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Côte d''Ivoire

Robert Guéï, le «père Noël en treillis»

Robert Guéï est retrouvé, mort dans une rue d’Abidjan, le 19 septembre. Dès les premières heures des combats, entre les insurgés et les forces loyalistes, le pouvoir ivoirien a parlé de tentative de coup d’Etat, imputant la responsabilité des faits au général Robert Guéï. «Le père Noël en treillis», comme l’ont surnommé les Abidjanais, a toujours traîné avec lui une image de putschiste dont il se défend.
«Nous sommes venus balayer la maison» déclarait le général Robert Guéï en prenant le pouvoir le 24 décembre 1999. Installé à la tête d’une junte militaire et du Comité national de salut public (CNSP), il voulait ramener la calme dans son pays, secoué par une crise identitaire et nationaliste autour de «l’ivoirité». Le président Henri Konan Bédié en avait défini le concept, pour éloigner Alassane Dramane Ouattara, son rival de toujours, de toute velléité de conquête du pouvoir. Cette voie empruntée par la politique en Côte-d’Ivoire divisait les citoyens d’un même pays, alors le général s’était «interposé», intervenant comme le sauveur de la patrie en danger, selon les explications de ses supporters.

Mais les faits et gestes du général après quelques mois de pouvoir, apportent d’autres explications au coup du 24 décembre 1999. Les motivations qui ont poussé Robert Guéï à prendre le pouvoir apparaissent, au file du temps, moins nobles avec un relent de revanche de l’ancien chef d’état-major des armées, limogé par le président Henri Konan Bédié en 1995. Les deux hommes ne s’apprécient guère, mais jouissent tous les deux de la confiance du «Vieux», le président Houphouët-Boigny. A sa mort, en décembre 1993, le général Guéï était le chef d’état-major des armées. Le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié, lui demande de placer en résidence surveillée le Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, qui se disait aussi «successeur légitime du Vieux», alors que la président de l’Assemblée nationale tient le rôle de «successeur institutionnel».

L’animosité entre les deux hommes s’accroît pendant la campagne des élections présidentielles et législatives de la 1995. A plusieurs reprises, le chef d’état-major des armées refuse d’envoyer des troupes mater des manifestations organisées par l’opposition qui boycottait le scrutin. «L’armée n’intervient que lorsque la République est en danger» déclare-t-il. Destitué quelque temps plus tard, il est nommé ministre du Service civique qui n’a d’ailleurs jamais vu le jour. Nommé par la suite ministre des Sports, il n’est pas moins suivi et surveillé par le nouveau pouvoir qui finit par l’accuser, en 1996, de fomenter un coup d’Etat. Déjà ! Révoqué de l’armée, il est laissé en liberté et bénéficie, en 1999, en compagnie de quelques fidèles, d’une amnistie sans avoir été jugé. Robert Guéï ne se satisfait pas cette décision, mais attend en vain sa réhabilitation.

Sa carrière politique lui est fatale

Né en 1941, Robert Guéï a très tôt fait le choix d’une carrière militaire. Il reçoit des formations à l’Ecole militaire préparatoire de Ouagadougou (Burkina Faso), à l’Ecole militaire de Saint-Cyr, Coëtquidan (France), à l’Ecole supérieure de Guerre de Paris, et occupe plusieurs postes de commandement dans les garnisons militaires de Côte d’Ivoire. Sans histoires ! Mais ses apparitions dans l’arène politique ne manquent pas de marquer les esprits. L’officier qui revendique un certain honneur de l’uniforme, ne retrouve pas les limites de son pouvoir lorsqu’il s’agit de politique. Déjà en 1980, il avait, tout simplement, affecté à son épouse, en campagne pour des élections municipales, des véhicules des Sapeurs pompiers dont il était le patron. A l’époque la sanction a été de le nommer commandant de la 4ème région militaire à Korhogo, dans le nord du pays. Il signe son retour, par un appel soutenu du président Houphouët-Boigny qui voulait mater une mutinerie de jeunes soldats, en 1990. Les mutins protestaient contre les retards de paiement de leurs salaires ! Le responsable désigné de cette mutinerie était un officier proche d’Henri Konan Bédié, le colonel Gustave Ouffoué.

En guise de reconnaissance, il est nommé chef d’état-major des forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), avant d’être promu général de brigade, pour «services éminents rendus à la nation». Il s’était également illustré par la création d’une unité d’élite, FIRPAC (Forces d’intervention rapide-par commandos) qui a réprimé en 1991 de nombreuses manifestations d’étudiants. La carrière militaire de Robert Guéï s’est faite à l’ombre du parapluie du président vénéré des Ivoiriens, Félix Houphouët-Boigny. Mais de sa retraite forcée sous Henri Konan Bédié, il s’est convaincu d’une mission nationale qu’il devait assumer en mémoire du «Vieux» et de l’idée qu’il se faisait d’une Côte d’Ivoire unie. L’expérience démontre le contraire, puisque celui qui voulait juste «balayer la maison» à la tête du CNSP en décembre 1999, s’est finalement accroché au pouvoir, par une élection truquée avant d’en être chassé par la rue, en octobre 2000.

Retranché à Gouessesso, dans son village natal, avec plusieurs dizaines de soldats fidèles, il réapparaît sur la scène politique, sur invitation de son successeur, Laurent Gbagbo, lors d’un forum de réconciliation nationale en novembre 2001. Il crée dans la foulée un parti politique, Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). Allié du FPI (Front populaire ivoirien) au pouvoir, il accepte des postes ministériels avant de refuser toute participation à un gouvernement d’union nationale en août 2002. Il considère que Laurent Gbagbo n’est pas sincère dans ses intentions de réconciliation. «Quel est donc ce chef d’Etat qui se transforme en boulanger pour rouler tout le monde dans la farine», déclarait-il récemment avant de tenir des propos belliqueux, qui aujourd’hui alimentent la thèse de coup d’Etat qu’il aurait fomenté. Il lançait à l’endroit du président Gbagbo «s’il s’amuse à engager une épreuve de force, qu’il considère que ce sera une déclaration de guerre».



par Didier  Samson

Article publié le 20/09/2002