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Etats-Unis

Enron: l'étau se resserre

Au lendemain de la démission du PDG d'Enron, Kenneth Lay, un ancien employé de Andersen chargé de superviser l'audit du géant déchu de l'énergie, a refusé de témoigner. David Duncan s'est retranché derrière son droit au silence. Chez Andersen, la destruction de possibles preuves a impliqué beaucoup de monde. Dernier rebondissement dans cette affaire : le suicide de l’ex-vice-président du groupe Clifford Baxter qui avait démissionné du groupe en mai. La police mène son enquête pour affirmer s’il y a un lien de cause à effet entre la plus grosse faillite des Etats-Unis et ce suicide.
De notre correspondant à New York

Le représentant de Pennsylvanie James Greenwood a résumé l'affaire avec un certain sens de la pédagogie : «M. Duncan, a-t-il expliqué devant ses collègues de la commission d'enquête parlementaire, Enron a volé la banque. Arthur Andersen a fourni la voiture pour fuir, et ils disent que vous étiez au volant.» Après avoir prêté serment, dans une scène à la hauteur des grands scandales de ces dernières années, David Duncan a par deux fois répété distinctement sa réponse, apprise par cœur : «J'aimerais répondre aux questions du comité, mais sur les conseils de mon avocat, je refuse respectueusement de répondre à la question qui m'est posée en me fondant sur la protection qui m'est garantie par la constitution des Etats-Unis.» La surprise des parlementaires est à peine feinte. Duncan avait averti qu'il ne témoignerait pas, à moins de se voir garantir une immunité que le panel du Congrès lui a refusé.

Dans la complexe chute du géant de l'énergie, l'homme est un acteur clé. Le 2 décembre dernier, en raison de subterfuges comptables, Enron a brutalement déclaré la plus grosse faillite que les États-Unis aient connu, ruinant des milliers d'employés, de retraités et d'investisseurs. Le cabinet d'audit Andersen est accusé d'avoir couvert ces subterfuges comptables, puis d'avoir détruit des documents sur l'audit d'Enron, alors qu'une enquête avait été ouverte. Face au panel, la direction d'Andersen a sans complexe rejeté la faute sur son partenaire David Duncan, chargé de superviser l'audit. La thèse est la suivante : le 23 octobre, alors que la Securities and Exchange Commission, le gendarme de Wall Street, venait d'ouvrir une enquête sur les comptes d'Enron, Duncan a ordonné la destruction des documents liés à l'audit du géant de l'énergie, sans consulter sa hiérarchie. Andersen a dénoncé ces actes de son partenaire comme «totalement inappropriés» et l'a limogé. Duncan a lui déjà affirmé avoir consulté les juristes de la firme avant de procéder à la destruction des documents.

Duncan, bouc émissaire ?

La question a été posée par les membres du Congrès: veut-on faire de Duncan un bouc émissaire ? Les enquêteurs ont déjà découvert que des douzaines d'employés d'Andersen ont participé à la destruction des documents, même après le début de l'enquête. Selon James Greenwood, cela compromet sérieusement la thèse selon laquelle la faute peut être rejetée sur un partenaire dévoyé : «Croyez-vous que 80 employés de Andersen ont reçu de M. Duncan la consigne de violer une clause de la politique de Andersen et qu'aucun d'entre eux n'a décroché son téléphone pour appeler des supérieurs et dire 'ça ne semble pas correct' ?» Poser la question en ces termes, c'est presque y répondre. La destruction de documents sensibles s'est aussi semble-t-il déroulée au siège même d'Enron à Houston, jusqu'à la mi-janvier et en dépit des enquêtes. «D'après nos informations, la destruction de preuves à Enron se faisait ouvertement, et de façon généralisée», a affirmé William Lerach, un avocat oeuvrant contre Enron.

De son côté, le patron d'Enron, Kenneth L. Lay a donné sa démission mercredi soir, cédant ainsi à la pression des créditeurs. «Je veux voir Enron survivre, a-t-il expliqué, et nous avons pour cela besoin à la barre de quelqu'un qui puisse se concentrer à 100% sur la réorganisation du groupe et la sauvegarde de sa valeur pour nos créditeurs et nos employés qui travaillent dur». Ces derniers temps, les enquêtes multiples qui ont été ouvertes sur la faillite de Enron avaient tendance à le distraire. L'homme, ami personnel et généreux donateur du président Bush, a vraisemblablement joué un rôle dans les arrangements financiers douteux qui ont conduit le groupe qu'il avait créé à sa perte. En septembre et en octobre, alors qu'il vendait massivement ses actions Enron pour un bon prix, Kenneth Lay encourageait ses employés à acheter des actions Enron en assurant que l'entreprise allait rebondir. Ceux qui l'ont écouté ont précipité leur ruine.

George W. Bush a pour sa part réaffirmé que son administration avait les mains propres et a même assuré que sa belle-mère figurait parmi les investisseurs qui ont perdu de l'argent sur les actions Enron (sic). D'après un sondage CBS, 63% des Américains estiment toutefois que l'administration Bush ne dit pas tout de ses relations avec Enron.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 25/01/2002