 individus. Selon l’ONU, «cette pratique apparaît particulièrement prononcée dans les endroits où les programmes d’aide sont importants et bien établis», à commencer par les camps de réfugiés en Guinée et au Liberia.

L’équipe d’évaluation composée de consultants et de membre du HCR, de Save the Children et d’un consultant indépendant admet ne pas avoir «été en position de vérifier les allégations», mais leur nombre «ne laisse aucun doute sur le fait qu’il y a un sérieux problème d’exploitation sexuelle». Alertée par des témoignages en provenance du terrain, la mission d’évaluation a commencé son enquête préliminaire à la fin de l’an dernier. Si les premiers détails ont déjà été révélés à la presse, c’est à cause de «l’ampleur apparente du problème et du besoin de mesures pour y remédier immédiatement et de façon coordonnées entre un grand nombre d’agences et d’organisations».

Une nouvelle équipe d’enquête est en Sierra Leone depuis deux semaines pour vérifier les faits. Elle comprend deux personnes du bureau des services de contrôle interne, une sorte de police des polices de l’ONU basée à New York, ainsi qu’un pédiatre indépendant spécialisé dans les abus sexuels et des membres du HCR basés à Genève. L’un des aspects les plus difficiles de leur tâche consiste à recueillir des preuves sans mettre en danger les enfants qui témoignent.

En attendant les résultats définitifs de l’enquête, le HCR a mis sur pied un plan visant à assurer une meilleur protection aux femmes et aux enfants réfugiés. Outre un renforcement des conditions de sécurité et de la présence de personnel international dans les camps, ces mesures prévoient d’augmenter le nombre d’employés de sexe féminin et de mettre en place un mécanisme sûr permettant aux réfugiés de déposer des plaintes auprès de responsables haut placés du HCR. Il est en outre demandé aux responsables des camps de faire part de tout abus constaté. Les relations sexuelles entre des employés de l’ONU ou d’ONG et des réfugiés de moins de 18 ans devraient être interdites. Le HCR envisage également d’assurer un meilleur accès des réfugiés aux instances judiciaires, afin que les personnes coupables d’abus sexuel soient jugées et punies. L’agence onusienne se propose également d’identifier les jeunes filles les plus vulnérables (orphelines, seules...) pour leur offrir une assistance particulière. Des campagnes de sensibilisation au problème sont également prévues.

Ecouter également:

Rony Brauman, fondateur de MSF au micro de Pierre Ganz (01/03/2002, 8'30")

Pierre Bertrand, Directeur adjoint du HCR à New York au micro d'Anne-Marie Capomaccio (28/02/2002, 1'07")

Jean-Hervé Bradolle, Président de Médecins Sans Frontières au micro de Patrick Adam (28/02/2002, 1'02")

Chris Janovski, Porte-parole du HCR au micro de Sarah Tisseyre (27/02/2002, 1'11")

Le commentaire de Laurent Mossu, correspondant de RFI à Genève



par Philippe  Bolopion

Article publié le 27/02/2002