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Internet et élections

Le Pen au pays du texto

Les «chats» sur le Web ou sur les mobiles ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Après Jean-Pierre Chevènement, Alain Madelin, François Bayrou et Corinne Lepage, c’est au tour de Jean-Marie Le Pen de se prêter au jeu d’un chat SMS. Le candidat à l’élection présidentielle a, dans la soirée de vendredi 12 avril, conversé en texto-ces courts messages envoyés du particulier à particulier, de mobile à mobile- avec des milliers de jeunes dans le cadre de l’opération «Nous 06 on a dID» (Nous aussi on a des idées).
Il a un téléphone portable mais il ne s’en sert pas. Regard métallique. Imposant dans son costume bleu marine. Le leader du Front national est prêt à dialoguer en direct par SMS (Short Message Service). Il est 17h45, ce vendredi 12 avril. Un message de lancement avertit directement sur leur mobile tous les «chateurs» qui ont envoyé une question au candidat que la session va commencer. 18 heures précises. Premières questions de Cedric63, Momi543, Ksandra2, Romu25, Zopra, Polette, Gay78. Derrière les incontournables pseudo se cachent des jeunes interlocuteurs qui envoient des messages texto au serveur de Freever. Pour s’échanger ces petits messages via leurs téléphones portables, ils utilisent un langage bien à eux. Sigles, acronymes, pictogrammes, interjections, onomatopées et autres gimmicks linguistiques. Jean-Marie Le Pen répond, pour l’occasion, au pseudo de «Zorro».

Les caméras de télévision et les perchistes s’agitent devant le prétendant à l’Elysée. L’ambiance est pro mais reste calme. Autour du candidat, plusieurs personnes s’affairent, les yeux fixés sur des écrans. Le chat SMS est une opération très particulière. Il y a là le modérateur chargé de sélectionner les questions qui lui seront posées, le rédacteur retranscrit les réponses verbales du candidat et les envoie directement à l’utilisateur. Deux autres personnes pianotent, elles aussi, sur leurs ordinateurs. Le premier a en charge «le best of», qui consiste à envoyer chaque quart d’heure à tous les «chateurs» (même ceux dont la question n’a pas été retenue) les meilleurs moments du «chat». Un autre modérateur s’occupe de regrouper toutes les questions sur un même thème, et d’envoyer la réponse de l’invité.

Les questions affluent. Ils sont nombreux à vouloir dialoguer avec le leader du Front national. Sur l’immigration, l’insécurité, la délinquance, les 35 heures, la légalisation du cannabis, la réforme des études, la place des jeunes en politique, la situation au Proche Orient, la Corse ou les sans papiers. Mais également sur des sujets comme les couple homosexuels, le clonage ou la peine de mort. Le modérateur soumet les questions les plus fréquemment posées comme l’explique Pierre Laurent, vice-président de la société Freever : «le dialogue est ouvert depuis la veille. On a ainsi pu voir se dessiner les grandes thématiques». Dans le studio, deux écrans affichent la totalité des questions envoyées au candidat.

Le ton posé. Le Pen passe à l’attaque avec une certaine lassitude. Il pourfend Bruno Megret, fustige Jacques Chirac. Il a rangé au placard son tablier de grand tribun pour se plier à cette conversation virtuelle. Les mobilnautes l’invitent à donner son opinion sur l’Afghanistan et Ben Laden: «Je pense que Ben Laden est un bon prétexte pour permettre aux Américains de s’installer militairement en Afghanistan et de contrôler l’immense zone pétrolière». La dépénalisation du cannabis : «Je suis hostile à la légalisation du cannabis car, faciliter l’usage des drogues douces entraîne immanquablement le risque de passage aux drogues dures». La peine de mort :«Je suis partisan du rétablissement de la peine de mort, car la seule profession dangereuse en France où on ne risque pas la mort est celle de tueur.» Malgré quelques SMS d’insultes, ça «chatte» sérieux. «Près de 10% des texto sont des messages d’insultes,» admet Pierre Laurent qui résume en quelques mots l’esprit Freever: «dans nos chats, on accepte les critiques, le débat mais pas l’insulte. C’est pourquoi on filtre les texto d’insultes.»

248 934 questions posées à Zorro

Si le principe se veut simple, le cadre est en revanche très contraignant. Il faut faire bref. Dire le maximum en un minimum de caractères. 160 signes pour chaque réponse. Bien que le monde politique soit très connu pour ses petites phrases, il n’est pas toujours aisé de réduire à quelques mots un programme politique. L’exercice est difficile. Ses détracteurs disent de lui que c’est le roi de la petite phrase. Et bien le candidat du Front national a pu en faire la démonstration. 100 engagements de campagne déclinés en 160 caractères. La Corse? «Je ne transige pas sur l’appartenance de la Corse à la France». Le racisme? «Mon parti a des êtres de toutes races et toutes religions, mais des patriotes français». La nationalité? «La nationalité s’hérite ou se mérite». Les 35 heures? «Résolument contre». Tout juste un doigt de sarcasme, une touche d’impertinence. Que se passe-t-il? Serait-il fatigué? A la question d’Agité2: Etes-vous pour le mariage des homosexuels ? Il réplique: «je trouve que ceux qui le réclament sont bien conservateurs». A celle de 007 : que pensez-vous du Loft 2 ? «J’attends pour voir que cela soit plus osé».

Forme inédite de communication, véritable opération médiatique auprès des jeunes, les «chats» sur le Net ou les mobiles se généralisent en politique. Un exercice donc obligé pour ce vieux renard habitué aux médias. Pourquoi? D’abord, «parce que l’intérêt de ce type de manifestation est de pouvoir communiquer avec un public que je ne peux pas toujours rencontrer,» explique le leader du Front national. Avant de regretter: «Les questions sont intéressantes, mais je suis un peu désarçonné par le format court des réponses. C’est comparable aux sessions du Parlement européen où l’on dispose seulement d’un timing d’une minute et trente secondes pour exposer ses idées.»

Une heure après, les premiers chiffres tombent. Pierre Laurent se montre satisfait. La mobilmania a fonctionné. 248 934 questions ont été envoyées au candidat Le Pen. Chevènement qui a inauguré la formule, a fait 56 000, Madelin 80 000, Lepage 24 000. «C’est une participation record, on le doit à la personnalité du leader du Front national mais pas seulement, il y a aussi un phénomène de capitalisation des chats via le SMS,» explique Pierre Laurent. On le voit, sans que cela soit ni prévu, ni annoncé, le SMS -comme l’Internet- devient incontournable dans la course à l’Elysée.



par Myriam  Berber

Article publié le 15/04/2002 Dernière mise à jour le 14/04/2002 à 22:00 TU