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Canal+ en voie de banalisation

Pour Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias, le limogeage de Pierre Lescure, figure historique et président de Canal+, est un signe de l’évolution vers la banalisation de la chaîne cryptée, qui avait pourtant construit son succès sur la créativité.
RFI : A quoi attribuez-vous l’importance, que l’on peut juger excessive, donnée au départ de Pierre Lescure ?

Jean-Marie Charon : Il y a plusieurs raisons à cela, mais je me limiterai à deux : d’une part, dans l’audiovisuel français, Canal+ est une originalité et une success story à la française. On a su, dans les années 80, créer une chaîne sur un schéma de programmes assez inattendu qui, dans un premier temps, a laissé penser qu’il échouerait, mais qui, finalement, s’est avéré performant. Au fil des années, une série d’innovations y ont trouvé leur place comme les «Guignols», les «Nuls» et, en matière de traitement du sport, il y a eu aussi des originalités. C’est pourquoi, notamment dans les milieux professionnels, cette chaîne tient une place à part.

La deuxième raison, c’est que nous sommes confrontés à l’image de la mondialisation et d’un certain patronat financier face à un univers associé aux médias, à l’information et en partie à la culture puisque le cinéma est concerné. Dans le face à face Lescure-Messier et dans le fait que Messier gagne la manche et, pour l’instant, la partie, on a l’impression d’un affrontement avec la logique d’un professionnel, sans exagérer la légende de Lescure, qui s’identifie là à un certain type d’esprit français. Mais en face, c’est clairement le coté anonyme, le rouleau compresseur de la finance avec, à l’arrière plan, cela m’apparaît assez évident, les bourses américaines et anglo-saxonnes.

RFI : Quelle place originale est-elle occupée par Canal+ dans le paysage audiovisuel français ?

J.M.C. : Quand on reprend l’historique de la privatisation de la télévision en France, on voit que TF1 et M6 ont repris des recettes qui existaient ailleurs. Pour TF1, c’est le schéma de la chaîne commerciale grand public et la programmation qui correspond. Quant à M6, c’est davantage ce qu’on trouve en Allemagne avec RTL+. Dans la démarche de Canal+ il y a eu un travail un peu plus décalé et des spécificités assez françaises quant au type de programmes proposés et la mise en avant du cinéma. D’ailleurs le format Canal+ ne marche pas si bien que cela ailleurs en Europe. C’est un de leurs problèmes.

Aujourd’hui, les grands équilibres sont toujours là : cinéma, sport et c’est toujours là-dessus que la chaîne axe sa promotion. Par contre, il y a réellement une usure et le problème de renouvellement de la direction de cette chaîne se posait, en tout état de cause, depuis des années. Sur le créneau de l’innovation, Canal+ n’est plus une chaîne qui donne l’impression de créer des contenus.


RFI : Est-on, selon vous, au début d’une profonde évolution de la chaîne cryptée ?

J.M.C. : Il faudrait déjà savoir ce qui va se passer le 24 avril, jour du conseil d’administration et de l’assemblée générale des actionnaires du groupe Vivendi Universal. Si on raisonne sur quelques indications données par Jean-Marie Messier dans le choix du remplaçant de Pierre Lescure on voit que tout milite en faveur d’une banalisation. Le fait d’aller chercher Xavier Couture de TF1, c’est clairement aller chercher quelqu’un qui connaît les recettes traditionnelles de la télévision commerciale. C’est certainement l‘indication que «on rentre dans le rang». On ne voit pas pourquoi on aurait été chercher ce type de profil si c’était pour relancer la créativité dans la chaîne. Comme par ailleurs les consignes de gestion sont des consignes d’économies assez drastiques, là aussi, cela va dans le sens d’un profil bas.

De plus, un certain nombre d’arbitrages étaient, de toute façon, attendus. Est-ce qu’on ne peut imaginer qu’un jour Canal+ devienne la chaîne-vitrine du bouquet Canal satellite ? Le processus va-t-il être accéléré et que la diffusion hertzienne, plus classique, payante ou non, s’accompagne d’une stratégie pour attirer les clients sur le satellite.

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par Propos recueillis par Francine  Quentin

Article publié le 17/04/2002