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Etats-Unis

Les mensonges annoncés du Pentagone

Dans un effort pour rallier l’opinion internationale à sa guerre contre le terrorisme, le Pentagone étudie des stratégies visant à fournir de fausses informations à la presse étrangère, parfois par le biais d’e-mails truqués. Cette campagne de propagande serait gérée par un «Bureau d’influence stratégique» dont les critiques estiment qu’il menace la crédibilité du gouvernement américain.
De notre correspondant à New York

Voilà un bien piteux départ, pour un organisme censé manipuler les médias dans le plus grand secret. Le New York Times, rapidement suivi par d’autres, a révélé que le Pentagone étudiait sérieusement de rallier à sa cause l’opinion internationale par le biais d’un «Bureau d’influence stratégique» servant d’organe de propagande aux méthodes pour le moins contestables. Dans les projets classés secret-défense qui ont circulé, il est proposé d’utiliser les médias étrangers, dans des pays amis ou ennemis (au Moyen-Orient, en Asie et en Europe), en leur fournissant au besoin de fausses informations de manière à influencer leur ligne éditoriale. L’une des idées est d’envoyer des e-mails provenant de sources bidons à des journalistes, des relais d’opinion ou des leaders étrangers, pour faire avancer les vues de l’armée américaine ou s’attaquer à des pays hostiles.

Avec un certain sens de la mise en scène, ces méthodes sont classées «noires» d’un côté, pour tout ce qui est désinformation, et «blanches» de l’autre pour les informations vraies, la communication. «Cela va du plus noir des programmes noirs au plus blanc des programmes blancs» a déclaré au New York Times un officiel du Pentagone. Tout un programme. Pour soutenir le travail du nouveau bureau, le Pentagone loue les services d’une firme de consultants, le Rendon Group, connu pour avoir travaillé à la solde de la CIA et avoir mené des campagnes de propagande dans les pays arabes, notamment au profit de l’opposition irakienne. Le bureau travaillera en lien avec le commandement des opérations psychologiques, qui a notamment déversé des dizaines de milliers de tracts en Afghanistan.

Info ou intox ?

Au sein même du Pentagone, le projet est source de polémique. «Nous ne devrions pas nous occuper de ça. Laissons les fuites et la propagande à la CIA et aux barbouzes», a déclaré à l’agence Reuters, sous couvert d’anonymat, un responsable du département de la défense. Dans un éditorial, le New York Times estime qu’un «tel programme saperait plus qu’il ne renforcerait les efforts plus larges du gouvernement pour édifier un soutien international», ajoutant qu’un «mélange aussi confus du vrai et du faux ne peut que miner la crédibilité de toutes les informations qui sortent du Pentagone et d’autres parties du gouvernement.»

Ces projets de propagande n’ont pas encore reçu l’accord final de l’administration Bush ni du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld qui a demandé à son équipe de juristes de les passer en revue. La CIA les utilise depuis longtemps à l’étranger, mais la loi américaine interdit au Pentagone ou à la CIA de mener des campagnes de désinformation à l’intérieur. Or, à imaginer que le Pentagone mente pour obtenir que des agences de presse comme Reuters ou l’AFP publient de fausses informations, il y a de fortes chances pour que ces fausses informations soient reprises dans les médias américains.

Si le plan n’est pas encore avalisé, le «Bureau d’influence stratégique» existe déjà. Il a été créé peu après les attentats du 11 septembre. De petite taille mais généreusement financé, il est dirigé par un général de l’US Air Force et doit contribuer à regagner le soutien de l’opinion mondiale, et surtout des pays musulmans, dans la guerre contre le terrorisme. Il s’agit de répondre à la propagande redoutablement efficace d’Oussama Ben Laden. Le gouvernement a également mis en place des «centres d’information», ouverts 24 heures sur 24 et modelés sur les «war rooms», ces centres nerveux de la communication de crise des candidats aux élections américaines. Il doit aussi contrer les mensonges de l’ennemi, comme les informations de Al Qaïda sur le nombre de victimes civiles ou l’aide alimentaire américaine prétendument empoisonnée.

Après les fuites dans la presse sur ces projets, le département de la défense a contre-attaqué en répandant le message selon lequel le Pentagone ne mentirait pas au public, seulement à l’ennemi, pour donner sur le terrain un avantage stratégique aux Américains. «Les officiels du gouvernement, le département de la défense, moi-même et les personnes qui travaillent avec moi disons la vérité aux Américains et aux gens du monde entier» a déclaré Donald Rumsfeld dans une formule digne d’un tract de propagande d’une autre époque. «Le Pentagone n’use pas de la désinformation auprès de la presse étrangère », a-t-il ajouté avant de comparer ce qu’il entend faire avec les subterfuges utilisé par l’armée américaine pour tromper l’ennemi lors du débarquement américain en Normandie. Voilà quelques mois, Donald Rumsfeld avait solennellement promis aux journalistes, en pleine conférence de presse, de ne jamais leur mentir. «Je ne me souviens pas avoir jamais menti à la presse, avait-il affirmé, je n’ai pas l’intention de le faire.» Mentait-il ?



par Philippe  Bolopion

Article publié le 22/02/2002