Expositions
Modigliani: le retour à Paris du «peintre maudit»
Une exposition historique, à Paris, jusqu’en mars prochain, nous permet d’admirer une centaine d’œuvre du «maître de Livourne» mort à Paris en 1920. Ce peintre, l’un des plus aimés du grand public, a été au centre d’une grande exposition qu’une seule fois depuis sa mort, au début des années 80. Aujourd’hui on peut admirer non seulement ses dames et ses hommes aux longs cous rappelant la tradition siennoise mais aussi ses sculptures, ses dessins et surtout ses «cariatides nègres» peintes, sculptées ou dessinées. Bref tout le Modigliani qu’on attendait.
L’artiste maudit emblématique du XXe siècle est revenu à Paris. Enfin, 82 ans après sa mort. Une disparition tragique survenue dans sa trente-sixième année, alors que Paris vit dans un entre-deux guerres chargé de nuages et de nouveaux conflits. Le tout dans la tristesse absolue d’un hiver vigoureux qui est à l’origine d’une maladie pulmonaire qui finit par l’emporter. Avec l’alcool et la drogue. Et, le lendemain, sa compagne enceinte de quelques mois saute par la fenêtre du sixième étage de son immeuble.
Amedeo Modigliani est un peintre unique. Même s’il a été fortement influencé par différentes écoles italiennes avant l’impressionnisme, le fauvisme ou le cubisme. Fragile et maladif il a marqué les vingt premières années du siècle par des œuvres disparates, étonnantes, troublantes mais toujours cohérentes sur le plan humain. Celui qu’on a surnommé «l’ange au visage grave» -pour ne pas dire triste- et qui ne faisait que peindre mille fois le même visage de femmes, d’hommes, de garçons ou de filles ne nous a laissé aucune esquisse de sourire franc, sur ses tableaux ou ses dessins. Parfois il se contente de laisser entrevoir des yeux apparemment vides de toute forme, uniquement remplis de couleurs chaudes, mais toujours graves, parfois «avec un air légèrement hautain», comme Modigliani était qualifié par sa propre mère.
De l’art étrusque à l’art nègre
Les personnages peints par Modigliani sont presque tous des hommes et des femmes de son entourage immédiat: compagnes, mécènes ou amis devenus des portraits aussi énigmatiques que ceux qui ont caractérisé la grande peinture florentine ou vénitienne. Raphaël et Bellini, Botticelli et Giorgione ont laissé beaucoup de traces sur les toiles et les dessins de celui qu’on appellera le «cygne de Livourne». Ses contemporains parisiens peut-être davantage, surtout Matisse, Cézanne et Picasso. Et pourtant Modigliani a vite créé son style, en se coupant du monde et des réalités d’une vie quotidienne vite devenue de plus en plus dure, marginale, presque insupportable. Ses portraits deviennent peu à peu des traductions sur toile de sculptures qu’il aurait aimé réaliser. Mais sa maladie ne le lui permet plus. Aussi, ses dernières peintures -sans doute les plus connues du grand public- deviennent peu à peu encore plus éloignées de la réalité de tous les jours. A la fois parfaites et transparentes, parce que dépouillées de presque tout superflu.
En cela aussi Modigliani est l’héritier d’une passion qui l’a accompagné dans toute sa période parisienne: celle de l’art nègre, et notamment des masques et des statues africaines ou océaniques, qu’il découvre en débarquant à Paris en 1906, et qui s’ajouteront à l’art étrusque ou grec antique qu’il avait fréquenté en Italie. Peu à peu ses femmes se transforment en cariatides, directement influencées par des reposoirs ou statuettes balubas, des masques d’Afrique occidentale ou des figures en bois bakota. Mais une fois de plus, après avoir admiré et repris cet art dans sa production, il va plus loin dans la simplicité des formes et des couleurs. Ses femmes-cariatides perdent leur fonction première pour devenir aussi simplifiées et dépouillées que possible. Comme ses nus couchés de femmes qu’il peint et repeint à plusieurs reprises jusqu’à la veille de sa mort, à l’image des Vénus de Giorgione ou de Titien, mais aussi des «baigneuses» qui sont à la mode depuis de nombreuses années. Modigliani choisit enfin de consacrer ses dernières forces à son propre portrait. De profil, assis, les yeux vides, tristes. Les couleurs de sa dernière œuvre sont pourtant aussi «chaudes» que les autres. Mais son regard ressemble désormais à son masque mortuaire, rehaussé par une palette de couleurs qui ressemble presque à un éventail. Une dizaine d’années plus tôt, ce peintre maudit avait écrit un aphorisme prémonitoire: «Le bonheur est un ange au visage grave». Qu’il avait signé: le Ressuscité.
