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Etats-Unis

Faillite d'Enron : le patron savait

En août dernier, la direction de Enron a reçu une lettre d'un de ses cadres la mettant en garde contre des pratiques financières douteuses pouvant conduire la compagnie à «l'implosion» qui s'est finalement produite. L'enquête devra déterminer si certains dirigeants se sont sciemment enrichis au détriment de leurs employés.
De notre correspondant à New York

Difficile de faire plus prémonitoire. «J'ai extrêmemement peur que nous n'implosions dans une vague de scandales liés à notre comptabilité» écrivait en août un des cadres du groupe Enron à son patron Kenneth Lay. Quatre mois plus tard, le 2 décembre, le géant de l'énergie s'effondrait dans la pire banqueroute qu'aient connu les Etats-Unis au cours de leur histoire. Depuis, l'affaire n'en finit plus de faire des vagues. Cette lettre de sept pages a été portée à la connaissance du public par l'une des cinq commissions de la chambre des représentants enquêtant sur la faillite d'Enron. Elle soulève les doutes les plus sérieux quant au comportement du dirigeant Kenneth Lay.

Alors même qu'il n'ignore vraisemblablement rien à cette époque de la fragilité de la situation du groupe, il rassure au mois d'août ses 20 000 employés par e-mail, leur écrivant : «Je ne me suis jamais senti mieux concernant les perspectives d'avenir de l'entreprise». Alors que beaucoup de dirigeants ont pu vendre leurs actions à temps, lorsque la compagnie s'est effondrée, Enron a empêché ses employés de vendre leurs parts. Beaucoup d'entre eux ont perdu les économies d'une vie, et certains jusqu'à leur retraite.

Ce sont justement les mensonges, qui ont précipité la chute du groupe. Pendant trois ans, les bénéfices de Enron ont été surévalués sans scrupule. Des dettes de plusieurs centaines de millions de dollars ont été dissimulées par des tours de passe-passe comptables au sein de société soeurs. «L'homme de la rue va certainement penser que nous dissimulons nos pertes dans une compagnie affiliée, et que nous compenserons cette compagnie avec les actions d'Enron dans le futur», suggérait avec tact la lettre découverte par les parlementaires. Et de poursuivre «Nous avons joui d'un prix de notre action incroyablement élevé, beaucoup de dirigeants ont vendu des actions, puis nous essayons de corriger l'opération en 2001, et c'est un peu comme voler la banque une année et essayer de la rembourser deux ans après.» Au passage, les investisseurs trinquent.

mauvais maquillage

L'auteur de la lettre, qui n'était ni datée ni signée, s'est révélé être, selon la presse américaine, la sous-directrice financière Sherron Watkins. Elle posait cette question : «Pour ceux d'entre nous qui ne se sont pas enrichis ces dernières années, pouvons-nous nous permettre de rester ?» Elle a même rencontré en personne Kenneth Lay pour lui présenter ses arguments. «Ce qui est troublant, c'est que certains aient pu essayer de dissimuler la vérité, ou tout simplement n'ont pas voulu la voir», a expliqué Ken Johnson, porte-parole de la commission sur l'énergie et le commerce de la chambre des représentants, à l'origine de la découverte.

Après avoir reçu la fameuse lettre, Enron avait demandé à son équipe juridique de se pencher sur les accusations qui y étaient portées, en précisant toutefois de ne pas mettre en doute les décisions du cabinet de consultants Arthur Andersen, chargé de certifier les comptes. Sans révéler de faits nouveaux ni mandater une enquête plus poussée, l'examen légal parlait concernant les opérations comptables de «mauvais maquillage» de nature à générer une mauvaise publicité ou des poursuites judiciaires.

Ces nouveaux éléments ne viennent qu'ajouter au parfum de scandale qui entoure la chute de Enron, par ailleurs plus gros contributeur de la campagne électorale de George Bush. Le cabinet de consultants Andersen se trouve lui aussi dans l'oeil du cyclone, pour avoir laissé faire Enron qu'il était censé contrôler, et pour avoir détruit des documents importants concernant le groupe, peu de temps avant qu'il n'annonce des pertes massives, et alors même qu'une enquête du gouvernement fédéral était déjà ouverte. Andersen, qui tente de sauver sa réputation, a hier licencié un des responsables de l'audit de Enron, et a pris des actions disciplinaires contre plusieurs autres. C'est la banque suisse UBS Warburg qui reprendra les activités de négoce de Enron, sans toutefois assumer les engagements passer du groupe.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 16/01/2002