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Colombie

Une élection présidentielle sous haute surveillance

Le dimanche 26 mai, sous la vigilance de 200 000 soldats et policiers, 24 millions de Colombiens sont appelés à élire un nouveau président. Le candidat de la ligne dure est le grand favori des sondages.
De notre correspondant à Bogota

Trois mois après la rupture des négociations de paix, les Colombiens sont appelés aux urnes pour élire le successeur du président conservateur Andres Pastrana. Onze candidats sont en lice. Il y a quelques farfelus, comme Rodolfo Rincon, un torero toujours vêtu de l’habit de lumière qui veut toréer la corruption. Il y a une absente; Ingrid Betancourt, prisonnière de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) depuis le 23 février. Et surtout quatre candidats principaux: Noemi Sanim, indépendante proche du parti conservateur, Luis Eduardo Garzon qui fédère la gauche autour du Pôle démocratique, Horacio Serpa le représentant du parti libéral et Alvaro Uribe Velez, le partisan de la manière forte contre les guérillas qui, selon les sondages, devrait l’emporter haut la main.

À 49 ans, Uribe Velez, originaire de Medellin, père de deux enfants, a fait ses classes dans le parti libéral avant d’entrer en dissidence et d’affronter Horacio Serpa, le candidat officiel. Si son discours séduit, c’est parce qu’il est cohérent. Son credo, c’est l’autorité. Son style dénote dans un paysage politique rongé par le clientélisme et le bipartisme entre libéraux et conservateurs. Mais Uribe Velez recueille surtout les fruits de la gestion désastreuse du gouvernement Pastrana. «C’est l’ingouvernabilité et l’amertume due à l’échec du processus de paix qui l’ont catapulté», analyse Gilberto Tobon, un politologue de Medellin.

Un conflit qui s’intensifie

«Ce qui m’a fait changé d’avis, c’est l’assassinat de la Cacica, en octobre 2001», raconte Giovanni, un partisan d’Alvaro Uribe Velez. Jusqu’à cette date, et malgré les hauts et les bas du processus de paix, il a cru un accord possible. Mais l’assassinat de l’ancienne ministre de la Culture par les Farc a été la goutte de trop. Depuis, Giovanni, comme de nombreux Colombiens qui ont voté pour la politique de la main tendue en 1998, adhère à celle de la poigne de fer. Si Uribe passe pour être le messie pour certains, ses projets alarment les défenseurs de droits de l’homme. Il veut instituer un statut antiterroriste et recruter un million de civils pour collaborer avec la police et l’armée, des entités critiquées pour leurs violations répétées des droits de l’homme. Pour beaucoup, la politique d’Uribe Velez, lorsqu’il a été gouverneur, a favorisé l’essor des groupes paramilitaires d’extrême droite. Il réfute toutes ces accusations, n’a-t-il pas choisi pour vice-président Francisco Santos, un journaliste en exil ?

Uribe Velez est en fait un personnage ambigu comme le slogan de sa campagne: «un homme à la poigne de fer et au cœur généreux». Il s’est engagé à faire une réforme politique et veut révolutionner le système éducatif. C’est ce qui séduit Carlos Franco, un ex-guérillero qu’on ne peut pas soupçonner de sympathie pour l’extrême droite. Il va voter Uribe, malgré son désaccord sur bien des points de son programme, car il voit en lui l’artisan de la transition qui mettra fin au bipartisme stérile qui domine la Colombie depuis des décennies. Mais tout le pays n’a pas basculé dans le camp des va-t-en-guerre. Preuve en est la percée notable de Luis Eduardo Garzon, le candidat de la gauche qui prône la réconciliation. Il projette l’image d’une gauche moderne, qui séduit jusqu’à ses adversaires. «Je me suis fatigué de haïr», déclare-t-il. Le candidat du Pôle Démocratique, une coalition qui ratisse bien au-delà de la gauche traditionnelle et du monde syndicaliste, n’envisage pas de gagner les élections mais s’est fixé pour objectif la construction d’une opposition de gauche démocratique qui fait tant défaut dans le paysage politique.

Avec la rupture du processus de paix, les campagnes ont été perturbé par l’intensification du conflit. Tous les candidats ont subi des pressions. Uribe Velez a échappé de justesse à un attentat. Ingrid Betancourt est séquestrée par les Farc. Les acteurs armés ont multiplié les actes de sabotages pour empêcher la tenue des élections. Malgré la mobilisation de 200 000 soldats et policiers pour assurer le bon déroulement du scrutin, tout pronostic reste hasardeux. La Colombie est un pays où l’imprévisible est la règle.



par Alain  Devalpo

Article publié le 25/05/2002