A voir jusqu’au 2 mars 2003
au musée du Luxembourg,
19, rue de Vaugirard
75006 Paris.
Informations et réservations
au 00 33 (0)1 42 34 25 95
Site Internet
www.museeduluxembourg.fr
Amedeo Modigliani est un peintre unique. Même s’il a été fortement influencé par différentes écoles italiennes avant l’impressionnisme, le fauvisme ou le cubisme. Fragile et maladif il a marqué les vingt premières années du siècle par des œuvres disparates, étonnantes, troublantes mais toujours cohérentes sur le plan humain. Celui qu’on a surnommé «l’ange au visage grave» -pour ne pas dire triste- et qui ne faisait que peindre mille fois le même visage de femmes, d’hommes, de garçons ou de filles ne nous a laissé aucune esquisse de sourire franc, sur ses tableaux ou ses dessins. Parfois il se contente de laisser entrevoir des yeux apparemment vides de toute forme, uniquement remplis de couleurs chaudes, mais toujours graves, parfois «avec un air légèrement hautain», comme Modigliani était qualifié par sa propre mère.
De l’art étrusque à l’art nègre
Les personnages peints par Modigliani sont presque tous des hommes et des femmes de son entourage immédiat: compagnes, mécènes ou amis devenus des portraits aussi énigmatiques que ceux qui ont caractérisé la grande peinture florentine ou vénitienne. Raphaël et Bellini, Botticelli et Giorgione ont laissé beaucoup de traces sur les toiles et les dessins de celui qu’on appellera le «cygne de Livourne». Ses contemporains parisiens peut-être davantage, surtout Matisse, Cézanne et Picasso. Et pourtant Modigliani a vite créé son style, en se coupant du monde et des réalités d’une vie quotidienne vite devenue de plus en plus dure, marginale, presque insupportable. Ses portraits deviennent peu à peu des traductions sur toile de sculptures qu’il aurait aimé réaliser. Mais sa maladie ne le lui permet plus. Aussi, ses dernières peintures -sans doute les plus connues du grand public- deviennent peu à peu encore plus éloignées de la réalité de tous les jours. A la fois parfaites et transparentes, parce que dépouillées de presque tout superflu.
En cela aussi Modigliani est l’héritier d’une passion qui l’a accompagné dans toute sa période parisienne: celle de l’art nègre, et notamment des masques et des statues africaines ou océaniques, qu’il découvre en débarquant à Paris en 1906, et qui s’ajouteront à l’art étrusque ou grec antique qu’il avait fréquenté en Italie. Peu à peu ses femmes se transforment en cariatides, directement influencées par des reposoirs ou statuettes balubas, des masques d’Afrique occidentale ou des figures en bois bakota. Mais une fois de plus, après avoir admiré et repris cet art dans sa production, il va plus loin dans la simplicité des formes et des couleurs. Ses femmes-cariatides perdent leur fonction première pour devenir aussi simplifiées et dépouillées que possible. Comme ses nus couchés de femmes qu’il peint et repeint à plusieurs reprises jusqu’à la veille de sa mort, à l’image des Vénus de Giorgione ou de Titien, mais aussi des «baigneuses» qui sont à la mode depuis de nombreuses années. Modigliani choisit enfin de consacrer ses dernières forces à son propre portrait. De profil, assis, les yeux vides, tristes. Les couleurs de sa dernière œuvre sont pourtant aussi «chaudes» que les autres. Mais son regard ressemble désormais à son masque mortuaire, rehaussé par une palette de couleurs qui ressemble presque à un éventail. Une dizaine d’années plus tôt, ce peintre maudit avait écrit un aphorisme prémonitoire: «Le bonheur est un ange au visage grave». Qu’il avait signé: le Ressuscité.
A voir jusqu’au 2 mars 2003
au musée du Luxembourg,
19, rue de Vaugirard
75006 Paris.
Informations et réservations
au 00 33 (0)1 42 34 25 95
Site Internet
www.museeduluxembourg.fr
par Elio Comarin
Article publié le 09/11/2002