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Sommet France-Afrique 2003

Chirac se réengage en Afrique

Après une dizaine d’années de «ni ingérence ni indifférence», Jacques Chirac et Dominique de Villepin opèrent un revirement diplomatique aux conséquences imprévisibles et engagent de nouveau la France - y compris militairement - dans un continent miné par des «zones grises» ou de non-droit, notamment en Afrique centrale comme occidentale. Ce qui ne manquera pas d’être au centre des débats de couloirs du 22ème sommet franco-africain.
Il y a tout juste deux ans, lors du précédent sommet franco-africain de Yaoundé, intervenu quelques jours après l’échec du putsch de janvier 2001 en Côte d’Ivoire de la part de militaires venant du Nord - une sorte de répétition générale de celui du 19 septembre dernier -, Jacques Chirac n’avait pas caché sa colère. Il avait «passé un sacré savon» au principal suspect, le président Burkinabè Blaise Compaoré, coupable de mette le feu à toute l’Afrique occidentale. Aujourd’hui, la France de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin est elle même soupçonnée, à Abidjan mais aussi dans d’autres capitales africaines, d’entretenir une relation pour le moins ambiguë avec les rebelles du MPCI, et surtout de ne pas avoir franchement soutenu le président élu Laurent Gbagbo, et même d’avoir favoriser de fait le partage du pays. Ce que redoutent le plus presque tous les pays d’Afrique occidentale ou centrale, à commencer par le Cameroun, qui fait face à une vieille revendication à l’ouest de la part des «anglophones» et à une nouvelle grogne dans le Nord de la part des populations musulmanes.

Entre ces deux dates, des événements mondiaux qui ont quelque peu changé la donne : les attentats du 11 septembre 2001, la guerre de l’Afghanistan et celle (à venir) contre l’Irak de Saddam Hussein, avec des répercussions inattendues dans les relations internationales, surtout entre les deux rives de l’Atlantique. La France d’aujourd’hui, débarrassée désormais des contraintes d’une cohabitation qui paralysait son désir d’intervenir partout sur la scène mondiale, réalise que l’Afrique continue de compter, lorsqu’il s’agit de peser au conseil de sécurité de l’ONU mais aussi lorsqu’il importe d’assurer sa propre autonomie diplomatique, énergétique ou militaire.

C’est sans doute pour cela que Jacques Chirac n’a pas hésité à envoyer trois mille soldats en Côte d’Ivoire en 2002 ; alors que trois ans plus tôt, il avait été empêché d’intervenir pour sauver in extremis son allié Henri Konan Bédié, lors du putsch de Noël 1999. A cause de l’opposition du premier ministre socialiste Lionel Jospin. Mais l’intervention atypique d’aujourd’hui, en raison de son ambiguïté originelle, a d’ores et déjà engendré de nombreuses critiques, le plus souvent officieuses et non seulement de la part de ceux qui ont de tout temps dénoncé les ingérences militaires de la France en Afrique francophone. Car, l’exemple des rebelles ivoiriens pourrait faire tâche d’huile. A commencer par la Centrafrique, où d’autres rebelles (fidèles au général Bozize) semblent quant à eux plus que jamais rejetés par la diplomatie française.

«La relation post-coloniale est remise en question»

Et pourtant, le gouvernement français dit s’appuyer constamment sur les instances régionales africaines : la CEMAC en Afrique centrale et la CEDEAO en Afrique occidentale. Deux «communautés» qui rencontrent d’énormes difficultés à déployer leurs « casques blancs », du moins jusqu’à ces derniers jours. Car, depuis jeudi dernier, une offensive loyaliste de ce qui reste de l’armée d’Ange Patassé plus qu’épaulée par les «mercenaires» congolais et rwandais aux service d’un autre «rebelle» - Jean-Pierre Bemba, président du MLC - semble faciliter le déploiement de la force de la CEMAC, avec son cortège habituel de massacres et d’exactions. Sans que cela n’émeuve outre mesure la communauté internationale.

Une offensive parallèle de ce qui reste de l’armée loyaliste ivoirienne est-elle concevable, même avec le concours d’autres «mercenaires», dans le contexte actuel ? Sans doute pas. Une tournée en Afrique centrale des rebelles centrafricains en lutte contre le pouvoir autocratique et déliquescent de Patassé, à l’instar de celle que vient d’effectuer le MPCI en Afrique occidentale, est-elle envisageable ? Sans doute pas. Pourquoi François Bozize est-il interdit de parole, à Paris, et pas Guillaume Soro ?

Toutes ces questions ne manqueront pas d’être posées, dans la discrétion, par les participants du sommet de la Porte Maillot. Il n’est pas sûr qu’elles puissent obtenir une réponse claire. Ce qui explique peut-être la position pour le moins hésitante de la Guinée, du Cameroun et de l'Angola, les trois pays africains membres du Conseil de sécurité, qui ont visiblement du mal à choisir entre les «pressions amicales» françaises et les «pressions financières» américaines. Bien entendu, ils préféreraient ne pas avoir à choisir. Mais, désormais, la confrontation franco-américaine (voire franco-britannique) en Afrique est une autre donne nouvelle qui risque de compter.

En invitant au sommet de Paris les présidents Charles Taylor du Libéria et Robert Mugabe du Zimbabwe - deux «anglophones» bannis par la communauté internationale pour non respect des droits de l’homme - la France a visiblement ignoré les mises en garde discrètes de Londres et de Washington (mais aussi de Bruxelles) adversaires acharnés de Taylor comme de Mugabe,. Beaucoup de responsables américains ou britanniques soupçonnent Jacques Chirac de vouloir reconstituer le «pré carré» français en Afrique d’autrefois. En cela, ils risquent de se tromper. L’intervention militaire française en Côte d’Ivoire ne ressemble guère à celles des années 60 ou 70. Selon certains analystes elle vise à chercher une «solution consensuelle», qui permettrait à la France de rester un partenaire politique et économique indispensable dans le principal pays d’Afrique occidentale.

Pour Daniel Bach, qui dirige le Centre d’études sur l’Afrique noire (CEAN), Paris ne cherche plus «à fomenter un coup d’Etat, à maintenir ou chasser du pouvoir » tel ou tel dirigeant africain, comme dans le passé, parce que «la relation post-coloniale avec les pays francophones est remise en question». Selon lui, «l’influence française en Afrique de l’Ouest ne peut plus se manifester comme il y a une dizaine d’années», parce que «beaucoup d’entreprises ont été privatisées et même si toute sorte de réseaux continuent d’exister, les choses ne se font plus comme auparavant. Il y a eu un tournant après le Rwanda», en 1994.

Un risque demeure, néanmoins, pour les 3 000 soldats français engagés en Côte d’Ivoire, visiblement en bons termes avec des rebelles du Nord convertis récemment à la diplomatie. Ils restent confrontés à d’autres rebelles, ceux de l’Ouest, qui ne sont guère intéressés par une solution politique et qui entretiennent une relation trouble avec des «bandes armées» ou «soldats perdus» originaires du Libéria qui ont déjà transformé cette région en une vaste «zone grise» de non-droit où toute structure étatique a disparu, aux profits de nouveaux «seigneurs de la guerre» qui ne vivent plus que par et pour la guerre. En ne choisissant pas clairement son camp, l’armée française risque de devenir - ou pour le moins être perçue comme - une armée comme les autres. Avec les conséquences que Londres ou Washington n’ont pas de mal à imaginer.



par Elio  Comarin

Article publié le 19/02/2003