Etats-Unis
L’Amérique, Etat voyou nucléaire ?
Selon des fuites dans la presse américaine, le Pentagone projette d’élargir les conditions d’utilisation de l’arme nucléaire. Des plans d’urgence auraient été préparés pour une éventuelle utilisation d'armes nucléaires contre des pays qui n’en disposent pas, en violation des traités de non-prolifération nucléaire. Une telle doctrine ferait des Etats-Unis un «Etat voyou», estime le New York Times.
De notre correspondant à New York
Même en ces temps de guerre, le patriotisme de la presse américaine a des limites. Le Pentagone a réussi la prouesse de les franchir allègrement. Mardi, dans un éditorial, le New York Times a qualifié les Etats-Unis de «dangereux Etat voyou» (rogue state). Ce week-end, le Los Angeles Times, suivi par d’autres, a révélé que le Pentagone préparait un plan d’urgence prévoyant de faire usage de l’arme nucléaire contre au moins sept pays : la Chine, la Russie, l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran, la Libye et la Syrie. Dans ce rapport secret bâptisé «revue de la posture nucléaire» et transmis au Congrès le 8 janvier, il est également envisagé de produire des «mini-armes nucléaires», de faible ampleur, utilisables dans certaines configurations sur le champ de bataille, par exemple pour venir à bout de réseaux de bunkers souterrains.
Selon le rapport qui serait signé par le secrétaire d’Etat à la défense Donald Rumsfeld, l’arme nucléaire pourrait être utilisée dans trois cas : contre une cible capable de résister à une attaque conventionnelle, en représailles à une attaque nucléaire biologique ou chimique, ou en cas «d'événements militaires surprenants». Ce positionnement serait un revirement total de la doctrine militaire américaine jusqu’à maintenant fondée sur la dissuasion. Depuis près de 20 ans, les Etats-Unis se sont écartés des armes nucléaires tactiques. La bombe nucléaire ne devait être utilisée qu’en dernier recours contre une puissance nucléaire ou ses alliés, en aucun cas contre une puissance non-nucléaire. Or, selon ce nouveau rapport, le Pentagone devrait se préparer à utiliser l’arme nucléaire en cas de conflit israélo-arabe, en cas de guerre entre la Chine et Taïwan, dans le cas d’une attaque de la Corée du Nord contre son voisin du sud, ou en cas d’attaque de l’Irak contre Israël.
Des informations «un peu exagérées»
Une fois ces informations parues, l’administration Bush a mollement tenté de les minimiser. Sans nier, le Pentagone a dénoncé des «fuites sélectives et trompeuses». «Nous avons une large palette d'options pour défendre nos intérêts et ceux de nos alliés. Il ne faut pas se laisser aller à penser que les Etats-Unis se préparent à utiliser l'arme nucléaire en cas d'urgence, dans un avenir proche», a pour sa part affirmé le secrétaire d’Etat à la défense Colin Powell. Qualifiant les informations parues dans la presse de «un peu exagérées», le vice-président Dick Cheney a assuré que les Etats-Unis «ne pointent pas aujourd'hui leurs armes nucléaires en permanence vers un quelconque pays». Mais demain ? Selon lui ce rapport ne fait que donner «des idées des directions qui pourraient être les nôtres à l'avenir».
Moscou, Téhéran et Pékin n’ont pas apprécié la nouvelle. La France s’est contentée d’observer que «aucune déclaration des autorités américaines n'indique qu'il y ait eu changement de la doctrine nucléaire américaine». Mais dans son ensemble, la presse américaine a plutôt mal réagi. «Si un autre pays projetait de développer une nouvelle arme nucléaire et envisageait des frappes préventives contre une série de puissances non-nucléaires, Washington qualifierait à juste titre ce pays de dangereux Etat voyou» estime le New York Times dans un éditorial. «M. Bush doit renvoyer ce document à ses auteurs et demander une nouvelle version moins dangereuse pour la sécurité des générations futures d’Américains», poursuit le quotidien qui estime que le Pentagone commet «une grave erreur en minant l’efficacité du traite de non-prolifération nuclaire».
Plusieurs journaux soulignent que si le projet du Pentagone était endossé par la Maison Blanche, les puissances non-nucléaires pourraient en conclure qu’elles ont besoin d’armes nucléaires pour éviter une attaque nuclaire. Les éditorialistes relèvent également que le développement de nouvelles armes nucléaires ne pourrait se faire sans des tests qui risquent d’entraîner la reprise des essais nucléaires, notamment dans des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran. Rappelant qu’une utilisation inconsidérée de l’arme nucléaire pourrait aboutir à la fin de la vie sur la terre, le New York Times conclut que «rabaisser le seuil d’utilisation de ces armes est une folie irréfléchie.» Sous le titre «Une position tordue», le Boston Globe estime que la seule conséquence de cette nouvelle posture serait «d’augmenter le risque que des armes nucléaires soient utilisées dans des guerres.» Dans le Los Angeles Times, Robert Scheer, ironise : «Dans le doute, balancez une bombe nucléaire». Il estime que le plan du Pentagone ressemble à «une crise de colère infantile née de la frustration de l’administration Bush qui ne parvient pas à tenir sa promesse un peu rapide de mettre un terme au fléau terroriste.»
