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Etats-Unis

Tribunaux militaires: le projet provoque un tollé

Le projet du président Bush instituant des tribunaux militaires spéciaux pour juger les non-américains accusés d'avoir participé aux attentats du 11 septembre est critiqué dans tous les camps. Selon un large spectre de spécialistes et de politiques, de tels tribunaux ne garantiraient pas les droits élémentaires de la défense.
New York, de notre correspondant

Jamais depuis la deuxième guerre mondiale, des tribunaux militaires ne se sont substitués à la justice civile. Mardi pourtant, George Bush a approuvé l'utilisation de tribunaux militaires spéciaux dont le but serait de juger les non-américains accusés d'actes terroristes, plus vite et plus discrètement que devant un tribunal classique. L'ordre signé dans ce sens par le président américain ne nécessite aucune approbation du Congrès. Les tribunaux militaires sont là «pour protéger les Etats-Unis et ses citoyens, pour prévenir des attaques terroristes et pour mener efficacement les opérations militaires», est-il écrit dans un ordre long de cinq pages.

Ces tribunaux seraient composés d'officiers jouant le rôle de juges et de jury. Contrairement à la justice civile, qui requiert un jury de douze personnes devant parvenir à un verdict unanime, le jury militaire déciderait de reconnaître un suspect coupable à une majorité des deux tiers. Pareil pour la condamnation, pouvant aller jusqu'à la peine de mort. Les détails du fonctionnement devraient être réglés par le Secrétariat à la Défense et la hiérarchie militaire, mais les décisions de ces tribunaux, qui pourraient être tenues secrètes, ne seraient pas sujettes à appel. Le président Bush déciderait seul qui, selon lui, devrait être jugé par ces tribunaux qui pourraient siéger à l'étranger, dans des bases militaires américaines ou même sur des bateaux.

Une idée «dangereuse»

Suite à cette décision, les critiques ont plu de tous côtés. Des membres républicains du Congrès se sont joints à leurs collègues démocrates pour sommer l'administration Bush de venir s'expliquer. Dans le New York Times, le chroniqueur conservateur William Safire parle de «tribunal militaire de pacotille(...) La solution n'est pas de corrompre notre tradition judiciaire», écrit Safire. Pour le sénateur démocrate du Vermont, Patrick Leahy, cela «envoie au monde entier un message indiquant qu'il est acceptable de tenir des procès secrets et de procéder à des exécutions sommaires, sans possibilité de contrôle judiciaire quand l'accusé est étranger. Il n'y a pas eu de déclaration de guerre formelle, poursuit le sénateur, et dans le même temps, nos tribunaux civils restent ouverts et disponibles pour juger des terroristes supposés».

Côté conservateur, les avis sont toutefois partagés. Le président de la chambre des représentants, le Républicain de l'Illinois Dennis Hastert, a estimé : «Nous devons les juger selon moi comme des criminels de guerre. Je pense que nous devrions traiter ces personnes de la même manière que nous avons traité les terroristes et les criminels de guerre de la deuxième guerre mondiale au Japon et en Allemagne», a ajouté le Républicain, précisant : «Ce sont des gens qui sont des ennemis jurés des Etats-Unis. Selon moi, ce ne sont pas des citoyens américains» . Même langage guerrier pour le vice-président. Parlant des terroristes, Dick Cheney a affirmé : «Ils ne méritent pas les mêmes garanties et les mêmes précautions que celles qui seraient utilisées pour un citoyen américain». Selon lui, les tribunaux militaires garantissent «qu'ils auront le type de traitement qu'ils méritent».

«Ceci est une guerre globale, a expliqué le principal conseiller juridique du président. Pour mener à bien une inculpation (devant un tribunal civil), nous pourrions avoir besoin de révéler nos sources et nos méthodes». Pour un grand nombre d'avocats et de défenseurs des libertés civiles, cet argument ne tient pas dans la mesure où la justice civile offre toutes les garanties nécessaires. «Des tribunaux militaires, des preuves secrètes, aucun chiffre sur le nombre de personnes que le gouvernement a emprisonnées... Nous avons l'air d'un pays du tiers monde», a déclaré Jim Zogby, président de l'Arab-American Institute. Selon lui, les autorités américaines sont désormais perçues comme menaçantes dans le monde arabe, et 40 % des étudiants émiratis qui étudiaient aux Etats-Unis seraient déjà rentrés chez eux.

Ce n'est pas la première fois que la question des libertés civiles se pose, dans la lutte contre le terrorisme. La loi «anti-terroriste», autorisant plus d'écoutes téléphoniques et plus de moyens de surveillance électronique, poussée devant le Congrès par l'administration Bush, avait déjà été vivement critiquée. Cette nouvelle décision du président intervient dans un climat de suspiscion à l'égard de la communauté arabe. Il existe un projet pour questionner près de 5 000 personnes récemment arrivées sur le territoire américain, et le FBI a l'intention de vérifier les données concernant des centaines d'étudiants originaires du Moyen-Orient. Dans le même esprit, le processus de délivrance des visas d'hommes musulmans ou arabes entre 16 et 45 ans a été ralenti par le département d'Etat pour laisser le temps au FBI de procéder à des vérifications. Dans un éditorial titré «une parodie de justice», le New York Times parle d'une idée «dangereuse» s'inscrivant dans une «troublante série de tentatives depuis le 11 septembre de contourner la constitution».



par Philippe  Bolopion

Article publié le 17/11/2001