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Handicap et Internet

Aveugle, mais internaute

De nombreuses technologies facilitent désormais l’accès au Web par les déficients visuels, mais il reste encore du chemin à parcourir avant que l'on puisse offrir un accès égalitaire au monde des ordinateurs. Cette question sera largement évoquée au cours de l’Année européenne du handicap en 2003.
Pour bien des gens, l'accès à la Toile s'avère plus compliqué que de cliquer sur une souris et d'utiliser un modem. L'Internet occupant une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne, la nécessité de le rendre véritablement accessible devient plus pressante. L’Europe compte cinquante millions de personnes déclarant une gêne ou un handicap dans leur vie quotidienne. Parmi elles, de nombreux déficients visuels. En France, la Cotorep (Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel) comptabilise 100 000 aveugles et 1,1 million de malvoyants. Une population fort nombreuse et deux fois plus équipée en matériel informatique que la moyenne des Français, si l’on en croit les différentes associations. Un marché solvable également, les malvoyants regroupent une forte majorité de seniors, puisqu’en vieillissant les risques de développer un handicap visuel ou auditif se multiplient.

Du terminal braille au lecteur en synthétiseur de parole en passant par les logiciels de lecture d’écran, un large éventail d’outils d’accessibilité ont été mis au point pour permettre aux déficients visuels d’accéder aux technologies de communication. Outil de travail quotidien, l’informatique participe à l’intégration sociale et culturelle des aveugles. L’Institut national des jeunes aveugles (INJA) l’a compris et l’intègre l’enseignement dans son programme pédagogique depuis dix ans. Internaute averti, Fernando a pu en bénéficier. Il a pu mesurer les progrès accomplis sur la Toile, et peut aujourd’hui, par exemple, accéder à de nombreux sites. Mais tout est loin d’être satisfaisant : «Un site accessible est un site auquel un internaute peut accéder quels que soient l'interface, le navigateur, ou la plate-forme d'accès utilisé. Les frames, la technologie flash sont très complexes à gérer pour un non-voyant». , explique-t-il. Avant d’ajouter: «Le problème est que les déficients visuels arrivent en fin de liste des préoccupations de ceux qui développent des sites web».

L'accès à Internet par les déficients visuels est devenu un enjeu qui doit mériter l'attention des concepteurs de sites. Tel est le message qu’ont voulu faire passer les participants d’une conférence sur l’accessibilité au Web qui s’est tenue, cette semaine à Paris, dans le cadre de l’Année européenne du handicap en 2003. Pour tenter d'universaliser cette notion, le Consortium du World Wide Web, le W3C – un organisme indépendant qui veille au développement du Web- a mis en place l'initiative WAI (Web Accessibility Initiative) à laquelle participent des acteurs de nombreux pays. Le WAI publie régulièrement des recommandations pour l'accessibilité. Ces recommandations visent à garantir un accès équitable à tout contenu sur les sites Web. Tout concepteur de site qui désire réaliser un site accessible doit les appliquer.

Le WAI, une émanation du W3C

Cette prise de conscience passe par la mise en place de projets d'envergure. Premier exemple : les Etats-Unis, la patrie de l'Internet. Depuis juin 2001, les 30 millions de pages web relevant du gouvernement doivent supprimer les graphismes accrocheurs et sans texte pour ne pas exclure les malvoyants. Pour la France, l’Inria joue un rôle moteur dans cette réflexion, avec l’association BrailleNet notamment. La France a reconnu les recommandations du WAI et se réfère explicitement à ses recommandations dans sa circulaire sur les sites publics du 7 octobre 1999. Pour sa part, le plan d’action eEurope 2002 oblige les sites web publics deseétats membres à être accessibles aux handicapés. Une résolution de la Commission européenne du 25 septembre 2001 demande à tous les pays-membres de s’y conformer.

Le secteur privé n’est pas en reste. Bon nombre d’initiatives ont été prises dans ce sens par des grosses entreprises. Microsoft, IBM, plus ou moins tôt, ont lancé des plates-formes de solutions techniques pour faciliter l’accès des personnes handicapées à l’informatique. Des petites sociétés jouent également un rôle. C’est le cas de Visual Friendly qui a mis au point la solution «Label Vue» pour les sites web. Cette technologie offre deux accès spécifiques : l’un aux aveugles, l’autre au mal voyants. Label Vue permet à la fois de choisir la taille de police, la couleur de la page, mais également l’organisation de la page.

Le choix d'une taille et d'une couleur adaptées peut significativement améliorer la lisibilité du texte pour les personnes malvoyantes. Mais pour Jérôme Adam, le président du directoire de Visual Friendly, aveugle depuis l’âge de 16 ans, rendre accessible un site web ne se limite pas à augmenter la taille des caractères. Il faut également travailler sur l’ergonomie: «En travaillant sur l’ergonomie, on conçoit l’accessibilité comme un service utile à tous. Aussi bien pour les non voyants que pour le confort de lecture de tous. Autre argument et de taille, les sites qui ont adoptés Label Vue respectent tous le même paramétrage, la même mise en page, ce qui permet aux déficients visuels de se repérer plus facilement».

Les aveugles ne sont pas les seuls à profiter de l’avancée informatique, les sourds-muets également. Les recherches sont sur le point d’aboutir sur un système qui permet de taper des textes, par exemple, simplement en dictant le document avec les signes de la main via une webcam. Plus sophistiqués encore, des programmes qui arrivent à capter l’image de l’iris de l’œil : le battement de la paupière équivaut à un clic de souris. L’audace comme à être payante. Les applications informatiques dans l’aide à l’handicap, s’avèrent prometteuses pour le futur. D’où l’idée d’un pôle de développement s’appuyant sur les compétences de nombreux intervenants : universités, laboratoires de recherche, entreprises privées, administrations, éditeurs de contenus, associations et écoles spécialisées. Tel est le vœu personnel de Bachir Kerroumi, 42 ans, aveugle, ingénieur de recherche chargé des personnes handicapées à la Mairie de Paris. Une proposition ambitieuse qui espérons-le deviendra réalité.



par Myriam  Berber

Article publié le 18/09/2002