A écouter aussi :
L'invité de la rédaction
Philippe Leymarie qui assure chaque semaine sur RFI une chronique sur les questions de défense répond aux questions d'Annie Fave, au sujet du rapport secret du Pentagone.
Même en ces temps de guerre, le patriotisme de la presse américaine a des limites. Le Pentagone a réussi la prouesse de les franchir allègrement. Mardi, dans un éditorial, le New York Times a qualifié les Etats-Unis de «dangereux Etat voyou» (rogue state). Ce week-end, le Los Angeles Times, suivi par d’autres, a révélé que le Pentagone préparait un plan d’urgence prévoyant de faire usage de l’arme nucléaire contre au moins sept pays : la Chine, la Russie, l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran, la Libye et la Syrie. Dans ce rapport secret bâptisé «revue de la posture nucléaire» et transmis au Congrès le 8 janvier, il est également envisagé de produire des «mini-armes nucléaires», de faible ampleur, utilisables dans certaines configurations sur le champ de bataille, par exemple pour venir à bout de réseaux de bunkers souterrains.
Selon le rapport qui serait signé par le secrétaire d’Etat à la défense Donald Rumsfeld, l’arme nucléaire pourrait être utilisée dans trois cas : contre une cible capable de résister à une attaque conventionnelle, en représailles à une attaque nucléaire biologique ou chimique, ou en cas «d'événements militaires surprenants». Ce positionnement serait un revirement total de la doctrine militaire américaine jusqu’à maintenant fondée sur la dissuasion. Depuis près de 20 ans, les Etats-Unis se sont écartés des armes nucléaires tactiques. La bombe nucléaire ne devait être utilisée qu’en dernier recours contre une puissance nucléaire ou ses alliés, en aucun cas contre une puissance non-nucléaire. Or, selon ce nouveau rapport, le Pentagone devrait se préparer à utiliser l’arme nucléaire en cas de conflit israélo-arabe, en cas de guerre entre la Chine et Taïwan, dans le cas d’une attaque de la Corée du Nord contre son voisin du sud, ou en cas d’attaque de l’Irak contre Israël.
Des informations «un peu exagérées»
Une fois ces informations parues, l’administration Bush a mollement tenté de les minimiser. Sans nier, le Pentagone a dénoncé des «fuites sélectives et trompeuses». «Nous avons une large palette d'options pour défendre nos intérêts et ceux de nos alliés. Il ne faut pas se laisser aller à penser que les Etats-Unis se préparent à utiliser l'arme nucléaire en cas d'urgence, dans un avenir proche», a pour sa part affirmé le secrétaire d’Etat à la défense Colin Powell. Qualifiant les informations parues dans la presse de «un peu exagérées», le vice-président Dick Cheney a assuré que les Etats-Unis «ne pointent pas aujourd'hui leurs armes nucléaires en permanence vers un quelconque pays». Mais demain ? Selon lui ce rapport ne fait que donner «des idées des directions qui pourraient être les nôtres à l'avenir».
Moscou, Téhéran et Pékin n’ont pas apprécié la nouvelle. La France s’est contentée d’observer que «aucune déclaration des autorités américaines n'indique qu'il y ait eu changement de la doctrine nucléaire américaine». Mais dans son ensemble, la presse américaine a plutôt mal réagi. «Si un autre pays projetait de développer une nouvelle arme nucléaire et envisageait des frappes préventives contre une série de puissances non-nucléaires, Washington qualifierait à juste titre ce pays de dangereux Etat voyou» estime le New York Times dans un éditorial. «M. Bush doit renvoyer ce document à ses auteurs et demander une nouvelle version moins dangereuse pour la sécurité des générations futures d’Américains», poursuit le quotidien qui estime que le Pentagone commet «une grave erreur en minant l’efficacité du traite de non-prolifération nuclaire».
Plusieurs journaux soulignent que si le projet du Pentagone était endossé par la Maison Blanche, les puissances non-nucléaires pourraient en conclure qu’elles ont besoin d’armes nucléaires pour éviter une attaque nuclaire. Les éditorialistes relèvent également que le développement de nouvelles armes nucléaires ne pourrait se faire sans des tests qui risquent d’entraîner la reprise des essais nucléaires, notamment dans des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran. Rappelant qu’une utilisation inconsidérée de l’arme nucléaire pourrait aboutir à la fin de la vie sur la terre, le New York Times conclut que «rabaisser le seuil d’utilisation de ces armes est une folie irréfléchie.» Sous le titre «Une position tordue», le Boston Globe estime que la seule conséquence de cette nouvelle posture serait «d’augmenter le risque que des armes nucléaires soient utilisées dans des guerres.» Dans le Los Angeles Times, Robert Scheer, ironise : «Dans le doute, balancez une bombe nucléaire». Il estime que le plan du Pentagone ressemble à «une crise de colère infantile née de la frustration de l’administration Bush qui ne parvient pas à tenir sa promesse un peu rapide de mettre un terme au fléau terroriste.»
A écouter aussi :
L'invité de la rédaction
Philippe Leymarie qui assure chaque semaine sur RFI une chronique sur les questions de défense répond aux questions d'Annie Fave, au sujet du rapport secret du Pentagone.
par Philippe Bolopion
Article publié le 13/03/2002