Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Justice internationale

Les Etats-Unis cherchent à saper la justice internationale

Washington menace de retirer ses soldats engagés dans des missions de maintien de la paix si l'ONU ne leur accorde pas une immunité totale par rapport à la justice internationale. Cette position isole un peu plus les Etats-Unis au sein du Conseil de sécurité où les Européens s'efforcent de défendre la nouvelle Cour pénale internationale.
De notre correspondant à New York (Nations Unies)

L'opération a tout d'un chantage. Si les Etats-Unis n'obtiennent pas l'immunité qu'ils exigent pour leurs ressortissants engagés dans des missions de maintien de la paix à l'étranger, ils les rappelleront. La menace, proférée la semaine dernière, vise à protéger les soldats américains de ce que l'administration Bush perçoit comme une atteinte à sa souveraineté et un risque de voir ses ressortissants soumis à des «procès politiques» face à la future Cour pénale internationale (CPI), ainsi que tout autre tribunal international (TPI pour l'ex-Yougoslavie...). Les partisans de la CPI disqualifient cet argument en soulignant que la CPI n'aura vocation à intervenir que dans l'hypothèse où la justice nationale ne veut pas ou ne peut pas poursuivre elle-même des crimes de guerre, de génocide, ou crimes contre l'humanité -ce qui ne devrait pas être le cas des Etats-Unis.

Mais le reponsable des affaires politiques de la mission américaine auprès de l'ONU, Richard Williamson, s'est montré très clair: «Au cas ou nous n'obtiendrons pas satisfaction, nous devrions bien évidemment revoir notre engagement dans les opérations de maintien de la paix. (...) Nous ne mettrons pas que des citoyens américains en danger à portée de la CPI». Un retrait des opérations de maintien de la paix aurait des conséquences catastrophiques pour l'ONU, tout particulièrement dans les Balkans ou près de 8 000 soldats américains jouent un rôle déterminant. Près de 700 Américains sont également utilisés dans le monde comme casques bleus ou policiers de l'ONU.

Projets anti-CPI

Il ne s'agit là que de la dernière péripétie d'une vieille querelle. Depuis l'origine de la CPI, au milieu des années 90, les Etats-Unis ont tout fait pour mettre des bâtons dans les roues à la nouvelle Cour. Leur intense lobbying anti-CPI ayant échoué, Bill Clinton, en désespoir de cause, avait fini par signer, sans ratifier, le traité. En avril dernier, l'administration Bush a retiré cette signature -un acte sans précédent dans le droit international. La deuxième cartouche du président américain a été tirée en mai: lors d'un vote purement formel pour renouveler la mission de l'ONU au Timor, Washington a tenté d'introduire un amendement excluant le personnel de l'ONU du mandat de la CPI. Echec total, les autres pays ont fait bloc. Mais la semaine dernière, les diplomates américains ont sorti la grosse artillerie en faisant circuler au Conseil de sécurité deux projets de résolution farouchement anti-CPI.

Le premier est de portée générale. Il vise à garantir une immunité par rapport à la justice internationale pour tous les personnels engagés dans des opérations de maintien de la paix de l'ONU, ou sous mandat de l'ONU. Comme les autres pays pouvaient se contenter d'ignorer ce projet de résolution, les Etats-Unis ont introduit un second projet anti-CPI, portant sur le renouvellement (normalement de pure forme) de la mission de l'ONU en Bosnie et prévoyant la même immunité. Au Conseil de sécurité, l'accueil a été glacial. Sur quinze pays, douze ont pris la parole pour rejeter en des termes plus ou moins vigoureux l'attitude américaine.

A l'heure actuelle, les Etats-Unis n'ont aucune chance d'obtenir les neuf voix nécessaires, d'autant que la France et la Grande-Bretagne montent la garde, véto en poche. «Les Européens sont liés sur ce dossier par une position commune, explique une diplomate du Conseil de sécurité. L'UE a ratifié le traité et s'est engagée à le promouvoir». Mais les Etats-Unis ont également un droit de véto, et ils peuvent bloquer le renouvellement de la mission de l'ONU en Bosnie, ce qui ouvrirait une crise majeure. Dans l'attente d'un compromis, la semaine dernière, la mission de l'ONU en Bosnie a été renouvelée pour quelques jours, jusqu'à dimanche 30 juin, avant la date fatidique du 1er juillet où le traité de la CPI entrera officiellement en vigueur.

Les efforts pour éviter un blocage semblaient voués à l'échec, cette semaine. «Je ne suis pas sûr qu'on aille où que ce soit», avouait mardi un diplomate américain. «La résolution générale n'aboutit à rien et celle sur la Bosnie semble dans l'impasse». Le gouvernement américain va-t-il user de son droit de véto, quitte à s'aliéner ses meilleurs alliés ? A voir. Le Pentagone est favorable à une ligne dure, alors que le département d'Etat semble préférer négocier des accords au cas par cas avec les pays ratificateurs, en faisant jouer une close d'exemption prévu par l'article 98-2 du traité de la CPI. Selon des diplomates, il n'est pas impossible que les Etats-Unis se livrent à ce genre de manoeuvre à chacun des renouvellements des missions de l'ONU à travers le monde. Washington use de tous les moyens de sa diplomatie, notamment en faisant intervenir ses ambassades dans les pays membres du Conseil de sécurité.

Selon l'ambassadeur britannique Jeremy Greenstock, le Conseil devra arriver à un compromis. «Ce sera difficile, il n'y a pas de bonne solution, mais nous devrons nous accorder sur la moins mauvaise réponse», explique-t-il. Les diplomates craignent qu'en acceptant la demande américaine, ils n'ouvrent la porte à d'autres exemptions pour d'autres pays, ce qui saperait l'existence même de la Cour. «Les Etats-Unis sont engagés dans une guerre idéologique contre la justice internationale», explique Richard Dicker de Human Rights Watch. «Ils sont sur le mauvais bord de la plus importante institution de droits de l'homme de ces 50 dernières années

De son côté, le Congrès américain, également hostile à la CPI, s’apprête à réexaminer un projet de loi baptisé «Service members' protection act». Le texte a été surnommé «loi d’invasion de La Haye» par les supporteurs de la CPI, car il autoriserait les Etats-Unis à intervenir militairement pour libérer un de leurs ressortissants détenus au siège la CPI (sic). S'il passe, le projet de loi interdira toute coopération américaine avec la CPI et privera les pays ratificateurs qui en ont le plus besoin de l’assistance militaire américaine.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 27/06/2002